Le cycle de l’Ekumen – Ursula Le Guin

C’est en écoutant un podcast de France Culture dans la série Les romans qui ont changé le monde que je suis tombé sur cet épisode consacré à « La main gauche de la nuit » d’Ursula Le Guin, qui vient de bénéficier d’une réédition accompagnée d’une traduction révisée.

Je connaissais le nom d’Ursula Le Guin, j’ai même un vieux « Livre d’or de la SF » qui lui est consacré sur mes étagères, mais cela remonte à très loin, je n’en ai aucun souvenir…

L’émission était assez élogieuse pour cet auteur aujourd’hui décédée qui aurait pu (du) avoir le prix Nobel de littérature, et du coup je me suis penché sur ses œuvres quand je préparais mon voyage en Asie. Quitte à être dépaysé, la SF comme littérature de voyage, c’est pas mal… D’autant que Catherine Dufour, qui préface cette édition collector, et présente à l’émission sur FC, précise :

Un des rôles de la science fiction, c’est de décaler légèrement le réel et le point de vue, pour que la réalité de notre société nous saute à la face ; c’est précisément ce que fait Ursula Le Guin.

Et c’est un peu ce qui nous arrive en voyage ! 😎

À propos du podcast, on peut trouver la liste des « romans qui ont changé le monde » sur cette page (cela peut donner des envies ou des idées de lecture). J’en ai lu quelques uns : « Voyage au bout de la nuit » de Céline, « Au nom de la rose » d’Umberto Eco, « Un barrage contre le pacifique » de Marguerite Duras, « L’œuvre au noir » de Margerite Yourcenar, « Le seigneur des anneaux » de J.R. Tolkien, et ce sont tous de bons bouquins, sans oublier bien sûr « La main gauche de la nuit » d’Ursula Le Guin. Seule exception à cette liste : « Mrs Dalloway » de Virginia Woolf qui m’a profondément ennuyé.

J’ai aussi noté quelques titres à lire : « Bonjour tristesse » de Françoise Sagan, « La Storia » d’Elsa Morante, et peut-être « L’année de la mort de Fernando Reis » de José Saramago.

Mais revenons à Ursula Le Guin : j’ai donc emporté sur ma liseuse le cycle de l’Ekumen. Il se divise en deux parties : « La Ligue de tous les mondes » composés de trois romans, puis « L’Ekumen », composé de quatre romans. Il existe aussi des recueils de nouvelles qui viennent s’insérer et compléter l’œuvre, mais je m’en suis tenu uniquement aux romans.

Voyons voir un peu cela…

La ligue de tous les mondes

  • Le Monde de Rocannon, 1966
  • Planète Exil, 1966
  • La Cité des Illusions, 1967

Ces trois premiers romans, s’ils permettent de rentrer dans le monde imaginé par Ursula Le Guin, ne m’ont pas enthousiasmé plus que cela. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de les lire pour attaquer le deuxième cycle.

L’histoire du monde imaginé par contre vaut le détour : il y a des centaines de milliers d’années, la civilisation hainienne a colonisé de nombreux mondes dont la terre, disséminant ainsi des humanités à travers l’univers. Puis la civilisation s’écroula, et chaque monde vécu sa propre histoire, coupé des autres et oubliant leur existence.

On trouve d’ailleurs en Poche, réunis en deux tomes d’une épaisseur respectable, l’intégrale des textes (romans et nouvelles) liés au cycle de l’Ekumen (supervisé par l’autrice). Pour les fans qui veulent tout lire, et dans l’ordre. Les nouvelles ne font apparemment que renforcer le monde créé en traitant et détaillant l’un de ses multiples aspects.

Le rêve de l’Ekumen, c’est donc de restaurer cette ancienne communauté, afin de partager la connaissance (et développer le commerce) entre tous ces peuples. Car si l’invention de l’ansible (sorte de terminal) permet d’échanger du texte en temps réel malgré les énormes distances entre les mondes, les lois de la physique s’appliquent toujours pour les voyages physiques, obligeant à placer les voyageurs en état d’hibernation : s’ils ne vieillissent pas durant le voyage, le temps continue de s’écouler inexorablement dans le monde qu’ils ont quitté, rendant un éventuel retour compliqué.

Cette ligue des mondes (l’Ekumen) envoie donc des émissaires sur chaque planète pour l’étudier dans un premier temps, et voir s’il est temps de leur proposer de rejoindre la ligue. Il faut procéder avec précaution, ne rien forcer, laisser chaque monde décider en toute liberté, selon ses croyances, le niveau de développement, les pouvoirs en place, le mode de société (communautaire ou individualiste), etc…

Voilà pour le cadre dans lequel les différentes histoires se déroulent. C’est assez bien imaginé, et très prenant. Ursula Le Guin, fille d’anthropologue, a pour sa part suivi des études d’ethnologie, et cela apporte une indéniable qualité aux mondes imaginés.

L’Ekumen

  • La Main gauche de la nuit, 1969
  • Le nom du monde est forêt, 1972
  • Les Dépossédés, 1974
  • Le Dit d’Aka, 2000

Cette deuxième partie du cycle est passionnante, et peut donc être lue indépendamment de la première. Les quatre romans sont excellents, et traitent chacun d’un problème différent :

La main gauche de la nuit : sans doute le chef d’œuvre d’Ursula Le Guin. Sur cette planète, les êtres ne sont genrés qu’une fois par mois, lors d’une poussée hormonale, et peuvent être aussi bien femme ou homme. Il en découle de profondes différences que l’émissaire (sexué) de l’Ekumen va découvrir.

Le nom du monde est forêt : cette fois, ce sont les terriens, avant la ligue des mondes, qui colonisent une planète aux ressources en bois immenses, jusqu’à en altérer l’écosystème. Les indigènes, apathiques et rêveurs, sont traités en esclave, et se révoltent une première fois. Entre-temps, la terre rejoint la Ligue et des instructions arrivent par l’ansible enjoignant aux terriens de libérer les indigènes. Petit roman férocement écologique et anti-colonialiste.

Les dépossédés : sur la planète Urras, une révolte d’ouvriers anarcho-syndicalistes ont amené il y a deux cents ans à une séparation des deux visions de société : la lune Anarres a été offerte aux révoltés avec une garantie d’indépendance. Les deux sociétés se sont donc développées chacune selon leur système de pensée, l’une de type capitaliste, l’autre de type communiste libertaire. Mais Shevek, un physicien d’Anarres, va développer une théorie temporelle qui pourrait révolutionner les voyages spaciaux (peut-être l’origine de l’invention de l’ansible) et va être contacté par les savants d’Urras. Shevek va découvrir les sociétés d’Urras et aussi se rendre compte que sa société n’est plus aussi libertaire qu’elle le prétend.

Le dit d’Aka : Sutty, une terrienne, est envoyé par l’Ekumen sur la planète Aka. La découverte de l’existence de l’Ekumen et de son projet a jeté le trouble dans la société d’Aka. Un courant scientiste a pris l’ascendant, cherchant à détruire férocement l’ancienne culture, pourtant riche d’enseignements. C’est tout ce que ne veut pas l’Ekumen, et Sutty la terrienne où un courant antiscientifique et religieux a récemment failli tout emporter, est peut-être la mieux placée pour sauver ce qui peut l’être.

Voilà quatre romans de haute tenue, aux thèmes universels (il suffit de penser aux problématiques de genre et au retour du religieux de nos jours…), utilisant parfaitement ce que permet la science-fiction pour les développer et en tirer le meilleur. S’il y a peut-être parfois certaines longueurs, on est captivé et surtout incapables de prédire ce qui va se passer dans ces mondes inconnus. Du grand art !

Ursula Le Guin (1929-2018) est une écrivaine américaine de science-fiction et de fantasy. Ses thèmes favoris sont l’anarchisme, le taoïsme, le féminisme, l’ethnologie (forcément), la psychologie et la sociologie.

Côté prix littéraires, elle a reçu aux États-Unis sept prix Hugo, six prix Nebula et vingt-deux prix Locus. En France, elle a notamment reçu le Grand prix de l’Imaginaire. Elle a été mentionnée plusieurs fois comme possible lauréate du Nobel de littérature.

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