
C’est Simone de Beauvoir qui parlait de George Jackson dans le dernier tome de ses mémoires. Elle expliquait qu’elle et Sartre comptaient se rendre à son procès, mais qu’il fût abattu avant que celui-ci n’eût lieu (par un gardien, dans la cour de la prison). J’ai eu envie d’en savoir plus sur cette histoire.
Beau bouquin avec trois préfaces avant de commencer : une première de Jean Genêt essentiellement sur les conditions carcérales et le racisme aux États-Unis, lui qui a fait de la prison et fréquenté les Black Panthers…
Puis une seconde par le collectif Angles Morts (qui milite sur la violence et les crimes policiers) qui retrace l’histoire du racisme quasi institutionnel aux États-Unis, et particulièrement en prison (dont parlait Edward Bunker dans « La bête contre les murs », et que justement Jackson va dépasser pour rallier tous les détenus dans une lutte contre le système et les matons), tout en reprenant tout l’historique de ce qui est arrivé à George Jackson. Passionnant, sauf à la fin où ils font un parallèle avec la situation en France, avec un chapitre intitulé : « Des frères de Soledad aux frères de Villiers-le-Bel».
Goerge Jackson est « présent » pour tous ceux qui sont tombés sous les coups de la police et pour ceux qu’on enferme et qui meurent derrière les murs des prisons françaises.
Comparer la situation raciale et pénitentiaire entre les États-Unis et la France, c’est largement hors sujet, du fait même du côté institutionnel de l’autre côté de l’Atlantique développé au début de leur propre texte.
La troisième préface est écrite par le neveu de George Jackson, le fils de son frère Jonathan. Ce dernier fut abattu par la police alors qu’il tentait une action armée pour libérer les frères de Soledad :
Ce jour-là, Jonathan Jackson fait irruption, fusil au poing, dans le tribunal du comité de Marin où est jugé James McClain, un prisonnier noir accusé d’avoir poignardé un maton à San Quentin. À l’aide de deux prisonniers présents pour témoigner en faveur de James McClain, William Christmas et Ruchell Magee, Jonathan Jackson prend cinq otages, dont le juge et le substitut du procureur. Il exige la libération des Frères de Soledad. Quelques minutes plus tard, une pluie de balles s’abat sur la fourgonnette où Jonathan Jackson avait amené les otages. Jonathan, dix-sept ans, William Christmas et James McClain sont abattus, ainsi que le juge.
Vient ensuite une première lettre, sorte d’autobiographie de Jonathan Jackson, qui éclaire un peu son personnage, sa construction. Comme il le dit lui-même, il a toujours été en opposition, que ce soit à la maison ou à l’école. Issu d’une famille très pauvre, il s’en suit une vie dans la rue à ne faire que ce qu’il veut, des petits vols, des bagarres, le racisme… Le destin est tout tracé : maison de redressement, prison… Accusé d’avoir volé 70$ dans une station-service, il accepte un marché : avouer et n’avoir en retour qu’une légère peine de prison à la prison du comté. Mais il écope d’une condamnation à vie au pénitencier. Il a dix-huit ans !
En fait il est condamné à une peine indéterminée (jolie invention américaine), et doit chaque année passer devant une commission qui décide ou non de lui accorder une liberté conditionnelle, qu’il n’obtiendra jamais, quelque soit sa conduite. La même peine donc que Ron dans La bête contre les murs d’Edward Bunker. Au fil de ces années de prison, George Jackson s’y politisera, se formera aux théories révolutionnaires et adhérera au Black Panther Party, d’inspiration marxiste-léniniste.
Les circonstances de sa mort ne sont pas très claires : George Jackson est retrouvé mort dans la cour de promenade de la prison, abattu par les tirs d’un garde, au terme de ce qui sera présenté comme « une tentative d’évasion ». Les versions contradictoires et improbables présentées à la presse par l’administration pénitentiaire n’arrangeront rien, et James Baldwin dira: « Aucun Noir ne croira jamais que Jackson est mort de la façon dont ils nous ont dit qu’il était mort ».
Venons-en maintenant aux lettres proprement dites.
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