L’Amérique au jour le jour 1947 – Simone de Beauvoir

L'Amérique au jour le jour 1947 - Simone de Beauvoir Simone de Beauvoir, on en a beaucoup parlé il y a deux ans : elle aurait eu cent ans en 2008 (on commémore comme on peut…). J’avais vu à cette époque un téléfilm racontant son compagnonnage avec Jean-Paul Sartre, et qui donnait envie d’en savoir plus sur cette femme. Mais j’hésitais à lire son oeuvre majeure « Le Deuxième Sexe », imposant avec ses deux tomes et peut-être trop sérieux à mon goût… C’est sur les conseils de Claude (fervente lectrice) que j’ai commencé par ce livre. Et je n’ai pas été déçu !

A tel point que je ne vois rien de mieux à écrire que le quatrième de couverture pour décrire ce roman :

J’ai passé quatre mois en Amérique : c’est peu ; en outre, j’ai voyagé pour mon plaisir et au hasard des occasions ; il y a d’immenses zones du nouveau monde sur lesquelles je n’ai pas eu la moindre échappée ; en particulier, j’ai traversé ce grand pays industriel sans visiter les usines, sans voir ses réalisations techniques, sans entre en contact avec la classe ouvrière. Je n’ai pas pénétré non plus dans les hautes sphères où s’élaborent la politique et l’économie des U.S.A. Cependant, il ne me parait pas inutile, à côté des grands tableaux en pied que de plus compétents ont tracés, de raconter au jour le jour comment l’Amérique s’est dévoilée à une conscience : la mienne.
J’ai adopté la forme d’un journal, j’ai respecté l’ordre chronologique de mes étonnements, de mes admirations, de mes indignations, mes hésitations, mes erreurs. Voilà ce que j’ai vu et comment je l’ai vu ; je n’ai pas essayé d’en dire davantage.

Que dire de plus clair ? Et c’est exactement ce que l’on va découvrir. Elle dresse un portrait de l’Amérique qui n’a rien perdu de son acuité soixante ans plus tard. Il faut dire que son jugement porte au-delà des apparences, n’est pas agrégée de philosophie qui veut (deuxième du concours… derrière Sartre !)…Vous partez en voyage aux États-Unis ? emmenez ce livre, vous y apprendrez beaucoup sur le pays et ses habitants. C’est de plus admirablement écrit… un vrai bonheur.

J’ai particulièrement aimé sa manière de découvrir une ville, se promenant dans les rues centrales comme celles de la périphérie, dans les quartiers riches comme dans les ghettos. Le soir, ce seront les bars et les boites de jazz (noir, déjà dur à trouver), ou encore les tripots, selon l’endroit…

Un soir à New-York, ville qui saura la séduire, et contemplant les lumières de la ville, elle écrit :

Non, les promesses de ce ciel, de ces lumières, ne peuvent être tenues nulle part ; il n’existe aucune chose toute faite qui s’accorde avec la splendeur de ces nuits ; cette plénitude dont je rêve, qui me serait donnée hors de moi, ce ne sera jamais qu’un fantôme : il ne me sera jamais promis rien d’autre que moi-même, et moi-même ce n’est rien si je n’ai rien à faire de moi. La nuit n’est qu’un décor ; si j’essaie de la saisir, d’en faire la substance même des instants que je vis, elle fond dans mes mains. Il faudrait que quelque chose m’arrive, quelque chose de vrai, et tout le reste me serait donné par surcroît.

On a probablement tous ressenti cela ; «moi-même ce n’est rien si je n’ai rien à faire de moi» me parait une très fine observation. Elle aborde le même sujet un peu plus tard, devant le Grand Canyon :

Il est là, je suis là : on voudrait que quelque chose se passe. Je regarde, c’est tout, et il ne se passe rien. C’est la même histoire, chaque fois. L’an dernier, il y avait le moutonnement des dunes couleur d’abricot et les palmiers glacés par la lune : rien ne s’est passé. Sable, pierre, lune, soleil couchant ; les choses sont là et je suis là et nous nous affrontons. Pour finir, c’est toujours moi qui me lève et qui m’en vais.

Je pourrai citer plein de réflexions auxquelles elle se livre, toutes plus intéressantes les unes que les autres, abordant ainsi les sujets récurrents de l’Amérique : la société de consommation et l’illusion du choix qu’elle propose, le racisme et la condition des noirs (son analyse est fouillée et passionnante), la place des intellos et des écrivains voir des sympathisants communistes américains (on est quelques années avant le Maccarthisme, mais déjà…), la place des pauvres, le positivisme forcené, l’hypocrisie des règles de société, la fameuse égalité des chances (déjà bien altérée à cette époque), le fatalisme, l’immigration, et bien sûr la condition féminine.
La liste a l’air d’une longue critique… mais son jugement n’est pas toujours négatif, loin de là. Elle observe et analyse ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, voilà tout. Ce n’en est que plus fort.

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Simone de Beauvoir, de son vrai nom Simone-Lucie-Ernestine-Marie Bertrand de Beauvoir (!) est née en 1908 et morte en 1986 à Paris. Philosophe, romancière et essayiste, compagne de Jean-Paul Sartre avec qui (et d’autres) elle fondera la revue « Les temps modernes », adepte de l’existentialisme et attachée au combat pour la condition de la femme. Elle a écrit plusieurs récits autobiographiques qui doivent valoir le détour : Mémoires d’une jeune fille rangée, Une mort très douce et Tout compte fait.

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