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Moby Dick – Herman Melville

J’ai eu envie de m’attaquer à ce monument de la littérature, dans la traduction d’Armel Guerne plutôt que celle de Jean Giono, qui avait eu bien du mal à réaliser cette tâche, et avait du demander l’aide de deux autres traducteurs. Après lecture, je comprends mieux pourquoi.

Autant le dire tout de suite, j’ai été très déçu et les presque 1000 pages du roman m’ont parues bien longues (voire ennuyeuses) au point sur la fin d’en lire certaines en diagonale quand je voyais le style s’enflammer. Je m’explique.

Melville est également un poète, et cela se ressent dans son écriture : le récit est parsemé d’envolées lyriques mystico-religieuses qui personnellement m’ont vite lassé. Il paraît que ce livre est l’emblème du romantisme américain, et est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants romans de la langue anglaise. Très bien, mais ce n’est pas ce que j’attends d’un roman : les exercices de style de ce genre, et les références constantes à la bible, au bien et au mal tels qu’ils pouvaient être considérés à cette époque (fin XVIIIe), ne me passionnent guère. Le roman résiste mal à l’épreuve du temps je trouve… Un petit extrait pour vous faire une idée :

Ce fut par le plus grand des hasards que le navire lui-même, au bout du compte, tomba sur lui et le sauva. Mais à partir de cette heure, le pauvre petit Noir erra sur le pont comme un égaré, ayant perdu l’esprit — ou du moins (car qui saurait décider de ces choses) c’était ce qu’ils disaient de lui. L’océan railleur n’avait pas voulu de son corps physique et l’avait rendu ; mais il avait englouti son âme immatérielle. Il l’avait engloutie, mais sans l’emporter toute entière. Non. Il l’avait entraînée en de merveilleuses profondeurs où, vivante, elle voyait glisser de temps à autre dans son regard passif d’étranges ombres et des figures du monde primordial encore dans le chaos. La Sagesse, cette sirène avaricieuse, lui révélait la masse accumulée de ses trésors; et parmi les éternités joyeuses et sans cœur et perpétuellement jeunes, Pip voyait le Dieu omniprésent avec les multitudes infinies d’insectes corallins qui poussaient jusqu’au faîte, jusqu’au dehors du firmament des eaux, leurs orbes colossaux. Le pied de Dieu posé sur les leviers du grand métier universel, il le voyait ; et il le disait ; et pour cela ses compagnons de bord le nommaient fou. L’humaine insanité est ainsi la santé, le sens et le sentiment du ciel ; et c’est en s’éloignant de toute raison humaine que l’homme parvient, à la fin, à ce contact, à cette pensée céleste qui reste, pour la raison, absurdité et folie ; bonheur et malheur, alors, lui sont indifférents exactement comme est impassible le Dieu.

Ce n’est pas illisible, ni sans intérêt, mais l’accumulation de pages de ce style a achevé de me lasser. Quant à l’histoire du capitaine Achab et de sa haine obsessionnelle pour Moby Dick, elle pourrait aussi bien tenir en 200 pages. Les baleiniers partaient à cette époque pour deux ou trois ans de mer, à chasser le cachalot sans répit pour en extraire la graisse et surtout le spermaceti, le tout étant stocké dans les cales du navire, et c’est finalement l’essentiel du roman, la rencontre tant attendue avec Moby Dick et l’affrontement final n’occupant finalement qu’une cinquantaine de pages à la fin de l’ouvrage. On en apprend donc beaucoup sur cette activité et les cétacés en général, le dénommé Ismahel prétendant aborder tous les sujets qui y sont liés de façon très (trop ?) approfondie et exhaustive. Je ne sais d’ailleurs pas jusqu’à quel point il faut le croire aujourd’hui, les connaissances de l’époque ayant sans doute pris un peu de plomb dans l’aile. Tout cela relève de la chasse systématique qui ne peut conduire à terme qu’à l’extinction de l’espèce ; mais à l’époque, pas plus que dans le roman, jamais cet aspect n’est évoqué. On comprend que Moby Dick ait choisi d’attaquer frontalement tout baleinier s’approchant d’elle ! Melville s’est probablement inspiré d’une histoire vraie, le naufrage de l’Essex attaqué par un cachalot blanc géant appelé Mocha Dick.

Concernant la traduction, la page wikipedia du roman indique six versions en français, et donne en exemple la première phrase du roman. Les célèbres premiers mots « Call me Ishmael » sont ainsi traduits en « Je m’appelle Ishmaël. Mettons. » par Jean Giono quand Armel Guerne aboutit à « Appelons-moi Ismahel« , qui est un peu plus élégant tout de même.

Herman Melville (1819-1891) est un romancier, essayiste et poète américain. Il s’engage comme simple marin à 20 ans sur un navire marchand, puis sur le baleinier Acushnet, et déserte pour s’installer aux îles Marquises. Taïpi, son premier livre, et sa suite, Omoo, sont des récits d’aventures inspirés de sa rencontre avec les peuples des îles, et rencontrent le succès. Moby Dick (publié en 1851) sera par contre un échec commercial, et ne sera redécouvert et porté aux nues que dans les années 1920.

Promesse – Pearl Buck

Voilà donc la suite de Fils de dragon. On retrouve essentiellement Lao San, le troisième fils de Ling Tan, et son éternelle promise la belle Mayli. Si l’histoire entre ces deux-là est le fil conducteur du récit, mais offre finalement peu d’intérêt, le moment historique choisi est lui intéressant, tout comme la façon dont les chinois perçoivent les occidentaux.

Lao San est devenu Cheng, un valeureux capitaine de l’armée chinoise, et fait partie d’un contingent envoyé en Birmanie pour soutenir les anglais (le peuple des Ying) alors en très mauvaise situation face aux japonais. La Chine veut ainsi montrer qu’elle peut compter comme un allié sérieux contre les forces de l’Axe, elle qui a bien besoin d’une aide extérieure : en effet, si les japonais l’emportent en Birmanie, cela achèvera l’encerclement de la Chine.

Ce qui est intéressant, c’est la façon dont les chinois perçoivent les occidentaux, qu’ils ne comprennent absolument pas. Tchang Kaï-chek a donné l’ordre au contingent chinois d’obéir à un général américain (le peuple des Mei), et ce dernier va les faire patienter à la frontière birmane, les empêchant de venir au secours des anglais très mal embarqués, sans plus d’explications. Quand l’ordre est enfin donné, la situation est déjà désespérée, Rangoon est tombé aux mains des japonais, et les anglais sont en déroute complète.

Les chinois vont alors se jeter courageusement dans la bataille pour permettre aux anglais de s’échapper en franchissant le pont d’un fleuve. Et le pire va arriver : dès le pont franchi, les anglais le détruisent, empêchant ainsi les chinois de les rejoindre, et les laissant se faire littéralement massacrer par l’ennemi. Historiquement, il s’agit de la Campagne de Birmanie, ou la force expéditionnaire chinoise de Birmanie. Je ne sais si cette bataille a vraiment eu lieu, et de cette façon.

Nos deux personnages vont tout de même s’en réchapper, happy end oblige, mais la chose qui ressort du roman, c’est l’incompréhension entre occidentaux et asiatiques : les anglais particulièrement sont décrits comme incapables de se comporter autrement qu’en êtres supérieurs (que ce soit envers les birmans, les chinois, ou encore les hindous). Plus globalement, les écarts de culture et de comportement sont tels que l’entente ne peut fonctionner. Voilà par exemple un dialogue entre Mayli et un soldat anglais alors qu’ils font route ensemble, fuyant les combats :

— Nous avons une responsabilité vis-à-vis de ce pays.
Au mot responsabilité, il releva la tête et contempla cette Birmanie verdoyante à travers laquelle la route s’enfonçait comme une épée d’argent.
— Pourquoi, dit-elle, pourquoi vous sentez-vous une responsabilité vis-à-vis de ce pays ?
— Parce que, répondit-il gravement, il fait partie de l’empire.
— Mais pourquoi l’empire ? dit Mayli. Pourquoi ne pas laisser ce peuple disposer de son propre pays et se gouverner lui-même ?
— On ne peut pas rejeter ainsi une chose dont on a la responsabilité. On a envers elle un devoir à accomplir. À son expression honnête et troublée, elle comprit qu’il pensait sincèrement ce qu’il disait et qu’il sentait le poids de ce devoir sur ses épaules et sur celles de tout son peuple.
Elle laissa, elle aussi, errer son regard sur cette contrée verdoyante.
— Le monde serait pour nous meilleur, dit-elle, si vous et les vôtres n’étiez pas si bons.
Il la regarda et se mit à bégayer, comme il faisait toujours quand il ne comprenait pas très bien.
— Que… que voulez-vous dire ?
— Nous pourrions être libres si vous ne pensiez pas qu’il est de votre devoir de nous sauver, dit-elle avec un regard à la fois triste et rieur. Votre sens du devoir fait de vous des maîtres et de nous des esclaves. Nous ne pouvons échapper à votre bonté. Votre honnêteté nous ligote. Un de ces jours, nous défierons votre Dieu lui-même et nous nous libérerons.

Dans les dernières pages, la petite troupe de rescapés se sépare : les anglais prennent à l’Ouest, pour rejoindre l’Inde et l’Empire, quand les chinois choisissent l’Est pour retourner dans leur pays. Un hindou qui avait jusque là toujours suivi Cheng et lui vouait une véritable dévotion (Cheng avait sauvé sa famille de la haine des birmans). Mais l’hindou choisit alors sa propre route :

L’Hindou, qui pendant des jours avait marché silencieusement et fidèlement derrière Cheng, rassemblant son corps mince et noir, fit un véritable bond, comme si ses jambes étaient des ressorts d’acier, et s’élança à la suite des Anglais. Il fit cela sans bruit, sans un cri, sans un mot d’adieu. Il disparut dans l’obscurité à la poursuite des Anglais, ses pieds nus ne faisant dans la poussière pas plus de bruit que ceux d’un tigre.
Ils aperçurent dans un éclair son visage sauvage, le blanc de ses grands yeux tristes, l’éclat de ses dents blanches, puis il disparut.
Ils étaient tous trop surpris pour parler et ce fut Cheng qui, le premier, dit en s’adressant à Charlie :
— Cet Hindou… a-t-il toujours son poignard ?
— Vous savez bien qu’il l’a toujours à la main et qu’il ne le lâche ni jour ni nuit.
— Ce n’est pas un bon signe pour eux, dit Cheng d’un air sombre.

Voilà, c’est la fin des romans de Pearl Buck que je m’étais promis de lire. Il ressort de ces histoires le récit d’un monde en pleine transformation : la culture traditionnelle (et figée) faite du respect absolu des aînés, des mariages arrangés, d’une vie toute tracée dès la naissance, est largement remise en question par les jeunes, sans doute sous l’influence occidentale, présente dans les villes de la côte. Le monde paysan est lui aussi remis en cause, avec sa pauvreté sans espoir, la dureté de son travail, le paiement des taxes aux propriétaires, etc… Les rumeurs de révolution, d’un monde nouveau et plus juste courent à travers les campagnes. Enfin, l’occupation japonaise est décrite comme assez terrible, de véritables tyrans, méprisant, haïssant et exploitant les chinois (ce qui d’ailleurs facilitera le sentiment nationaliste de cet immense pays). On ne peut que regretter que Pearl Buck n’ait pas écrit sur la révolution communiste de Mao, mais elle était déjà rentrée aux États-Unis à ce moment de l’histoire…

Pearl Buck (1892-1973) est une femme de lettres américaine et a obtenu le prix Nobel de littérature en 1938. Elle n’a que 3 mois quand ses parents missionnaires partent pour la Chine, et parlera chinois avant l’américain. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle revient aux États-Unis suivre ses études universitaires, avant de vite retourner Chine où elle épousera un missionnaire agronome, dont elle divorcera peu après être revenue aux États-Unis en 1933. Première femme lauréate du prix Pulitzer qu’elle obtient en 1932. Elle adoptera sept enfants et aura combattu toute sa vie les injustices, défendu les minorités ainsi que les droits des femmes.

Fils de dragon – Pearl Buck

Je m’étais fait une liste de romans de Pearl Buck à lire, et celui-ci devait être le dernier. Mais il se termine par un magnifique « À SUIVRE » qui va m’obliger à ajouter un livre à ma liste… D’autant que c’est un bon cru, décrivant un moment de la grande Histoire (la seconde guerre sino-japonaise), toujours raconté très simplement par l’auteur, mais où beaucoup de choses sont dites, et certaines particulièrement dures.

Nous allons suivre comme souvent une famille de paysans, celle du patriarche Ling Tan, personnage central du roman. Il cultive sa terre non loin de la ville de Nankin, avec sa femme, ses trois fils dont deux sont mariés… Une vie simple, traditionnelle et finalement assez heureuse.

Mais l’invasion japonaise va venir fracasser tout cela. D’abord par des bombardements massifs auxquels les paysans ne comprennent rien, puis l’invasion de la ville et le massacre qui s’en suivit, et enfin l’occupation par les japonais se comportant en véritables tortionnaires. Tout en conservant le ton anodin que l’auteur affectionne, rien n’est caché de l’horreur de la guerre et des exactions que commettent les soldats : viols des femmes fussent-elles âgées ou d’adolescents, meurtres, pillage, tout y passe. Les récoltes des paysans sont en majorité saisies, leurs animaux abattus pour nourrir l’occupant… Il ne s’agit alors plus dans un premier temps que de survivre par tous les moyens pour la famille de Ling Tan.

Les japonais iront jusqu’à réintroduire l’opium pour mieux asservir la population. Les fils de Ling Tan vont partir dans les collines pour résister, et lui va persévérer en cultivant sa terre, luttant avec les autres villageois comme ils le peuvent contre l’envahisseur. Certains chinois choisissent de collaborer, ou tout au moins de tirer profit de la situation, ce qui fait réfléchir Ling Tan, et comme toujours avec les personnages de Pearl Buck, la référence ultime reste la terre :

« Comment connaître le coeur des hommes, maintenant ?» se dit Ling Tan. Tout autour d’eux, tandis qu’ils marchaient, s’étendait la campagne familière, la terre toujours fertile malgré les villages détruits et noircis par le feu. Sur cette route, autrefois animée par des fermiers allant vendre leur marchandise au marché, des ânes portant sur le dos des sacs de riz mis en croix, des colporteurs allant offrir leur marchandise dans les villages, des paysans poussant des brouettes, il n’y avait presque plus personne.
Mais la terre était toujours là, et ce qu’elle avait donné une fois, elle pouvait encore le donner, si on ne la trahissait pas. Ling Tan regarda la poussière brune de la route qui collait à ses pieds chaussés de sandales, et dit à son fils :
— Nous qui travaillons la terre, nous ne devons pas lui manquer. Laissons trahir ceux qui sont au-dessus de nous s’ils sont mauvais à ce point, mais nous, ne trahissons pas la terre.

L’histoire est assez prenante, chacun des fils réagissant différemment, et la résistance s’organisant petit à petit. L’armée chinoise s’est retiré à l’intérieur du pays, et l’on peut rejoindre « le pays libre » pour mieux préparer une future contre-attaque contre l’envahisseur, ce qui entretient malgré tout l’espoir. Et puis, quand Ling Tan a presque abandonné tout espoir, on entend dire qu’à l’autre bout de la planète, d’autres peuples combattent le même ennemi : les mystérieux habitants du pays des Mei et celui des Ying. L’espoir renaît et Ling Tan sent des larmes lui monter aux yeux…

Bon roman, les personnages sont attachants, l’histoire laisse peu de répit, même s’il y a bien une partie un peu à l’eau de rose quand il s’agit de trouver une femme à la hauteur de Lao San, le troisième fils, devenu un valeureux combattant, mais bon… La belle Mayli aura son rôle à tenir dans la suite du roman (que je suis en train de lire) !

Historiquement, nous sommes en 1937, et il s’agit de la seconde guerre sino-japonaise. Après avoir conquis Shanghai, les japonais arrivent à Nankin, la capitale provisoire choisie par Tchang Kaï-chek. Le bombardement stratégique de la capitale, destiné à tuer des civils, et les massacres qui s’ensuivent, indignera le monde civilisé et vaudront au Japon un blâme de la Société des Nations. Le Japon espérait alors terminer cette guerre en quelques mois, mais ce ne sera pas le cas : Tchang Kaï-chek se retire avec son armée à l’intérieur de la Chine utilisant son vaste territoire comme arme défensive. Cette guerre ne prendra fin qu’avec la capitulation des japonais en 1945.

Pearl Buck (1892-1973) est une femme de lettres américaine et a obtenu le prix Nobel de littérature en 1938. Elle n’a que 3 mois quand ses parents missionnaires partent pour la Chine, et parlera chinois avant l’américain. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle revient aux États-Unis suivre ses études universitaires, avant de vite retourner Chine où elle épousera un missionnaire agronome, dont elle divorcera peu après être revenue aux États-Unis en 1933. Première femme lauréate du prix Pulitzer qu’elle obtient en 1932. Elle adoptera sept enfants et aura combattu toute sa vie les injustices, défendu les minorités ainsi que les droits des femmes.

Le Patriote – Pearl Buck

Pearl Buck toujours, je m’étais fait une petite liste de romans à lire, voici l’avant-dernier. L’idée c’était de passer à d’autres romans, quitter la vie de paysans chinois d’avant Mao pour aller vers des romans parlant de la révolution communiste.

Et celui-ci est assez intéressant, qui aborde plutôt le conflit chino-japonais d’ailleurs, avec Tchang Kaï-chek et son armée nationale d’un côté, et les révolutionnaires communistes de l’autre.

I-wan est le fils d’un riche banquier à Shanghai, et se lie à En-lan, un jeune étudiant, leader charismatique d’un mouvement clandestin, révolutionnaire et communiste. Ils militent activement ensemble et préparent l’arrivée de Tchang Kaï-chek, le grand chef de l’armée révolutionnaire. Mais ce dernier va tourner sa veste, préférant une alliance politique avec les occidentaux et les banquiers chinois, allant même jusqu’à exterminer les communistes (massacre de Shanghai). I-wan ne doit son salut qu’à son père, et doit s’exiler du jour au lendemain au Japon.

Il va y rester plusieurs années, s’y marier et avoir deux fils. Il découvre la culture japonaise et ses différences avec la sienne : leurs coutumes omniprésentes, les traditions ancestrales auprès desquelles l’individu n’existe pas, leur soumission totale à l’empereur, leur éducation très stricte, mais aussi la sophistication de leur jardins et leur amour de la beauté, leur acceptation du destin lors d’un tsunami… I-wan mettra longtemps à comprendre Tama, sa femme, et son étrange mélange d’acceptation des coutumes tout en se revendiquant « mobo », c’est-à-dire moderne.

Pendant tout ce temps, I-wan est tenu à l’écart de ce qui se passe entre les deux pays, même s’il sait que la situation est tendue depuis longtemps, le Japon occupant la Mandchourie. Il a du fuir son pays et abandonner son idéal révolutionnaire, et a choisi de se consacrer à son bonheur personnel, à se construire un nid familial où il pourra vivre heureux. Mais la guerre entre les deux nations va remettre en cause ce fragile équilibre, et il va devoir retourner en Chine pour défendre son pays, ce que Tama comprend parfaitement : cela fait partie de son devoir, comme le sien est de servir son mari.

I-wan va rencontrer Tchang Kaï-chek, et lui servir de messager grâce à son passé communiste. Il est envoyé dans les provinces du Nord-Ouest, là où les armées communistes se sont réfugiées, pour leur proposer une alliance contre l’envahisseur. Et y retrouver avec surprise En-lan, devenu l’un de leurs chefs.

Très bon roman, même si comme à son habitude Pearl Buck reste à la hauteur de ses personnages. I-wan est parfois très indécis et contradictoire entre son amour pour Tama et son sentiment d’être chinois, et il y a quelques longueurs sur le sujet. Mais on devine bien le Japon aux ambitions hégémoniques, plus développée que son voisin, la Chine, qui n’est pas encore vraiment unifiée (entre ses seigneurs de guerre, les communistes et l’armée nationale révolutionnaire), mais qui va justement le devenir en luttant contre l’envahisseur nippon.

Pearl Buck (1892-1973) est une femme de lettres américaine et a obtenu le prix Nobel de littérature en 1938. Elle n’a que 3 mois quand ses parents missionnaires partent pour la Chine. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle revient aux États-Unis suivre ses études universitaires, avant de vite retourner Chine où elle épousera un missionnaire agronome, dont elle divorcera peu après être revenue aux États-Unis en 1933. Première femme lauréate du prix Pulitzer qu’elle obtient en 1932. Elle adoptera sept enfants et aura combattu toute sa vie les injustices, défendu les minorités ainsi que les droits des femmes.

Pivoine – Pearl Buck

Je continue avec Pearl Buck et ce roman un peu différent de ceux lus précédemment.

L’histoire se passe au début du XXème siècle dans une famille juive, installée dans une ville au nord de la Chine d’avant Mao. Ezra, le père de famille, est un riche commerçant et ne s’occupe pas trop de la religion (sa mère est chinoise) alors que sa femme est très pieuse et très attachée aux nombreux rites de la religion juive, jusqu’à rêver d’un retour sur la terre promise. Ils ont un fils David, porteur de tous leurs espoirs.

C’est cet aspect qui est très intéressant et parfaitement traité. Contrairement à l’Europe, les juifs ne sont en aucune manière ostracisés ou persécutés en Chine, et pour Mme Ezra, le danger est plutôt dans la perte de leur identité juive (le peuple élu) et de se retrouver absorbé par la culture chinoise, eux si accueillants et toujours prompts à profiter des plaisirs de la vie, ou à offrir une de leurs filles en mariage au fils de ce riche commerçant.

Pivoine est une jeune esclave de deux ans la cadette de David, achetée très jeune pour servir le jeune maître. Enfants, ils ont tous les deux développés une relation d’amitié profonde, mais en grandissant, les choses changent, et Pivoine doit désormais garder ses distances. Bien qu’éprouvant un amour sans faille pour David, elle est capable de se sacrifier et ne penser qu’à son bonheur à lui… encore que le conseil d’une vieille servante la fait réfléchir :

Qu’avait donc dit Wang Ma ? « Obéir… obéir… et faire ce qu’on veut. Les deux choses s’accordent parfaitement, – si on est habile. » Étranges paroles, pleines de sagesse ! Pivoine y réfléchit et leur sens pénétra graduellement, comme un métal précieux, dans les eaux profondes de son âme. Tout à coup, elle se sourit si bien que deux fossettes se mirent à danser sur ses joues.

Mme Ezra va tout faire pour que David se marie avec Leah, la fille du rabbin, et Pivoine se désespère. La vieille servante lui explique alors :

Pivoine joignit les mains sur ses genoux.
— La vie, dit-elle en détachant les mots, est-elle triste ou gaie ?
D’après son expression, son sérieux, Wang Ma parut comprendre la question de Pivoine.
— Au fond ? demanda-t-elle.
— Au fond, répondit Pivoine.
Wang Ma, l’air grave, ne manifesta ni surprise ni ahurissement.
— La vie est triste, dit-elle, d’une voix nette et décidée.
— Nous ne pouvons donc pas nous attendre à du bonheur ? demanda Pivoine, songeuse.
— Certainement pas, répondit Wang Ma avec assurance.
— Vous dites cela d’une manière si enjouée !
Le ton de Pivoine était lamentable, et elle se mit à pleurer.
— Tu ne seras heureuse que lorsque tu auras compris que la vie est triste, déclara Wang Ma. Regarde-moi, Petite Sœur. Que de rêves j’ai faits, que d’espoirs, avant d’avoir compris que la vie est triste ! Après cela j’ai cessé de rêver, je n’espérais plus. Maintenant les bonnes choses qui m’arrivent me rendent souvent heureuse. Je ne m’attends à rien, alors tout m’est une joie. (Wang Ma cracha habilement dans la cour, par l’ouverture de la porte.) Ah ! oui, fit-elle d’un ton réconfortant, la vie est triste, résigne-toi à cela.
— Merci, fit doucement Pivoine (et elle s’essuya les yeux).
Elles restèrent assises toutes les deux un moment, plongées dans leurs réflexions. Puis Wang Ma se mit à parler très affectueusement :
— Tu dois penser à toi, Pivoine. Si tu désires passer tes années dans cette maison, cherche à savoir qui sera la femme de notre Jeune Maître. Qu’il le veuille ou non, l’épouse d’un homme le dirige. Elle a le pouvoir, parce qu’elle a sa place dans le lit ; choisis donc la femme de David.
— Moi ! s’écria Pivoine.

Pivoine va alors œuvrer dans l’ombre pour contrecarrer ce projet, persuadée que David ne serait alors pas heureux. Quitte à lui trouver une autre femme. Puis les choses vont tourner au drame…

Roman plaisant, où l’on découvre un peu de la vie quotidienne dans une ville chinoise prospère de cette époque, dans une période sans guerre ni famine. La beauté de Pivoine finira par lui attirer des ennuis, et elle ne devra son salut qu’en se réfugiant dans un monastère bouddhiste. Son personnage, d’une beauté et d’une intelligence rare, acceptant sa condition d’esclave sans pour autant renoncer à ses espoirs, est magnifique.

Pearl Buck (1892-1973) est une femme de lettres américaine et a obtenu le prix Nobel de littérature en 1938. Elle n’a que 3 mois quand ses parents missionnaires partent pour la Chine. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle revient aux États-Unis suivre ses études universitaires, avant de vite retourner Chine où elle épousera un missionnaire agronome, dont elle divorcera peu après être revenue aux États-Unis en 1933. Première femme lauréate du prix Pulitzer qu’elle obtient en 1932. Elle adoptera sept enfants et aura combattu toute sa vie les injustices, défendu les minorités ainsi que les droits des femmes.

Trilogie « La terre chinoise » – Pearl Buck

Je continue la découverte de Pearl Buck avec une trilogie nommée « La Terre chinoise », dont le premier tome valut à l’auteur le prix Pulitzer.

Comme à son habitude, l’auteur nous raconte les choses simplement, décrivant le quotidien des paysans et ce à quoi ils font face, quelles coutumes régissent leur vie, les sécheresses ou inondations (provoquant la famine) auxquelles ils doivent faire face etc… Même si une révolution est évoquée et finit par se produire, n’attendez aucune grande explication théorique sur le sujet ou son contexte : seul sera évoqué ce qu’elle produit directement sur les personnages du roman.

Ici, on va suivre d’abord Wang Lung un paysan qui va peu à peu s’élever socialement mais en gardant les pieds sur terre. Ses enfants, éduqués, auront déjà d’autres ambitions que de travailler la terre. La troisième génération verra la révolution arriver et renverser l’ordre ancestral qui régissait toute la vie des enfants (mariage, travail), ces derniers devant obéissance à leurs parents sans autre choix que celui de disparaître. C’est le thème principal de cette trilogie, le passage du monde ancien à un monde nouveau, amené par une révolution vécue du terrain, c’est-à-dire qu’elle ne change pas grand chose pour les pauvres malgré les grandes promesses d’un monde nouveau…

Continuer la lecture… Trilogie « La terre chinoise » – Pearl Buck

La Mère – Pearl Buck

C’est lors d’un dîner avec des amis que j’ai entendu parler de Pearl Buck. Le frère d’une amie, qui vit en Asie depuis toujours, après avoir étudié les langues orientales, racontait qu’adolescent, c’est la lecture de Pearl Buck qui avait été le déclencheur de son amour pour l’Asie, et particulièrement le fait qu’elle parlait des « petites gens », des paysans, des gens du peuple.

Cela m’a donné envie de lire ses romans pour voir de quoi il retourne, avec cette autrice américaine fille de missionnaires qui appris le chinois avant l’anglais, et qui vécu toute son enfance et son adolescence immergée dans la culture chinoise.

Dans une préface (pas celle de ce livre, mais le suivant que je lis actuellement), son œuvre est bien décrite :

Le roman chinois fut abandonné au peuple. Il fallait que le narrateur se fasse comprendre d’auditeurs ignorants, et pour cela être direct, simple, s’attacher à bien caractériser les personnages, à respecter la vie et la vraisemblance. Il ne s’agissait surtout pas de briller par érudition. […] De sa connaissance approfondie du roman chinois, Pearl Buck a surtout tiré des leçons d’humanité, de dévouement à la cause de la vie. Elle ne se pose pas en génie unique mais en vivant témoin. « C’est dans cette tradition populaire du roman que je suis née, c’est à travers elle que je suis devenue écrivain. Mon ambition, en conséquence, n’est pas tournée vers les belles lettres et les grâces du style. » Son énergie créatrice s’exerce dans le sens de la vie, d’encore plus de vie, c’est une énergie à la fois physique et spirituelle qui engage tout l’être et l’entraîne. Le romancier n’est que l’interprète de la vie telle qu’il la ressent en lui et autour de lui. Le critère de valeur du roman, c’est le poids de vie qu’il contient. Il est fait pour la rue, pour la place publique, pour tout le monde. Pearl Buck est entrée dans la littérature de plain-pied, sans aucun piédestal, et en visant le grand nombre, non pour être « best-seller », mais pour communiquer avec les gens. Or elle a réussi au-delà de toute espérance.

Et c’est bien le cas pour ce roman, l’histoire toute simple d’une mère, dont on ne saura même pas le nom, qui traverse la vie et ses vicissitudes sans jamais renoncer ou baisser les bras. Ce ne sont pourtant pas les épreuves qui vont l’épargner, à commencer par son mari qui disparaît du jour au lendemain car la vie aux champs est trop dure. On la suivra jusqu’à sa vieillesse, avec un magnifique message final, vrai hymne à la vie comme expliqué ci-dessus.

Pearl Buck (1892-1973) est une femme de lettres américaine et a obtenu le prix Nobel de littérature en 1938. Elle n’a que 3 mois quand ses parents missionnaires partent pour la Chine. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle revient aux États-Unis suivre ses études universitaires, avant de vite retourner Chine où elle épousera un missionnaire agronome, dont elle divorcera peu après être revenue aux États-Unis en 1933. Première femme lauréate du prix Pulitzer qu’elle obtient en 1932. Elle adoptera sept enfants et aura combattu toute sa vie les injustices, défendu les minorités ainsi que les droits des femmes.

Oh, Hippie days ! – Alain Dister

C’est sur FC que j’ai entendu une interview de Alain Dister, où il raconte comment en 1966 il part pour l’Amérique, terre de toutes les utopies, et découvre les débuts du mouvement hippie à San Francisco, alors que les États-Unis s’engagent massivement au Vietnam.

Cela m’a donné envie de lire son livre, écrit comme un journal, presque au jour le jour, racontant ses trois voyages successifs : un premier de 3 mois en 1966, où il découvre le début du mouvement à San Francisco, pour y revenir l’année suivante, le carcan sociétal en France lui pesant définitivement trop (nous sommes avant mai 68). Il y restera pratiquement un an. Enfin, Il y fera un dernier séjour six mois plus tard (et pour 6 mois), qui annonce la fin du mouvement, et dont il peut s’estimer heureux d’être revenu « intact », à lire son récit.

Voyons tout ça de plus près, avec en bonus en fin d’article une idée de Playlist (audio) inspirée des titre de morceaux cités dans le livre.

Continuer la lecture… Oh, Hippie days ! – Alain Dister

Là où chantent les écrevisses – Delia Owens

C’est ma sœur Dominique qui m’a ardemment conseillé ce bouquin alors qu’elle n’en était qu’à la moitié de sa lecture.

Je confirme donc que la première partie est bonne, on suit les aventures de cette jeune fille à peine adolescente qui se retrouve à vivre seule dans les marais, abandonnée petit à petit par sa famille, quelque part en Caroline du Nord. Kya va développer une vie en harmonie avec cette nature d’une diversité sans fin : les oiseaux, les insectes, les coquillages, les poissons… Le village d’à côté la rejette, à commencer par l’école, elle est devenue « la fille des marais », et cela lui convient très bien finalement. Cette partie est très bien rendue et très prenante.

En parallèle à ce récit mais quelques années plus tard (on passe de chapitre en chapitre d’une histoire à l’autre), le corps d’un jeune homme est retrouvé dans le village, déclenchant une enquête policière, conduite tout en douceur par la police locale, pleine de bon sens, et se satisfaisant de peu de preuves. L’autre partie de l’histoire fait soudainement un bond en avant pour se synchroniser, Kya a dès lors 22 ans, est devenue une belle jeune femme qui fait tourner le cœur des hommes, et va vite devenir la coupable idéale. L’histoire perd beaucoup de son intérêt à ce moment là je trouve, l’auteur perd le charme de son récit, et peine à passer à une histoire policière qui devient vite ennuyeuse (même si je m’en veux de ne pas avoir deviné qui était le coupable et surtout pour quelles raisons, car après coup, cela parait évident).

Bon roman tout de même, dont un film a été tiré : « Where the crawdads sing ». Il retranscrit bien la partie enquête, mais loupe totalement le côté symbiose avec la nature (en fait, il n’essaie même pas). J’aurai tout de même appris comment on dit écrevisse en anglais ! 😉

Delia Owens est une écrivaine et une zoologiste américaine née en 1949. Il s’agit son premier roman.

Harry Bosch – Michael Connelly

Vers la fin de mon voyage en Asie, j’ai attaqué le cycle Harry Bosch (Hieronymus Bosch pour être précis, comme le peintre), dans l’ordre chronologique s’il vous plaît. J’en ai poursuivi la lecture une fois revenu, et je viens juste d’arrêter hier : treize romans lus, soit à peu près la moitié de la totalité des romans (25).

Bosch est un flic de L.A., ancien du Vietnam (il était un « rat de tunnels », membre d’une unité chargée de nettoyer les tunnels creusés par les Vietcongs, dire que je lisais ça en étant au Vietnam !). Il se sent investi d’une mission quand il pourchasse les criminels, et y consacre tout son temps, se révélant incapable d’établir une véritable relation sentimentale avec les quelques femmes avec qui il a une aventure. Ces dernières devinent vite son côté obsessionnel et individualiste. Il a une tendance certaine à n’en faire qu’à sa tête, se fier à son intuition et à ses capacités d’analyse, par ailleurs toutes deux excellentes, lui permettant de résoudre ses enquêtes. On de demande quand même quand est-ce qu’il dort… 😉

Ses relations avec la hiérarchie sont pour le moins tendues, et il est parfois l’objet d’une enquête des services internes. L’auteur dresse d’ailleurs un portrait assez critique de la police de L.A. : corruption, carriérisme, politique… quand ils ne sont pas carrément les meurtriers de l’enquête en cours. Bref, tous des empêcheurs de tourner en rond dans le meilleur des cas pour Harry Bosch, qui ne fait de toutes façons confiance à personne.

L’autre personnage des romans, c’est la ville de Los Angeles, la ville de tous les espoirs mais aussi de tous les périls. La violence policière et les émeutes suivant l’affaire Rodney King sont en référence constante et ont marqué la ville… Mais il y a aussi sa pollution, ses bons restos, sans oublier ses embouteillages qui n’auront plus de secrets pour vous, Bosch étant passé maître dans l’art de les contourner !

Au final, de bons romans policiers, avec de bonnes intrigues, et dont on tourne les pages sans avoir vraiment envie d’arrêter. En ayant lu treize à la suite, le personnage de Bosch a fini tout de même par me taper sur le système, son côté « je suis investi d’une mission, je n’en fait qu’à ma tête et je ne respecte rien ni personne » le rendant assez imbuvable.

Voilà les titres que j’ai lu à la suite :

  • Les Égouts de Los Angeles, 1993
  • La Glace noire, 1995
  • La Blonde en béton, 1996
  • Le Dernier Coyote, 1999
  • Le Cadavre dans la Rolls, 1998
  • L’Envol des anges, 2000
  • L’Oiseau des ténèbres, 2001
  • Wonderland Avenue, 2002
  • Lumière morte, 2003
  • Los Angeles River, 2004
  • Deuil interdit, 2005
  • Echo Park, 2007
  • A genoux, 2008

Bon, il était grand temps de faire une pause, et de revenir à des romans disons plus littéraires… 😉

Michael Connelly, né en 1956, est l’un des principaux auteurs américains de romans policiers. Il est assez prolifique. Les romans mettant en scène Harry Bosch ont été portés à l’écran dans une série TV éponyme (7 saisons). Une autre série existe depuis 2022 sur Amazon, « Bosch: Legacy » (2 saisons à ce jour).

Côté cinéma, il y a « Créance de sang » avec Clint Eastwood mettant en scène Terry Mc Caleb, un ancien agent du FBI. On peut voir un autre personnage du même auteur, Michael Haller, avocat et demi-frère de Bosch, dans « La défense Lincoln », avec Matthew McConaughey (excellent film !).