De beaux lendemains – Russel Banks

Retour à Russel Banks, et relecture de ce roman, dont je gardais le souvenir suivant : dénonciation du système judiciaire américain, où il y a toujours un responsable dont on va pouvoir soutirer de l’argent, et où les avocats se font une joie d’intervenir gratuitement, demandant simplement un pourcentage sur les indemnités éventuelles.

Mais en fait, le récit est plus complexe que ce souvenir, et carrément passionnant. L’histoire est celle d’un bus scolaire sortant de la route et s’écrasant au fond d’un ravin, provoquant un drame dans une petite communauté.

Ce roman est composé de cinq chapitres, donnant chacun la parole à l’un des acteurs de ce drame. D’abord la conductrice du bus, Dolorès Driscoll, qui nous raconte comment l’accident est arrivé. Puis c’est au tour de Billy Ansel, père de deux enfants disparus dans l’accident, dont on va suivre le comportement et ce qu’il pense de l’arrivée des avocats dans la petite vile. Vient ensuite le tour de Mitchell Stephens, l’avocat de new-York, venu pour rendre justice et empêcher qu’un tel drame se reproduise si on l’écoute, intelligent et fin psychologue, mais qui a aussi ses propres problèmes avec sa fille. Enfin, c’est au tour de Nicole Burnell de prendre la parole, jeune fille rescapée de l’accident, sur un fauteuil roulant, intelligente et aussi très perspicace, ayant des comptes à régler avec son père. Pour le dernier chapitre, c’est Dolorès qui reprend la parole, pour une ultime scène lors de la foire du Comté, quand tous les habitants de Sam Dent se retrouvent pour la course de stock-car…

Comme toujours, le récit est très prenant et Russel Banks décidément un grand conteur autant qu’un grand écrivain. La narration est parfaitement maîtrisée, certaines scènes se recoupent entre les différents récits de chacun, mais avec un point de vue différent… C’est très bien fait !

Je vais continuer à lire ou relire cet auteur, il vaut vraiment le détour.

Autres romans de Russel Banks sur ce blog :

Russel Banks (1940-2023) est un écrivain « progressiste » américain (dixit wikipedia). Il a été actif politiquement, prenant par exemple position contre l’intervention en Irak, ou le Patriot Act. Il a été le troisième président du Parlement international des écrivains créé par Salman Rushdie, et le président fondateur de Cities of Refuge North America, qui s’est donné pour mission d’établir aux États-Unis des lieux d’asile pour des écrivains menacés ou en exil.

Silence dans les champs – Nicolas Legendre

Livre offert par ma frangine, dont on avait déjà discuté et partagé des articles du Monde. Je connaissais donc déjà le sujet, mais ce livre (cette enquête) a le mérite de tout présenter de manière très claire et de façon complète.

Le système est assez simple finalement : dans les années 60, la Bretagne s’est lancée dans l’agro-industrie : produire du volume à bas coût, en circuit long. Les paysans n’ont pas d’autre choix que de grossir, ou de sortir du jeu (en 50 ans, on est passé de 370 000 paysans à 55 200). C’est la course à la productivité, on ne garde que les meilleurs, et les restants se tuent au travail pour un salaire de misère (car ils sont devenus la variable d’ajustement de cette industrie)… pour finir par craquer à leur tour (suicide), et leurs terres seront alors rachetées, etc. D’autres se retrouvent ouvriers dans les usines de l’agro-alimentaire, corvéables à merci pour un autre salaire de misère.

Le pire est sans doute la loi d’omerta, à la limite d’un système mafieux, que subit un agriculteur quand il veut sortir du système ou en révéler les abus : en plus des acteurs de ce modèle, les banques (prêts refusés) mais aussi l’État (contrôles incessants) sont carrément complices pour lui mettre une pression terrible et lui rendre la vie impossible. Idem pour les journalistes et toute personne se mettant en travers de la route.

Il existe pourtant d’autres systèmes (prairies et trèfle blanc), plus vertueux, en circuit court, permettant de développer une agriculture durable, offrant une meilleure rémunération au paysan, lui rendant sa fierté par la même occasion. On éviterait ainsi la culture du maïs gourmande en eau, les importations de soja (destiné à combler la manque en protéine du maïs), l’usage excessif des intrants chimique, etc… Voir extrait plus bas.

La démonstration du bouquin est imparable, très bien documentée, et agrémentée de témoignages directs sur chacun des aspects abordés. La lecture en est donc agréable, et l’on en ressort avec un sentiment mitigé, tellement le tableau décrit est sombre et semble sans issue. C’est comme pour le changement climatique, on sait qu’il faut changer de modèle, mais les intérêts économiques et/ou les profits de quelques uns sont autant de freins extrêmement puissants au changement, avec l’aide ou le laisser-faire des autorités politiques et judiciaires prêtes à toutes les faiblesses pour éviter un conflit direct et violent avec des agriculteurs manipulés. Il semble pourtant bien qu’à force de tirer sur la corde (la nature, les hommes), le système arrive à son terme. Espérons que ce soit le cas, et qu’une transition en douceur soit possible.

Voilà quelques extraits :

Continuer la lecture… Silence dans les champs – Nicolas Legendre

Anne de Green Gables – Lucy Maud Montgomery

Voilà un livre que je n’aurais sans doute jamais acheté par moi-même. J’étais dans la librairie quand j’ai entendu une cliente demander à la libraire « un roman positif »… J’ai alors pensé à Âme brisée, et me suis dit que c’était un bon critère. Du coup, je suis reparti avec ce livre.

C’est l’histoire d’une petite fille orpheline de 11 ans douée d’un pouvoir d’imagination insatiable, vivant autant dans ses rêves que dans la réalité, qui est adoptée par un frère et une sœur déjà âgés, tous deux célibataires, vivant dans une ferme au milieu d’une nature idyllique, proche d’un village hors du temps situé sur une île canadienne. L’atmosphère y est champêtre, et les années vont passer, au gré des rêves et de l’enthousiasme apporté par Anne, tempérés par ses deux tuteurs d’une autre génération.

Même s’il y a une certaine répétition aux aventures d’Anne (c’est un peu « les malheurs de Sophie »), on ne peut nier la fraîcheur du récit, et l’ensemble est bien écrit (particulièrement la description de la nature) ; on se laisse finalement facilement emporter par les anecdotes qui se succèdent, celles d’une enfant qui grandit et apprend à tempérer son enthousiasme, ainsi qu’à appréhender la réalité et ses contraintes d’une société encore religieuse et très moralisatrice.

C’est un livre que vous pouvez offrir sans hésitation à votre mère ou votre grand-mère, ou les deux, selon votre âge… 😎

Lucy Maud Montgomery (1874-1942), est une romancière et poète canadienne. Ce premier roman a connu le succès et n’est que le premier tome de la « saga d’Anne » (dix tomes). Pour ma part, je m’en tiendrai à celui-ci.

Quatre heures vingt-deux minutes et 18 secondes – Lionel Shriver

J’ai entendu parler de ce roman à la petite librairie. L’idée d’une critique de la bien-pensance autour du sport et de la performance n’étant pas pour me déplaire, et connaissant l’auteur par un film choc (voir plus bas), je n’ai pas hésité longtemps.

C’est donc l’histoire d’un couple de soixantenaires dont la femme a toujours fait du sport, mais de manière individuelle et à l’encontre des modes ; hélas, les genoux de Serenata l’empêchent désormais toute pratique suivie. C’est le moment que choisit Remington, qui vient de se faire licencier, pour lui annoncer qu’il va faire un marathon, lui qui n’a jamais pratiqué le moindre sport.

Il va s’en suivre une lente dérive du couple à l’entrée du troisième âge : eux si complices habituellement ne vont plus pouvoir communiquer, d’autant que Remington va aller plus loin avec l’assistance d’un coach en visant un triathlon, jusqu’à mettre sa santé en danger.

L’ensemble est assez drôle, et la critique de tout ce qui circule autour du sport assez bien vue. Entre les messages du type « n’écoute pas ton corps, seule ta volonté compte », l’effet de groupe d’où les autres sont forcément exclus, le business généré et l’argent dépensé, le portrait global est assez acerbe et sans pitié. D’autant que d’autres sujets de société sont abordés dans l’histoire, comme le wokisme ou la religion, avec le même regard critique.

Le ton est assez inégal toutefois, on oscille parfois entre la caricature et de petites phrases bien senties, ce qui fait que l’on décroche parfois, mais l’ensemble vaut largement le détour.

Lionel Shriver, née Margaret Ann Shriver en 1957, est une femme de lettres et journaliste américaine. Elle change son prénom à 15 ans car elle se sent un garçon manqué. Elle est l’auteur de « We need to talk about Kevin », dont j’ai vu l’adaptation au cinéma : un récit très dur sur la relation d’une mère avec son fils qui va commettre l’irréparable dans un lycée. Film choc, comme doit l’être le roman.

Sur les chemins noirs – Sylvain Tesson

C’est du film dont j’ai d’abord entendu parlé, et ensuite du livre dont il est adapté, qui raconte cette traversée de la France, du Mercantour à la pointe du Cotentin, en suivant le plus possible de vieux chemins, évitant bien sûr le goudron, mais aussi les sentiers de randonnée (dans la mesure du possible).

Je ne suis pas fan de l’auteur, même si son accident (chute d’un toit) semble l’avoir transformé (et pas que physiquement), lui le toiturophile. C’est en tout cas ce qu’il laisse entendre dans ce récit, et la décision de se lancer ce défi en lieu et place de rééducation montre la force de caractère du bonhomme. L’alcool, cause de sa chute, lui est désormais interdit, ça change aussi la donne !

C’est bien écrit, Sylvain Tesson est cultivé et le paysage lui inspire de nombreuses réflexions qu’il agrémente parfois de références culturelles, sans en faire trop heureusement. C’est d’ailleurs plus un ouvrage littéraire que le récit plus factuel de cette traversée de la France du Sud-Est jusqu’au Cotentin. Il donnera peu de détail sur son évolution physique, mais vu d’où il part, dès sa sortie de l’hôpital, le bougre a l’air d’être résistant à la douleur. Il est bon marcheur, puisqu’il parle parfois de 40 kms par jour (après plusieurs semaines de marche tout de même !).

Par contre, très peu infos sur le contenu du sac, ce qu’il mange, comment il s’est organisé… On sait juste qu’il emporte une dizaine de cartes IGN avec lui (de quoi aller jusqu’au Mont Ventoux), cartes qu’il va scruter pour s’y frayer un chemin hors des sentiers battus (l’expression n’a jamais aussi bien convenue). J’aurais bien aimé qu’il nous en dise plus sur ces détails pratiques.

Il est parfois accompagné quelques jours par un ami, sa fille également le rejoint pour une journée et une nuit. Il dort souvent dehors, à l’abri d’un arbre, fait un feu et dîne… Mais peut aussi bien se retrouver à l’hôtel ou plus rarement chez l’habitant. Peu de rencontres, et encore moins de dialogues, quelques mots et voilà… Sur les chemins noirs, on est économe de tout !

À passer des jours à éviter « la civilisation », il raconte tout ce qu’elle a généré comme changement : le remembrement, la productivité imposée aux agriculteurs qui durent quitter la montagne pour la plaine, etc… Honnêtement, rien de très nouveau sur le sujet (mais des vérités certes), et pas certain qu’il soit le mieux placé pour en parler. Mais au final, une réflexion tout de même intéressante sur le monde moderne, ce qu’il a transformé dans nos campagnes à coups de promesses non tenues…

Voilà, je ne dirai pas que c’est un grand livre, loin s’en faut (mais il se laisse lire sans problème), on reste dans les pensées de Sylvain Tesson, et ça reste très personnel. On sent tout de même le type de réflexion et le recul qu’amènent la marche, menée dans une solitude recherchée et appréciée, avec une volonté de rester hors des grands axes et loin des villes. Et c’est sans doute le meilleur du livre.

Sylvain Tesson, né en 1972, est un écrivain voyageur. Il est par certains qualifié d’imposteur en tant qu’écrivain voyageur reproduisant des clichés éculés de la littérature de voyage. Le personnage est de toute façon assez clivant et provocateur, amoureux de l’espirt slave et de la Russie. Il a repris dans L’Axe du loup l’itinéraire de À marche forcée (cette histoire d’évadés du Goulag qui traverse l’Asie du Nord au Sud jusqu’à Calcutta…), afin d’en vérifier la faisabilité : pour lui, l’aventure est plausible, malgré quelques anomalies absolues, comme « dix jours sans boire dans le Gobi ».

L’Ange sur le toit – Russel Banks

Toujours dans l’idée de lire ou relire Banks, je suis tombé sur ce petit recueil de nouvelles chez le libraire. Eh bien, ce fut un vrai plaisir que de lire ces dix nouvelles (parfois c’est compliqué : soit on n’accroche pas à l’histoire, soit on est frustré de sa fin rapide).

Ce ne fût pas le cas ici, toutes les histoires se tiennent sur le même thème, celui des rapports humains, que ce soit ceux entre mari et femme, père et fille, fils et mère âgée, patron et employée, et même notre rapport au monde. Et d’un moment-clé, à priori anodin, où soudain plus rien ne sera comme avant.

Franchement, c’est bien, c’est simple, et le mieux est parfois l’ennemi du bien. Quelles sont nos réelles motivations ? Le passé est-il vraiment ce que l’on se rappelle ou ce que l’on a bien voulu nous dire ? Notre confiance en nous-même ne tient elle pas à peu de chose ? Tout peut basculer si vite…

Et avec Russel Banks, on a l’assurance d’une belle écriture. Un très bon recueil de nouvelles donc.

Autres romans de Russel Banks sur ce blog :

Russel Banks (1940-2023) est un écrivain « progressiste » américain (dixit wikipedia). Il a été actif politiquement, prenant par exemple position contre l’intervention en Irak, ou le Patriot Act. Il a été le troisième président du Parlement international des écrivains créé par Salman Rushdie, et le président fondateur de Cities of Refuge North America, qui s’est donné pour mission d’établir aux États-Unis des lieux d’asile pour des écrivains menacés ou en exil.

Les miracles du bazar Namiya – Keigo Higashino

Livre choisi un peu au hasard à la librairie de Concarneau, envie de retrouver un univers japonais sans doute, après avoir gardé un très bon souvenir de Âme brisée.

Le bazar Namiya est fermé depuis longtemps, mais par un curieux et inexpliqué phénomène, il va revivre une nuit, quand trois petits voyous vont s’y réfugier. L’ancien propriétaire avait pris l’habitude de répondre aux lettres que des inconnus déposaient dans sa boite aux lettres, lui demandant conseil face à un problème dans leur vie.

Durant cette nuit, le temps va se contracter et faire revivre certaines demandes d’il y a quarante ans, auxquelles les trois jeunes vont tenter de répondre. Le prétexte à raconter quelques tranches de vie qui s’entremêlent les une aux autres, de façon tout aussi étrange que cette contraction du temps. L’occasion aussi de montrer qu’un conseil de bonne foi peut être mal avisé, et finalement sera interprété par celui qui le reçoit pour correspondre à ce qu’il pense au fond de lui, peut-être inconsciemment.

La lecture est agréable (sans atteindre les sommets), on s’emmêle un peu entre les personnages, les époques et les destins croisés, mais si l’on fait abstraction de cette contraction du temps, c’est plaisant à lire, et le tout dans la culture et la société japonaise de ces 40 dernière s années.

Keigo Higashino, né en 1958, est un écrivain japonnais, auteur réputé de romans policiers bien ciselés. Il est reconnu en 1985 avec son roman « Après l’école » (non traduit), ce qui lui permet d’arrêt son travail d’ingénieur chez DENSO, et de se consacrer à l’écriture. En 2010, il reçoit le « Prix polar du meilleur roman international » à Colmar pour « La maison où je suis mort autrefois ». Auteur prolifique semble-t-il, plusieurs de ses écrits ont été adaptés à l’écran (ici).

Comprendre sa douleur – Earl Thompson

Troisième volume de l’histoire en partie autobiographique d’Earl Thompson, publié à titre posthume, après Un jardin de sable puis Tatoo.

Cette fois le personnage s’appelle Jarl Carlson, il est devenu adulte, et essaie de s’en sortir avec toujours autant de difficultés, incapable de trouver sa voie et sa place. Son enfance où il a du apprendre la vie à la dure tout seul, puis ses années d’armée et de guerres l’ont endurci sans l’épanouir.

Il suit des cours à l’université grâce à son allocation éducative de GI, et travaille dans un HP pour compléter son salaire. Il plaît aux femmes, participe à l’édition d’une revue universitaire, mais est profondément insatisfait :

Et donc, se disait-il, voilà à quoi j’en suis réduit : un grincheux, un aigri, qui vit dans une putain de YMCA, se tire sur la nouille en se demandant si sa bite rétrécit, s’il est assez masculin, s’il est barjot ou non de bosser pour une misère, et qui se sent coupable comme c’est pas permis parce que, même comme ça, il est certain d’être destiné à bien mieux que ses pairs, que ses ancêtres, que l’autre connard qui se paluche dans la chambre minable d’à côté.

Tout semble s’arranger lorsqu’il rencontre une jeune doctoresse divorcée et que le coup de foudre est réciproque. Mais il enverra tout balader sur un coup de tête, ou plutôt sur un malaise récurrent qui le hante :

Je suis une espèce de salopard congénital. Je le sais, et j’essaie de travailler là-dessus (…) Mais je passe mon temps à me rappeler d’où je viens, où je suis passé, ce que j’ai fait, et j’ai l’impression d’être un nègre blanc qui trompe une société qui ne soupçonne rien.
Il y a une phrase dans l’autobiographie de Woody Guthrie, En Route vers la gloire, qui dit à peu près: « Où que je sois, j’ai toujours l’impression que je devrais être ailleurs. »> C’est exactement ce que ressentait Carlson. Le pourquoi de cet état de fait, en revanche, était un mystère.

Il finira par se lancer dans l’écriture, persuadé d’être un grand écrivain. Le premier essai se révélera mauvais, et l’enverra toucher le fond. Ce n’est qu’à ce moment qu’il écrira vraiment quelque chose d’excellent, même s’il s’écoulera encore beaucoup de temps et de travail avant qu’il ne soit publié.

Contrairement aux deux premiers tomes, où l’on éprouve de l’empathie pour le jeune personnage malgré ses « dérives », ici c’est d’un homme adulte qu’il s’agit, qui se révèle parfois vraiment détestable et très égoïste. Mais c’est aussi un personnage étonnant, refusant de se plier à ce que la société « bien pensante » voudrait, intelligent, qui cerne bien les personnes qu’il rencontre, avec toujours ce rapport étrange au sexe, ainsi qu’avec les femmes : il aime, mais n’éprouve aucune jalousie, ni aucun besoin de fidélité, semblant confondre sexe et amour. Attention, les scènes de sexe sont assez nombreuses et plutôt crues.

Earl Thompson (1931-1978) est un écrivain américain. Les trois romans mentionnés ici sont largement autobiographiques, et celui-ci publié à titre posthume (titre original « The Devil to Pay »). Libération a relevé une ressemblance dans les romans sur sa jeunesse, avec « Mort à crédit » de Céline. Earl Thompson a aussi publié un autre roman (« Caldo Largo ») de son vivant, mais non traduit en français à ce jour. Il meurt d’une rupture d’anévrisme à l’apogée de son succès, à l’âge de 47 ans.

Le livre d’Ebenezer Le Page – Gerald Basil Edwards

J’aime cette collection « Les grands animaux » de la maison d’édition « Monsieur Toussaint Louverture ». Aussi quand la libraire de Concarneau m’a conseillé ce roman, je l’ai pris.

C’est l’histoire d’une vie, la sienne, que nous raconte Ebenezer Le Page, alors qu’il est âgé de 80 ans et sent que la fin approche. C’est un pur habitant de Guernesey, l’île anglo-normande qu’il n’a jamais quitté. Il a vu passer la 1ere guerre mondiale, y a échappé tout en voyant des amis partir pour défendre l’Angleterre, et certains ne pas revenir… La seconde guerre mondiale verra les allemands occuper son île chérie qui va ensuite se transformer avec le tourisme à l’époque moderne. Les noms de lieux et de rues sont en français, héritage du duché de Normandie, et les habitants parlent un patois où le vieux français se fait sentir.

Ebenezer a du caractère, c’est le moins que l’on puisse dire, a mené une vie solitaire, athée au milieu de cathos, anglicans et méthodistes ; il assume son indépendance, sans prétendre être ni intelligent ni parfait, et est souvent assez réactionnaire, dans le sens où « c’était mieux avant ». Les cancans de l’île sont racontés avec force détails, histoires de familles, de mariages, de fâcheries, de générations… Y compris son histoire d’un amour qui n’aboutira pas avec la belle Liza Quéripel, ou la mort de son ami d’enfance Jim qu’il n’oubliera jamais (il oublie peu de choses il est vrai), ou encore la difficulté à vivre de son cousin Raymond, travaillé par des amours interdites… À travers tout cela, c’est la vie de l’île qu’il nous raconte, avec son franc-parler, ses jugements sans appel, sa franchise aussi, et son humour jamais très loin.

La fin est particulièrement émouvante, quand Ebenezer se met en quête de trouver un héritier, lui qui n’a plus de famille hormis des cousins au troisième ou quatrième degré. Il va les voir pour les jauger, sans qu’aucun ne trouve grâce à ses yeux. Mais il finira par trouver la bonne personne, et cette rencontre finale est vraiment très belle.

Gerald Basil Edwards (1899-1976), né à Guernesey, est un auteur britannique dont cet ouvrage est le seul livre. Il l’écrit à la fin de sa vie, alors qu’il vit en ermite, sans réussir à le faire publier. C’est un ami qui y parviendra quelques années après sa mort, et le livre connaîtra le succès.

La génération de l’utopie – Pepetela

Livre recommandé par François Busnel dans la petite librairie, avec cette histoire relatant la désillusion de jeunes Angolais après la révolution et l’indépendance acquise dont le titre m’a tout de suite interpelé. Et je n’ai pas été déçu, c’est passionnant de bout en bout.

Sara, Aníbal, Malongo, Vítor et Elias sont étudiants angolais à Lisbonne, quand les premiers mouvements de libération armés apparaissent en Angola (1961). Le milieu étudiant est en ébullition à la Maison des Étudiants de l’Empire, sous l’œil du PIDE, la police politique du gouvernement Salazar.

Sara, étudiante en médecine, sort avec Malongo, joueur de foot semi-pro, plus intéressé par la fête et les filles que par la politique. Sara est très lucide et clairvoyante (sauf en amour) mais est tenue un peu à l’écart en tant que femme de ce qui se trame dans les coulisses de la Maison des Étudiants. Anibal, qui après une licence d’histoire et de philosophie, effectue son service militaire obligatoire, va devoir fuir rapidement pour éviter de partir se battre contre son pays natal. Vitor lui, échoue à ses examens et étudie peu, s’intéresse à la politique mais sans vraiment s’impliquer, et souffre du racisme montant à Lisbonne. Quant à Elias, qui ne fait pas vraiment partie du groupe, il vit dans un foyer protestant en dehors de Lisbonne ; c’est un intellectuel, politisé, et justifiant la violence nécessaire à la révolution.

Le roman se divise en quatre parties qui englobent une période de 30 ans, du début de la lutte armée (1961), jusqu’aux accords de paix après la guerre civile entre différents groupes révolutionnaires comme le MPLA et l’UNITA (1991), en passant par l’indépendance après la chute du gouvernement Salazar et la révolution des œillets (1975). Nos cinq personnages, avec chacun son parcours, se retrouveront tous à Luanda, la capitale de l’Angola, à la fin de l’histoire.

Roman passionnant, retraçant l’itinéraire de ces jeunes pleins d’espoir pour leur pays natal, et qui verront peu à peu leurs belles idées d’indépendance, de justice et d’égalité se fracasser face à la réalité. Cinq destins très différents, et une fresque pour laquelle on se passionne, car si elle est historique elle sait rester au niveau des individus qui la composent.

Pepetela, de son vrai nom Artur Pestana, est né en 1941 à Benguela et est un écrivain angolais. Après des études au Portugal il s’exile à Paris et à Alger. En 1960 il s’engage dans la guerre d’indépendance avec le MPLA et en 1975 il est nommé Vice-Ministre de l’Éducation. Professeur de sociologie et écrivain, il a publié une quinzaine de livres. En 1997, le Prix Camões, le plus important prix littéraire de la langue portugaise, lui a été décerné pour l’ensemble de son œuvre.

Lectures, Ubuntu, Smartphone, Cinéma, entre autres…