Archives de catégorie : Littérature

Kahawa – Donald Westlake

Il y a eu récemment deux émissions radios sur FC (redifusions) sur cet auteur de polars américain qui fait partie des grands maîtres du genre. Il a la particularité d’avoir utilisé plusieurs pseudonymes pour ses romans, mettant en scène des personnages très différents, et pratiquant l’humour dans un genre plutôt noir à priori. Bref, un auteur qui brouille les pistes.

Il en ressortait qu’un très bon roman mentionné dans l’émission était sur mon étagère, je me suis empressé de le relire, et ce fût un vrai plaisir, n’ayant gardé que peu de souvenirs de ma précédente lecture, il y a longtemps !

C’est d’ailleurs un des bons côtés du temps qui passe, les bouquins accumulés sur les étagères, mis en cartons et transportés au cours des différents déménagements d’une vie en se demandant si ça vaut la peine, commencent enfin à porter leurs fruits : si on ne se souvient pas l’histoire en détail, on se souvient qu’un roman vous avait plu ou pas, et venir piocher dedans est très agréable (et économique) !

Ici ce n’est pas vraiment un polar, Westlake nous proposant cette fois un roman d’aventure : le casse du siècle dans l’Ouganda d’Idi Amin Dada ! Il s’agit tout simplement de faire disparaître un train transportant toute la récolte de café du terrible dictateur. Valeur : six millions de dollars. De quoi attirer des convoitises, mais aussi des coups tordus, sans parler du danger à opérer à portée de la police secrète d’Idi Amin et de son « State Research Bureau », un endroit où il ne vaut mieux pas être emmené pour interrogatoire…

Le roman démarre au tout début de la préparation du projet, ce qui nous permet de découvrir les différents personnages impliqués, et nous laisse le temps de découvrir leurs personnalités, leurs motivations, de nous les faire aimer ou pas. Car on ne fait pas disparaître un train comme ça ! Mais quand l’opération proprement dite démarre, on reste scotché au bouquin jusqu’à la fin… Suspense garanti !

Cerise sur le gâteau, la traduction est de Jean-Patrick Manchette, gage d’une bonne traduction ! Selon lui, Westlake fait d’ailleurs partie des grands auteurs de polars américains :

On vibre avec Stark, on rumine amèrement avec Tucker Coe, et on rigole le plus souvent avec Westlake, quoique cette dernière et première signature soit celle qui réserve, et se réserve, le plus de surprises.
Ceux qui manquaient de hauteur ont voulu s’élever au-dessus de leur genre. La grandeur de Westlake est de travailler toujours contre sa propre élévation.

Donald Westlake (1933-2008) est un écrivain et scénariste américain, également connu sous de nombreux pseudonymes (Richard Stark, Alan Marshall, Tucker Coe …). Ses personnages les plus connus sont John Dortmunder, voleur brillant mais terriblement malchanceux (signature : Donald Westlake), et Parker, un personnage beaucoup plus sombre, sans états d’âme, brutal et violent (signature : Richard Stark).

Le romantique – William Boyd

Cadeau d’amis venus passer le week-end dans le Finistère, j’ai eu plaisir à renouer avec cet auteur que j’avais découvert il y a longtemps avec son excellent premier roman « Un anglais sous les tropiques ».

Le sous-titre du roman est : « Ou la vraie vie de Cashel Greville Ross », et l’auteur dans un court prologue nous explique qu’il est tombé par hasard sur une autobiographie inachevée qu’il a tenté de reconstituer dans le mesure du possible, en ajoutant la maxime suivante : « Toute biographie est une œuvre de fiction, mais une fiction qui doit coller aux faits documentés« . Alors fiction ou réalité ? disons plutôt un artifice de l’auteur…

Mais dans ce prologue, William Boyd dit quelques chose d’intéressant :

Si fascinants soient-ils, ces écrits griffonnés et ces rares objets ne suffisent pas pour brosser le portrait d’un homme ayant vécu plus de quatre-vingts ans. Que laissons-nous derrière nous quand nous mourons ? Au départ, elle semble prodigieuse, cette montagne de « choses » que nous avons acquises, toutes nos possessions, le bric-à-brac et la paperasse accumulés au long d’une vie. Mais elle s’effrite inexorablement, à un rythme surprenant, et en quelques décennies, un demi-siècle, un siècle, elle se réduit à presque rien.

Et pourtant la vie de Cashel sera loin d’être banale : fils non reconnu d’un noble, blessé à Waterloo à 15 ans, puis membre de l’armée des Indes, il voyage en Europe et s’installe en Italie où il rencontre l’amour de sa vie, la comtesse Rafaela, ainsi qu’accessoirement Lord Byron et le poète Shelley. Puis il part chercher fortune aux États-Unis, revient en Angleterre pour partir à la recherche des sources du Nil à cinquante-six ans où bien sûr il va croiser John Speke (le découvreur officiel) qui lui volera sa découverte… Je m’arrête là, lui non, il lui reste encore un peu de temps pour les dernières aventures de sa vie !

Et même un peu trop à mon goût, son départ en Afrique a été pour moi le voyage de trop, tellement peu crédible à son âge, comme si l’auteur voulait multiplier les aventures sans tenir compte de l’âge. J’aurais préféré un épisode aux États-Unis plus long et plus abouti.

Mais c’est un plaisir que de lire le récit de Boyd, qui nous emmène avec allégresse dans les aventures de Cashel, qui comme il le répète à loisir a toujours écouté son cœur, « Est-ce une grande force ou une terrible faiblesse ? ». Personnellement, je trouve qu’il a surtout cherché à assouvir ses pulsions, rien de bien grandiose sur ce point, et le titre du roman me paraît du coup largement usurpé. Mais pour le reste, c’est du pur bonheur : du style, un super récit, des aventures… Tout est là pour passer un bon moment, et s’y replonger avec délices.

William Boyd, né en 1952 à Accra (Ghana), est un écrivain britannique. Il a écrit de nombreux romans dont plusieurs se passent en Afrique (Un anglais sous les tropiques, Comme neige au soleil, Brazzaville plage), et même un James Bond (Solo) à la demande de la famille de Ian Fleming. Il partage sa vie entre Londres et le Sud-Ouest de la France.

Les frères de Soledad – George Jackson

C’est Simone de Beauvoir qui parlait de George Jackson dans le dernier tome de ses mémoires. Elle expliquait qu’elle et Sartre comptaient se rendre à son procès, mais qu’il fût abattu avant que celui-ci n’eût lieu (par un gardien, dans la cour de la prison). J’ai eu envie d’en savoir plus sur cette histoire.

Beau bouquin avec trois préfaces avant de commencer : une première de Jean Genêt essentiellement sur les conditions carcérales et le racisme aux États-Unis, lui qui a fait de la prison et fréquenté les Black Panthers…

Puis une seconde par le collectif Angles Morts (qui milite sur la violence et les crimes policiers) qui retrace l’histoire du racisme quasi institutionnel aux États-Unis, et particulièrement en prison (dont parlait Edward Bunker dans « La bête contre les murs », et que justement Jackson va dépasser pour rallier tous les détenus dans une lutte contre le système et les matons), tout en reprenant tout l’historique de ce qui est arrivé à George Jackson. Passionnant, sauf à la fin où ils font un parallèle avec la situation en France, avec un chapitre intitulé : « Des frères de Soledad aux frères de Villiers-le-Bel».

Goerge Jackson est « présent » pour tous ceux qui sont tombés sous les coups de la police et pour ceux qu’on enferme et qui meurent derrière les murs des prisons françaises.

Comparer la situation raciale et pénitentiaire entre les États-Unis et la France, c’est largement hors sujet, du fait même du côté institutionnel de l’autre côté de l’Atlantique développé au début de leur propre texte.

La troisième préface est écrite par le neveu de George Jackson, le fils de son frère Jonathan. Ce dernier fut abattu par la police alors qu’il tentait une action armée pour libérer les frères de Soledad :

Ce jour-là, Jonathan Jackson fait irruption, fusil au poing, dans le tribunal du comité de Marin où est jugé James McClain, un prisonnier noir accusé d’avoir poignardé un maton à San Quentin. À l’aide de deux prisonniers présents pour témoigner en faveur de James McClain, William Christmas et Ruchell Magee, Jonathan Jackson prend cinq otages, dont le juge et le substitut du procureur. Il exige la libération des Frères de Soledad. Quelques minutes plus tard, une pluie de balles s’abat sur la fourgonnette où Jonathan Jackson avait amené les otages. Jonathan, dix-sept ans, William Christmas et James McClain sont abattus, ainsi que le juge.

Vient ensuite une première lettre, sorte d’autobiographie de Jonathan Jackson, qui éclaire un peu son personnage, sa construction. Comme il le dit lui-même, il a toujours été en opposition, que ce soit à la maison ou à l’école. Issu d’une famille très pauvre, il s’en suit une vie dans la rue à ne faire que ce qu’il veut, des petits vols, des bagarres, le racisme… Le destin est tout tracé : maison de redressement, prison… Accusé d’avoir volé 70$ dans une station-service, il accepte un marché : avouer et n’avoir en retour qu’une légère peine de prison à la prison du comté. Mais il écope d’une condamnation à vie au pénitencier. Il a dix-huit ans !

En fait il est condamné à une peine indéterminée (jolie invention américaine), et doit chaque année passer devant une commission qui décide ou non de lui accorder une liberté conditionnelle, qu’il n’obtiendra jamais, quelque soit sa conduite. La même peine donc que Ron dans La bête contre les murs d’Edward Bunker. Au fil de ces années de prison, George Jackson s’y politisera, se formera aux théories révolutionnaires et adhérera au Black Panther Party, d’inspiration marxiste-léniniste.

Les circonstances de sa mort ne sont pas très claires : George Jackson est retrouvé mort dans la cour de promenade de la prison, abattu par les tirs d’un garde, au terme de ce qui sera présenté comme « une tentative d’évasion ». Les versions contradictoires et improbables présentées à la presse par l’administration pénitentiaire n’arrangeront rien, et James Baldwin dira: « Aucun Noir ne croira jamais que Jackson est mort de la façon dont ils nous ont dit qu’il était mort ».

Venons-en maintenant aux lettres proprement dites.

Continuer la lecture… Les frères de Soledad – George Jackson

La plaisanterie – Kundera

Kundera nous ayant quitté il n’y a pas longtemps, j’ai eu envie de le relire, et j’ai trouvé dans ma bibliothèque celui-ci, que j’ai donc lu il y a très longtemps. J’avais gardé un bon souvenir de cet auteur.

La plaisanterie, c’est celle que Ludvik fait à une jeune fille pour faire son intéressant, en lui envoyant une carte postale (sans enveloppe) avec ce texte : L’optimisme est l’opium du genre humain ! L’esprit sain pue la connerie. Vive Trotski ! Ludvik.

Sauf que dans la Tchécoslovaquie de l’après-guerre, communiste jusqu’au bout des ongles, le texte ne passe pas du tout. Ludvik, jeune étudiant brillant et membre actif du Parti (bien qu’intérieurement, il n’est pas dupe de la propagande), va se faire exclure du Parti et de l’université, et enrôlé de force dans l’armée avec les « noirs » (les déviants politiques et autres ennemis de classe).

Bien des années plus tard, Ludvik revient dans sa ville natale, pour y retrouver Helena la femme de Pavel, celui qui l’a exclut du Parti : il l’a séduite et compte bien se venger ainsi. Mais tout ne se passera pas comme prévu, il va croiser de vieux amis : Jaroslav, un musicien attaché aux traditions populaires, et aussi Kotska, resté croyant malgré le communisme. Sans oublier la coiffeuse Lucie, qui va réveiller chez Ludvik un pan oublié de son passage à l’armée…

Le roman est divisé en chapitres où le narrateur change, et le passé nous sera ainsi restitué par chacun d’eux. La version de Ludvik sera ainsi contrebalancée par le récit des autres personnages, montrant combien la même histoire peut être différente selon l’un ou l’autre, tout comme l’idée que l’on peut se faire de la personnalité des autres, fussent-ils nos amis.

Ludvik n’apparaît pas comme quelqu’un de très sympathique au final, et si le roman n’est pas noir, il est au moins gris ! Entre les relations des gens entre eux, et le monde sclérosé dans lequel ils vivent, on comprend qu’il était temps que le Printemps de Prague arrive dans ce pays.

Milan Kundera (1929-2023) est un écrivain et dramaturge tchécoslovaque naturalisé français. Il a reçu le prix Médicis étranger en 1973 pour « La vie est ailleurs », et le grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 2001.

Une mort si douce – Simone de Beauvoir

Ce petit roman d’un peu plus de cent pages raconte presque sous la forme d’un journal les derniers jours de la mère de Simone de Beauvoir. Il est souvent associé à ses mémoires, sans en faire vraiment partie pour autant.

En octobre 1963, Simone de Beauvoir reçoit un coup de fil : sa mère va être hospitalisée suite à une chute dans son appartement ; on soupçonne une fracture du col du fémur. C’est ainsi que commence ce récit, la fracture n’en sera pas une, mais un cancer de l’intestin grêle sera détecté. Elle et sa sœur vont se relayer pendant trois mois à son chevet. Comme toujours , l’auteure est d’une grande franchise, et toutes les questions qui se posent dans une telle situation sont abordées sans fard.

D’abord le rapport avec les médecins et plus généralement la médecine. Sa mère est une femme de soixante-dix-sept ans, très usée. Quand le cancer est diagnostiqué, une infirmière laisse échapper « Ne la laissez pas opérer » puis elle met la main sur sa bouche « Si le docteur N. savait que je vous ai dit ça ! Je vous ai parlé comme s’il s’agissait de ma propre mère ». L’infirmière s’en ira sans ne plus rien dire. Lorsque Simone de Beauvoir demandera au docteur N. pourquoi opérer s’il n’y a plus d’espoir, il lui répondra sèchement « Je fais ce que je dois faire », puis après l’opération « À l’aube il lui restait à peine 4 heures de vie. Je l’ai ressuscitée ». Et cela continuera ainsi pendant les trois mois. Elle en tire la conclusion suivante :

On est pris dans un engrenage, impuissant devant le diagnostic des spécialistes, leurs prévisions, leurs décisions. Le malade est devenu leur propriété : allez donc le leur arracher ! Il n’y avait qu’une alternative, le mercredi : opération ou euthanasie. Le cœur solide, vigoureusement réanimée, maman aurait résisté longtemps à l’occlusion intestinale et vécu l’enfer, car les docteurs auraient refusé l’euthanasie. Il aurait fallu me trouver là à six heures du matin. Mais même alors, aurais-je osé dire à N. : « Laissez-la s’éteindre » ? C’est ce que je suggérais quand j’ai demandé « Ne la tourmentez pas » et il m’a rabrouée avec la morgue d’un homme sûr de ses devoirs. Ils m’auraient dit : « Vous la privez peut-être de plusieurs années de vie. » Et j’étais obligée de céder.

Soixante-dix ans plus tard, je ne suis pas sûr que la situation ait beaucoup changée… On peut annoncer ce que l’on veut sur la façon dont on souhaite mourir quand la fin sera venue, pas sûr que ce moment nous appartienne vraiment.

Simone de Beauvoir va ensuite passer pratiquement tous les jours à l’hôpital, sa mère évoluant dans un mensonge permanent sur son état véritable, soutenue par les anti-douleurs, parfois un peu loin du réel, revenant d’autres fois sur le passé… Des souvenirs vont remonter, et elle qui ne croyait pas pleurer finira par craquer un soir en rentrant chez elle.

Elle termine par ces mots :

« Il a bien l’âge de mourir. » Tristesse des vieillards, leur exil : la plupart ne pensent pas que pour eux cet âge ait sonné. Moi aussi, et même à propos de ma mère, j’ai utilisé ce cliché. Je ne comprenais pas qu’on pût pleurer avec sincérité un parent, un aïeul de plus de soixante-dix ans. Si je rencontrais une femme de cinquante ans accablée parce qu’elle venait de perdre sa mère, je la tenais pour une névrosée : nous sommes tous mortels ; à quatre-vingts ans on est bien assez vieux pour faire un mort…
Mais non. On ne meurt pas d’être né, ni d’avoir vécu, ni de vieillesse. On meurt de quelque chose. Savoir ma mère vouée par son âge à une fin prochaine n’a pas atténué l’horrible surprise : elle avait un sarcome. Un cancer, une embolie, une congestion pulmonaire : c’est aussi brutal et imprévu que l’arrêt d’un moteur en plein ciel. Ma mère encourageait à l’optimisme lorsque, percluse, moribonde, elle affirmait le prix infini de chaque instant ; mais aussi son vain attachement déchirait le rideau rassurant de la banalité quotidienne. Il n’y a pas de mort naturelle : rien de ce qui arrive à l’homme n’est jamais naturel puisque sa présence met le monde en question. Tous les hommes sont mortels : mais pour chaque homme sa mort est un accident et, même s’il la connaît et y consent, une violence indue.

Il ne s’agit pas d’un sujet facile, vous l’aurez compris, mais comme toujours avec Simone de Beauvoir, c’est passionnant, d’une grande lucidité, et plein de sensibilité. D’après Sartre, ce livre est le meilleur qu’elle ait écrit.

Autres articles sur le même auteur

Simone de Beauvoir, de son vrai nom Simone-Lucie-Ernestine-Marie Bertrand de Beauvoir (!) est née en 1908 et morte en 1986 à Paris. Philosophe, romancière et essayiste, compagne de Jean-Paul Sartre avec qui (et d’autres) elle fondera la revue « Les temps modernes », adepte de l’existentialisme et attachée au combat pour la condition de la femme. Ce roman est

Tout compte fait – Simone de Beauvoir

Suite et fin des mémoires de Simone de Beauvoir avec ce 4ème opus. J’ai lu le premier tome (Mémoires d’une jeune fille rangée) en 2014, il était temps de conclure !! 😳

Simone de Beauvoir écrit ce livre alors qu’elle a 64 ans (soit mon âge actuel ou presque !), et revient sur ces 10 dernières années (tome précédent). La perte de la jeunesse qu’elle avait ressenti si fort dans le précédent ouvrage s’est éclipsée pour faire place à une vieillesse acceptée comme une nouvelle étape qui finalement a aussi son intérêt.

Elle commence donc par un rapide retour sur sa vie, pour voir si le hasard y a joué un grand rôle (la réponse est non, elle a principalement fait des choix). Puis nous parle de ses amis, ceux avec qui elle a gardé le contact (qui sont souvent ceux qu’elle connaît de près, leur enfance, etc…) et les autres avec qui le contact s’est rompu pour diverses raisons.

Elle parle ensuite des livres qu’elle a écrit dans ces dernières années (romans, nouvelles, préfaces) et de leur réception par les lecteurs et les critiques, pas toujours bien d’ailleurs, l’incompréhension venant d’une identification supposée (et erronée) entre elle et le personnage ou les idées de ses romans.

Puis elle va nous parler des livres (ce qu’elle préfère), des films (laissant moins de place à l’imagination), du théâtre (où elle a du mal à s’immerger, à ne pas voir les acteurs derrière les personnages), et de la musique (qu’elle préfère écouter sur disque plutôt que d’aller à l’opéra), et enfin des peintres… En général, elle n’aime pas trop la foule semble-t-il.

Elle aborde plus en détail les romans qu’elle a apprécié, pour essayer de comprendre ce qu’elle recherche, ce qu’elle peut trouver dans un roman. En premier viennent « Les Mots » de Sartre et « La Bâtarde » de Violette Leduc, dont elle a déjà parlé, et avec qui elle entretient un rapport singulier.

Elle mentionne aussi George Jackson, dont elle ignorait tout avant de lire ses lettres (« Les frères de Soledad », que j’ai commandé) : arrêté à 18 ans pour délinquance et emprisonné, il découvre les problèmes raciaux puis les domine intellectuellement, fondant la Black Guerilla Family, se réclamant du marxisme. Il se solidarise avec la révolte de ses frères du Black Panther Party. Sartre et elle devaient aller à son procès, mais il sera abattu avant. On peut aussi citer « Devant mes yeux la mort… » du même auteur, hélas introuvable.

Voyons voir la suite, en commençant par deux petites listes de romans ou de films qu’elle a apprécié. Puis nous irons au Japon, en U.R.S.S. dans les années 60, grâce aux voyages qu’elle a fait, toujours avec Sartre, de façon plus ou moins officielle, le couple étant internationalement connu. C’est aussi l’époque de la guerre du Vietnam, de la guerre des Six Jours entre Israël et les pays arabes. Pour finir en France dans ces années elles aussi mouvementées…

Continuer la lecture… Tout compte fait – Simone de Beauvoir

Le prince des marées – Pat Conroy

Le livre était en vitrine du libraire, et c’est la mention « Le chef d’œuvre de la littérature américaine » qui a attiré mon œil.

Bon, c’est un peu surévalué ! C’est un gros roman (+1000 pages), et l’histoire d’une famille du Sud des États-Unis, les Wingo. Un père violent, une mère manipulatrice, et voilà trois enfants qui vont grandir dans cet environnement, Luke le frère aîné, puis les jumeaux Samantha et Tom.

C’est Tom le narrateur. Il n’a plus de travail, sa femme songe à le quitter, quand Samantha (qui a fui le Sud pour vivre à New-York) se retrouve dans une clinique après une tentative de suicide. Tom file à NY et rencontre la psychiatre qui s’occupe de Samantha. De fil en aiguille, Tom va devoir raconter leur enfance à la psy pour aider celle-ci à soigner Samantha. Et on ne sera pas déçu, côté traumatismes et séquelles psychologiques, les trois enfants ont eu largement leur compte.

Voilà pour l’histoire. C’est plutôt bien écrit, alors qu’est-ce qui n’a pas fonctionné pour moi avec ce roman ? La première chose, c’est que c’est verbeux, très verbeux : des choses sont racontées sans avoir vraiment d’intérêt à part de multiplier le nombre de pages. Ensuite c’est le personnage de Tom qui m’a vite lassé, perpétuellement en train de faire de l’esprit en se croyant très drôle dans ses répliques, comme ses joutes verbales avec la psy qui sont vraiment usants. Et il en va un peu de même avec d’autres personnages, comme celui du père présenté comme violent, et dont la violence est bizarrement quasiment absente de tout le récit. La relation entre Tom et sa mère est aussi problématique, on a du mal à croire à leur relation adulte après tout ce qui s’est passé, leurs dialogues sont improbables…

Quant à la fin, avec Luke comme ancien du Vietnam (encore !) qui se lance dans une lutte sans espoir, et le sort de Samantha qui après avoir été central est à peine traité dans l’épilogue… Bref, un long roman qui manque d’équilibre, comme les personnages, avec malgré tout une histoire de fond assez dure qui aurait mérité un meilleur traitement.

Pat Conroy (1945-2016) est un écrivain du sud des États-Unis. Ce roman est considéré comme son chef-d’œuvre. Le livre a été adapté à l’écran par Barbara Streisand, à la fois réalisatrice, productrice et actrice.

Le film est assez fidèle au roman, en plus court forcément, et il m’a permis de comprendre une chose : en fait, le personnage central de l’histoire, c’est Tom, et non Samantha comme je le croyais. Et cela éclaire l’histoire sous un autre angle… Par contre, c’est Nick Nolte qui joue le rôle de Tom (Barbara Streisand jouant le rôle de la psy), et il est tout aussi énervant que le personnage du roman, mais cette fois en poussant des coups de gueule intempestifs, une autre forme que celle de l’humour pour exprimer le même traumatisme. 😉

Le silence des repentis – Kimi Cunningham Grant

Voilà un roman que l’on m’a donné en me disant : « Super, je ne l’ai pas lâché ! ». En fait, la personne l’avait lu au cours d’une longue journée de train, puis partait en randonnée le lendemain, alors autant alléger le sac à dos, fût-ce de 200 grammes !

Je ne partagerai pas son enthousiasme. C’est l’histoire d’un homme, Cooper, et de Finch sa petite fille de 8 ans qui vivent retirés du monde dans un chalet en pleine nature. L’homme, ancien militaire, se cache et élève sa fille seul, loin du monde. Ils sont ravitaillés une fois par an en denrées de base par un ancien ami de Cooper.

Si le suspense est bien entretenu au début du roman (mais que peut bien fuir Cooper ?), on finit par connaître assez vite la raison de tout cela. Et à se rendre compte du peu de crédibilité d’une telle histoire, et il en sera de même pour les personnages de ce roman. Quant à la fin, en mode « happy end » comme il se doit, on atteint les sommets.

Bref, un roman de gare, oui, parfait pour oublier un long trajet. Pour le reste, hélas, pas grand chose à signaler, et effectivement, beaucoup trop lourd pour le mettre dans le sac à dos. 😎

Kimi Cunningham Grant n’a pas encore de page Wikipedia. Il en faudra sans doute beaucoup plus que ce roman…

Le cavalier de la nuit – Robert Penn Warren

C’est à La petite librairie que j’ai entendu parler de ce livre, et comme Robert Penn Warren est l’auteur de Tous les Hommes du Roi, un excellent roman, je l’ai commandé.

La très bonne préface décrit le contexte historique du roman : au début du XXe siècle, dans le Sud des États-Unis, les petits producteurs de tabac sont pris à la gorge par les grandes compagnies qui s’entendent pour leur payer le tabac un prix dérisoire. Le capitalisme et l’hypocrisie libérale de la loi de l’offre et de la demande sont déjà à l’œuvre…

Les petits producteurs vont tenter de s’unir pour lutter contre ce cartel, mais tous ne jouant pas le jeu, la violence va vite devenir légitime et la situation se dégrader irrémédiablement. À ce jeu, Percy Munn, un jeune avocat épris de justice va vite se perdre et voir sa vie totalement bouleversée.

Le roman est assez sombre dans l’ensemble (et pas seulement parce que tout ou presque se passe la nuit). Percy Munn fait des choix qu’il a du mal à s’expliquer, donnant l’impression aux autres d’une grande force alors qu’au fond de lui-même le doute est omniprésent. Il se renferme alors peu à peu sur lui-même alors que le mouvement s’effondre, jusqu’à vouloir commettre l’irréparable. C’est le point central de ce roman, plus que la lutte des petits producteurs contre les grandes compagnies. Comme l’explique un personnage à Munn :

D’une manière ou d’une autre, ce que l’on fait, c’est ce qu’on a dans la tête. Un homme suit son chemin et, même s’il regarde ailleurs, quand le moment est venu, la chose qu’il porte en lui se manifeste sans qu’il s’en aperçoive. Ce qui le fait agir, ce n’est pas un accident fortuit ; de tout temps, la chose était en lui. Seulement, il ne le savait pas. Tant que le moment n’était pas venu.

Robert Penn Warren (1905-1989) est un écrivain américain. Il a reçu le Prix Pulitzer pour ce roman en 1947, puis le Prix Pulitzer de la poésie en 1957 et 1979 : il est ainsi le seul homme de lettres à avoir été récompensé dans ces deux catégories. Le Cavalier de la Nuit est son premier roman.

Hacke-moi si tu peux – Florent Curtet

Quand j’ai entendu parler de ce livre (l’auteur a bénéficié de quelques promotions dans les mass media), j’ai eu envie de le lire : un « Black Hat » qui devient « White Hat », ça doit faire une belle histoire.

Mais je m’attendais à autre chose, et j’ai été globalement déçu, même si l’histoire mérite d’être contée. Côté littérature, c’est lisible mais on sent les retouches, comme certaines phrases en fin de paragraphe qui tentent de donner un pseudo style littéraire à ce qui n’en a pas vraiment besoin d’ailleurs.

Non, la déception vient de ce que j’attendais : un vrai hacker qui nous parle de ses techniques de hacking, comment il pénètre certains réseau etc… L’auteur a manifestement choisi d’être accessible au grand public, et on a le récit d’un surdoué de l’informatique certes (tombé dedans quand il était petit), et qui va très vite utiliser ses talents pour se faire de l’argent : trafic de cartes bleues, fausse monnaie… Il s’agit d’ailleurs le plus souvent d’aller sur le « darknet » acheter ou vendre des choses illégales, que d’autre chose. Le pire c’est que l’auteur est très jeune et tout cet argent ne lui sert pas vraiment, à part s’acheter de belles fringues et faire le beau… L’image que j’ai vite eu du personnage, c’est celle d’un escroc, tout simplement.

Quand il se fait arrêter, il s’en sort avec une peine légère car il est encore mineur. C’est l’aussi occasion pour lui de découvrir les gens qui travaillent contre la cybercriminalité, et d’y trouver sa vocation. Florent Curtet peut au passage remercier ses parents qui l’ont toujours soutenu, aidé et payé l’amende de sa condamnation. Le récit ne dit pas s’il a réussi à garder un magot quelque part, et a pu en faire profiter ses parents (je l’espère pour eux). 😉

La deuxième partie, disons « la rédemption » et le passage en White Hat, est finalement assez intéressante quand il explique ce qu’il fait et comment. Il a pourtant encore cette tendance à être « borderline », à ne pas respecter les règles, et ses justifications ne sont pas toujours convaincantes. Il se fera arrêter une nouvelle fois : à force de naviguer en zone grise, il s’octroie quelques défraiements alors qu’il joue l’intermédiaire entre un cabinet d’avocats et un groupe de hacker. Là encore, ce sont les parents qui paient la caution. À ce jour, il serait en attente de jugement, interdit d’exercer ses activités de médiateur.

Le titre est bien sûr un clin d’œil au film « Arrête-moi si tu peux », de Spielberg. Au final, pas inintéressant, mais globalement décevant, encore que cela dépend peut-être de moi. À noter la préface d’Éric Naulleau, particulièrement oiseuse.

Florent Curtet est un expert en cybersécurité qui a travaillé pour l’ONU, Interpol ou des sociétés du CAC40. Il a fondé l’ONG « Hackers sans frontières » destinée à aider les victimes de cyberattaques, et aussi fondé une société « NEO Cyber » qui assure une formation pour négocier avec des cyber-attaquants.