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Aucune bête aussi féroce – Edward Bunker

Et je termine ma série Edward Bunker par son premier roman, celui qui lui offrit la reconnaissance, et certainement le plus complet, le plus abouti.

Max Dembo sort de San Quentin en liberté conditionnelle, et bien décidé à rester dans le droit chemin. Hélas, Rosenthal, son directeur de conditionnelle est du genre psycho-rigide et lui impose des contraintes que Max ne peut accepter. Alors entre ses anciens amis peu fréquentables, et la quasi impossibilité de trouver un emploi en devant déclarer « je sors de prison », la partie n’est pas gagnée…

Quand Rosenthal va le faire enfermer une semaine pour une simple suspicion (erronée) de consommation de drogue, Max va craquer et retourner du mauvais côté de la loi. Il va monter deux cambriolages avec un certain succès, et même rencontrer une femme avec qui il s’entend à merveille… Malgré la tension permanente d’une vie de fugitif, il semble plutôt bien s’en sortir même s’il se sait en sursis. Puis viendra le gros coup, une bijouterie, qui permettrait d’être tranquille un bon bout de temps. Tout est préparé avec minutie et professionnalisme, à la minute près. Mais tout va basculer, et Max va se retrouver pourchassé par la police, l’instinct de survie à fleur de peau, avec la dose de paranoïa indispensable.

C’est un grand roman noir, Bunker y décrit très bien le cheminement qui ramène Max presque inexorablement vers le seul monde qu’il connaît. Ses pensées, ses raisonnements, ses réactions sont finement décrites, comme la description des changements qui se sont opérés dans Los Angeles pendant son long séjour en prison… On est happé par le destin presque écrit par avance, encore que la fin réserve une surprise…

Petit extrait révélateur, lorsqu’un barman refuse de répondre aux questions de Max. Ce dernier l’insulte copieusement, prêt à lui sauter à la gorge :

Ma salive gicla jusqu’à lui. Ses yeux s’écarquillèrent. Le mépris se trouva soudain remplacé par la peur. Il battit en retraite jusqu’à se cogner contre le comptoir derrière lui.
Je tremblais — mais la vue de son visage dissipa mes furies. Seul le vague souvenir, surgi du fond de ma mémoire, qu’une bagarre verrait mon retour en prison, m’avait empêché de plonger au-dessus du bar et de le frapper jusqu’à l’inconscience. Et si mes paroles de furies n’avaient pas déclenché la réaction voulue, j’aurais été prêt à aller jusqu’au bout malgré tout. J’avais l’habitude des hommes qui se respectaient les uns les autres — non par simple savoir-vivre, mais parce que chacun savait que l’autre était dangereux et que le moindre manquement pouvait dégénrer en violence, voire en meurtre, aussi brutalement qu’une éruption de volcan.

C’est ce roman, écrit en prison, qui va le faire découvrir comme écrivain, grâce à la protection de Louise Wallis, l’épouse d’un producteur d’Hollywood. Il lui aura fallu dix-sept années d’écriture, et six romans refusés, pour être enfin publié.

Edward Bunker (1933-2005) est un écrivain américain auteur de romans policiers, et scénariste de cinéma. Il fut le plus jeune détenu (17 ans) à être incarcéré à San Quentin, l’un des pénitenciers les plus durs des États-Unis (deux évasions à son actif, dont une de deux ans). Il sort pour la dernière fois de prison en 1975, soit à 42 ans ! Il a notamment écrit :

  • No Beast so Fierce (1973, Aucune bête aussi féroce, adapté à l’écran sous le titre Straight Man (1978), Le Récidiviste avec Dustin Hoffman). Ce roman donc.
  • The Animal Factory (1977, La Bête contre les murs, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2000) avec Willem Defoe).
  • Little Boy Blue (1981, La Bête au ventre).
  • Dog Eat Dog (1995, Les Hommes de Proie, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2016) avec Nicolas Cage).

Les hommes de proie – Edward Bunker

Je continue de relire E. Bunker, avec cette fois son quatrième roman, au titre original plus évocateur : « Dog Eat Dog ». Ça ne va pas rigoler…

Ils sont trois, anciens pensionnaires de San Quentin, la célèbre prison de Californie. Dès le premier chapitre, on découvre Mad Dog, accro à l’héroïne, tueur sans scrupule, paranoïaque, dangereux et instable. Diesel, lui s’en sort pas trop mal, avec une femme et un enfant, travaillant pour un syndicat comme exécuteur des basses œuvres comme quand un professionnel ne veut pas jouer le jeu…

Tous deux attendent la sortie de prison de Troy, qu’ils respectent et sont prêts à suivre quoiqu’il propose. Et Troy a bien réfléchi : il va s’attaquer aux gangsters et aux trafiquants de drogue, comme ça personne n’ira se plaindre à la police… Si le premier coup se passe plutôt bien, les choses vont vite mal tourner, et la violence se déchaîner.

Comme toujours avec Bunker, l’histoire se place du côté des truands, vu de leur monde, et avec leurs règles. Ici, l’auteur insiste bien sur le fait que la prison rend les hommes pires à leur sortie que lorsqu’ils y sont entrés. Et on n’est pas déçu, le pire, on va y avoir droit, c’est du roman noir de chez noir ! Un grand polar.

Un film éponyme en a été tiré en 2017, réalisé par Paul Schrader, avec Nicolas Cage : aussi mauvais sur le bouquin est bon ! 🙁 D’ailleurs, Nicolas Cage a tout de même participé à un sacré paquet de navets mine de rien, paraît-il pour assurer son train de vie dispendieux…

Edward Bunker (1933-2005) est un écrivain américain auteur de romans policiers, et scénariste de cinéma. Il fut le plus jeune détenu (17 ans) à être incarcéré à San Quentin, l’un des pénitenciers les plus durs des États-Unis (deux évasions à son actif, dont une de deux ans). Il sort pour la dernière fois de prison en 1975, soit à 42 ans ! Il a notamment écrit :

  • No Beast so Fierce (1973, Aucune bête aussi féroce, adapté à l’écran sous le titre Straight Man (1978), Le Récidiviste avec Dustin Hoffman).
  • The Animal Factory (1977, La Bête contre les murs, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2000) avec Willem Defoe).
  • Little Boy Blue (1981, La Bête au ventre).
  • Dog Eat Dog (1995, Les Hommes de Proie, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2016) avec Nicolas Cage). Ce roman donc.

La Bête contre les murs – Edward Bunker

Deuxième lecture d’Edward Bunker après La Bête au ventre (je ne les lis pas dans l’ordre, mais peu importe), ce roman traite plus particulièrement de l’incarcération, de la vie en prison.

Ron, 25 ans, fils de bonne famille, mais trafiquant de drogue à la belle vie (argent facile), se retrouve emprisonné à San Quentin. Il se retrouve confronté au monde sans pitié de la prison, et se fait vite remarquer avec sa jeunesse et sa belle gueule… Heureusement, il va trouver une protection en la personne de Earl, un vieux briscard membre de La Fraternité Aryenne, confrérie qui protège les prisonniers blancs.

Ron découvre un monde où le moindre signe de faiblesse est immédiatement exploité, et où la guerre raciale est omniprésente et peut se déclencher à tout moment… Il a apprendre à survivre dans ce milieu, et va trouver en Earl une sorte de père et un ami avec qui échanger des idées ou partager des lectures. Ron attend la révision de son jugement et espère sortir assez rapidement pour bonne conduite. Mais dans cet univers qui change les hommes radicalement, tout ne va pas se passer comme prévu…

La prison a deux codes de lois, apprit Ron, celui de l’administration et celui des prisonniers. Afin de pouvoir retrouver la liberté, le prisonnier ne doit pas être pris à enfreindre la loi de l’administration, qui ressemble très vaguement aux limites qu’impose la société. Mais pour survivre, il doit suivre les codes des bas-fonds.

Un roman captivant, et assez terrible sur les conditions de vie dans une telle prison.

Edward Bunker (1933-2005) est un écrivain américain auteur de romans policiers, et scénariste de cinéma. Il fut le plus jeune détenu (17 ans) à être incarcéré à San Quentin, l’un des pénitenciers les plus durs des États-Unis (deux évasions à son actif, dont une de deux ans). Il sort pour la dernière fois de prison en 1975, soit à 42 ans ! Il a notamment écrit :

  • No Beast so Fierce (1973, Aucune bête aussi féroce, adapté à l’écran sous le titre Straight Man (1978), Le Récidiviste avec Dustin Hoffman).
  • The Animal Factory (1977, La Bête contre les murs, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2000) avec Willem Defoe), ce roman donc.
  • Little Boy Blue (1981, La Bête au ventre).
  • Dog Eat Dog (1995, Les Hommes de Proie, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2016) avec Nicolas Cage).

La Bête au ventre – Edward Bunker

C’est l’été, la saison pour aller à la plage, et donc de choisir quelques vieux polars en format poche sur mon étagère… Cette année, j’ai jeté mon dévolu Edward Bunker, qui m’avait laissé de bons souvenirs.

Plus qu’un polar, celui-ci est le récit de l’enchaînement des faits qui vont conduire un gamin de 11 ans vers la case prison, et ce de manière pratiquement inexorable. L’auteur s’attache à expliquer ce qui pousse Alex à agir (ou plutôt à réagir) de la sorte, et c’est passionnant. En plus, c’est certainement en partie autobiographique, puisque c’est un peu le chemin qu’a suivi l’auteur.

Abandonné par sa mère, et le père n’étant pas en situation de l’élever seul, Alex est ballotté de foyers d’adoption en écoles militaires dès l’âge de quatre ans, et va très vite se rebeller. Dès les premières pages du roman, l’auteur nous explique très bien tout ça :

Au départ, ses rébellions avaient été aveugles, moins actes délibérés que réactions réflexes à la douleur — douleur de la solitude et de l’absence d’amour, bien qu’il n’eût pas de nom à l’époque pour ces choses, pas même aujourd’hui encore. Une part de lui échappait à tout contrôle lorsqu’il se retrouvait confronté à l’autorité, et il était enclin à de violentes explosions spontanées devant la plus petite provocation.Les garçons privilégiés, en particulier dans les écoles militaires, le regardaient de haut et déclenchaient ses furies, et leur suite inéluctable de punitions en représailles qui expliquaient les raisons de ses fugues. L’un après l’autre, foyers et institutions militaires annonçaient à son père que le gamin devait partir. D’aucuns le considéraient épileptique ou psychotique, mais son électro-encéphalogramme négatif les avait réfutés, et un psychiatre qui travaillait comme bénévole au Community Chest le trouva normal. À chaque fois qu’il se faisait renvoyer, il gagnait de pouvoir rester auprès de son père, dans le meublé que ce dernier occupait, quelques jours durant, voire une semaine, et il dormait sur un petit lit pliant. Il était heureux pendant ces interludes. Rébellion et chaos avaient leur finalité — il échappait ainsi aux tourments. Le temps qui s’écoulait entre son arrivée et l’explosion commença à se faire de plus en plus court.

Le tableau est dressé, et Alex va se diriger vers son destin, incapable de se maîtriser face à l’injustice, à l’abus d’autorité… À cela vont vite s’ajouter les règles entre jeunes délinquants : ne jamais montrer aucun signe de faiblesse sinon on devient une victime ou une cible, n’accepter ou ne proférer aucune insulte ou remarque désobligeante (le code sur ce que l’on peut dire ou non est déjà très strict…). La seule réponse possible est toujours la même : la violence quelqu’en soit les conséquences. L’auteur décrit bien d’où viennent tous ces jeunes :

Ils étaient nombreux, les ignares et les coléreux, les jeunes noirs illettrés du Sud rural, qui s’étaient retrouvés à Watts au fur et à mesure que le métayage disparaissait au profit d’une mécanisation de l’agriculture ; leurs parents cherchaient un emploi d’ouvrier d’usine et eux se retrouvaient livrés à eux-mêmes dans les rues de la cité. Les Chicanos, et ils étaient nombreux dans ce cas, racontaient des histoires similaires, sauf que leurs parents étaient venus de l’autre côté de la frontière. Et les accents d’Oklahoma étaient fréquents chez les Blancs : c’était les enfants du Dust Bowl, ou alors, ils étaient nés de foyers brisés ou de parents alcooliques. Des jeunes de toutes races, incapables de traiter le moindre problème autrement que par des explosions de furie,des enfants dérangés, victimes ultimes de maladies de famille et de société, pareilles à une litanie sans fin.

Une chose tout de même différencie Alex des autres : il est loin d’être stupide et s’exprime bien (il doit même faire attention à adapter son langage en fonction de son interlocuteur s’il veut éviter des ennuis). Son seul refuge est la lecture et il n’est jamais aussi calme et serein que lorsqu’il est au trou avec quelques livres.

Il profitera de quelques moments de liberté entre deux établissements, à la faveur d’une évasion ou d’une conditionnelle, sans vraiment savoir quoi en faire finalement, sans autre rêve que d’avoir de belles fringues et de voler une voiture, trop jeune qu’il est pour imaginer autre chose que de profiter du moment présent. Il se persuade petit à petit qu’il est destiné à vivre de l’autre côté de la loi, et son audace grandit avec le temps. On le quittera à 16 ans, lors d’un braquage qui tourne mal et qui l’enverra sans doute en prison.


Edward Bunker (1933-2005) est un écrivain américain auteur de romans policiers, et scénariste de cinéma. Il fut le plus jeune détenu (17 ans) à être incarcéré à San Quentin, l’un des pénitenciers les plus durs des États-Unis (deux évasions à son actif, dont une de deux ans). Il sort pour la dernière fois de prison en 1975, soit à 42 ans ! Il conteste plus ou moins son passé de criminel, en déclarant :

Si je devais mettre sur une balance tout ce que j’ai fait à la société et tout ce que celle-ci m’a fait, je ne sais de quel côté elle pencherait.

Il faut sans doute comprendre cette phrase dans le sens où les prisons américaines sont extrêmement dures, et l’on en ressort souvent pire que lorsqu’on y est entré, inadapté à la société qui de toutes façons vous rejette. C’est le sens de plusieurs de ses romans d’ailleurs.

Il a notamment écrit :

  • No Beast so Fierce (1973, Aucune bête aussi féroce, adapté à l’écran sous le titre Straight Man (1978), Le Récidiviste avec Dustin Hoffman).
  • The Animal Factory (1977, La Bête contre les murs, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2000) avec Willem Defoe).
  • Little Boy Blue (1981, La Bête au ventre), ce roman donc.
  • Dog Eat Dog (1995, Les Hommes de Proie, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2016) avec Nicolas Cage).

Il a également joué comme acteur, toujours pour de brèves apparitions, notamment dans Le Récidiviste et Animal Factory, mais aussi dans Reservoir Dogs de Quentin Tarantino (M. Blue), ou encore Running Man de Paul Michael Glaser (Lenny).

Quentin Tarantino, Michael Madsen, Edward Bunker, and Steve Buscemi dans Reservoir Dogs.

Enfin, le personnage de Nate, un criminel de carrière qui s’occupe de recel dans le film Heat (1995), joué par Jon Voight, aurait été inspiré par Bunker, qui était consultant pour le réalisateur Michael Mann.

Les frères K – David James Duncan

Toujours dans cette belle collection « Les grands animaux » de Monsieur Toussaint Louverture (c’est mon septième, et ils s’alignent très joliment dans la bibliothèque…), j’ai choisi ce roman sur la table du libraire sans trop savoir de quoi il retournait.

Il s’agit ici d’un roman assez verbeux (800 pages), bien écrit certes, mais empreint de culture américaine à tel point que l’intérêt en est tout de même diminué : notamment pour ce qui concerne le baseball qui occupe toute la première partie du récit, ainsi que l’aspect religieux de la société, avec un point de vue assez critique certes, mais qui est omniprésent tout au long de l’histoire. Hormis ces deux écueils, le récit est plaisant et nous emmène là où on ne l’attend pas, et c’est là son plus grand atout.

C’est l’histoire de la famille Chance, composée de 6 enfants : le père est un ancien espoir du base-ball, qui a malencontreusement perdu son pouce dans une machine outil, mais qui va tout faire pour réapprendre à lancer la balle après une longue période d’abattement… La mère quant à elle est une adepte acharnée de la religion protestante adventiste, qui va s’enfoncer dans ses croyances jusqu’à rompre avec ses devoirs de mère. Dans ce foyer, les enfants vont grandir de façon un peu atypique, chacun développant ses propres spécificités… Entre humour et tendresse, on se laisse emporter par le récit, raconté de belle manière par l’un des enfants, Kincaid, peut-être le plus équilibré de tous, et dont on saura peu de choses finalement.

Puis, sur fond de guerre du Vietnam, l’histoire va basculer vers quelque chose de plus dramatique, et la famille à moitié dispersée va redevenir le point d’ancrage primordial pour surmonter les épreuves. Ce virage dans le récit est raconté sur le même ton, de manière progressive, et donne une profondeur et un intérêt inattendu à cette histoire.

Au final, un grand roman de la littérature américaine qui vaut certainement le détour. Si vous êtes fan de baseball, c’est un plus ! 😎

David James Duncan, né en 1952, est un romancier américain, connu pour connu pour ses deux romans à succès The River Why (1983) (paru dans la même collection « Les grands animaux »sous le titre La rivière pourquoi) et ce roman (1992).

De beaux lendemains – Russel Banks

Retour à Russel Banks, et relecture de ce roman, dont je gardais le souvenir suivant : dénonciation du système judiciaire américain, où il y a toujours un responsable dont on va pouvoir soutirer de l’argent, et où les avocats se font une joie d’intervenir gratuitement, demandant simplement un pourcentage sur les indemnités éventuelles.

Mais en fait, le récit est plus complexe que ce souvenir, et carrément passionnant. L’histoire est celle d’un bus scolaire sortant de la route et s’écrasant au fond d’un ravin, provoquant un drame dans une petite communauté.

Ce roman est composé de cinq chapitres, donnant chacun la parole à l’un des acteurs de ce drame. D’abord la conductrice du bus, Dolorès Driscoll, qui nous raconte comment l’accident est arrivé. Puis c’est au tour de Billy Ansel, père de deux enfants disparus dans l’accident, dont on va suivre le comportement et ce qu’il pense de l’arrivée des avocats dans la petite vile. Vient ensuite le tour de Mitchell Stephens, l’avocat de new-York, venu pour rendre justice et empêcher qu’un tel drame se reproduise si on l’écoute, intelligent et fin psychologue, mais qui a aussi ses propres problèmes avec sa fille. Enfin, c’est au tour de Nicole Burnell de prendre la parole, jeune fille rescapée de l’accident, sur un fauteuil roulant, intelligente et aussi très perspicace, ayant des comptes à régler avec son père. Pour le dernier chapitre, c’est Dolorès qui reprend la parole, pour une ultime scène lors de la foire du Comté, quand tous les habitants de Sam Dent se retrouvent pour la course de stock-car…

Comme toujours, le récit est très prenant et Russel Banks décidément un grand conteur autant qu’un grand écrivain. La narration est parfaitement maîtrisée, certaines scènes se recoupent entre les différents récits de chacun, mais avec un point de vue différent… C’est très bien fait !

Je vais continuer à lire ou relire cet auteur, il vaut vraiment le détour.

Autres romans de Russel Banks sur ce blog :

Russel Banks (1940-2023) est un écrivain « progressiste » américain (dixit wikipedia). Il a été actif politiquement, prenant par exemple position contre l’intervention en Irak, ou le Patriot Act. Il a été le troisième président du Parlement international des écrivains créé par Salman Rushdie, et le président fondateur de Cities of Refuge North America, qui s’est donné pour mission d’établir aux États-Unis des lieux d’asile pour des écrivains menacés ou en exil.

Silence dans les champs – Nicolas Legendre

Livre offert par ma frangine, dont on avait déjà discuté et partagé des articles du Monde. Je connaissais donc déjà le sujet, mais ce livre (cette enquête) a le mérite de tout présenter de manière très claire et de façon complète.

Le système est assez simple finalement : dans les années 60, la Bretagne s’est lancée dans l’agro-industrie : produire du volume à bas coût, en circuit long. Les paysans n’ont pas d’autre choix que de grossir, ou de sortir du jeu (en 50 ans, on est passé de 370 000 paysans à 55 200). C’est la course à la productivité, on ne garde que les meilleurs, et les restants se tuent au travail pour un salaire de misère (car ils sont devenus la variable d’ajustement de cette industrie)… pour finir par craquer à leur tour (suicide), et leurs terres seront alors rachetées, etc. D’autres se retrouvent ouvriers dans les usines de l’agro-alimentaire, corvéables à merci pour un autre salaire de misère.

Le pire est sans doute la loi d’omerta, à la limite d’un système mafieux, que subit un agriculteur quand il veut sortir du système ou en révéler les abus : en plus des acteurs de ce modèle, les banques (prêts refusés) mais aussi l’État (contrôles incessants) sont carrément complices pour lui mettre une pression terrible et lui rendre la vie impossible. Idem pour les journalistes et toute personne se mettant en travers de la route.

Il existe pourtant d’autres systèmes (prairies et trèfle blanc), plus vertueux, en circuit court, permettant de développer une agriculture durable, offrant une meilleure rémunération au paysan, lui rendant sa fierté par la même occasion. On éviterait ainsi la culture du maïs gourmande en eau, les importations de soja (destiné à combler la manque en protéine du maïs), l’usage excessif des intrants chimique, etc… Voir extrait plus bas.

La démonstration du bouquin est imparable, très bien documentée, et agrémentée de témoignages directs sur chacun des aspects abordés. La lecture en est donc agréable, et l’on en ressort avec un sentiment mitigé, tellement le tableau décrit est sombre et semble sans issue. C’est comme pour le changement climatique, on sait qu’il faut changer de modèle, mais les intérêts économiques et/ou les profits de quelques uns sont autant de freins extrêmement puissants au changement, avec l’aide ou le laisser-faire des autorités politiques et judiciaires prêtes à toutes les faiblesses pour éviter un conflit direct et violent avec des agriculteurs manipulés. Il semble pourtant bien qu’à force de tirer sur la corde (la nature, les hommes), le système arrive à son terme. Espérons que ce soit le cas, et qu’une transition en douceur soit possible.

Voilà quelques extraits :

Continuer la lecture… Silence dans les champs – Nicolas Legendre

Anne de Green Gables – Lucy Maud Montgomery

Voilà un livre que je n’aurais sans doute jamais acheté par moi-même. J’étais dans la librairie quand j’ai entendu une cliente demander à la libraire « un roman positif »… J’ai alors pensé à Âme brisée, et me suis dit que c’était un bon critère. Du coup, je suis reparti avec ce livre.

C’est l’histoire d’une petite fille orpheline de 11 ans douée d’un pouvoir d’imagination insatiable, vivant autant dans ses rêves que dans la réalité, qui est adoptée par un frère et une sœur déjà âgés, tous deux célibataires, vivant dans une ferme au milieu d’une nature idyllique, proche d’un village hors du temps situé sur une île canadienne. L’atmosphère y est champêtre, et les années vont passer, au gré des rêves et de l’enthousiasme apporté par Anne, tempérés par ses deux tuteurs d’une autre génération.

Même s’il y a une certaine répétition aux aventures d’Anne (c’est un peu « les malheurs de Sophie »), on ne peut nier la fraîcheur du récit, et l’ensemble est bien écrit (particulièrement la description de la nature) ; on se laisse finalement facilement emporter par les anecdotes qui se succèdent, celles d’une enfant qui grandit et apprend à tempérer son enthousiasme, ainsi qu’à appréhender la réalité et ses contraintes d’une société encore religieuse et très moralisatrice.

C’est un livre que vous pouvez offrir sans hésitation à votre mère ou votre grand-mère, ou les deux, selon votre âge… 😎

Lucy Maud Montgomery (1874-1942), est une romancière et poète canadienne. Ce premier roman a connu le succès et n’est que le premier tome de la « saga d’Anne » (dix tomes). Pour ma part, je m’en tiendrai à celui-ci.

Quatre heures vingt-deux minutes et 18 secondes – Lionel Shriver

J’ai entendu parler de ce roman à la petite librairie. L’idée d’une critique de la bien-pensance autour du sport et de la performance n’étant pas pour me déplaire, et connaissant l’auteur par un film choc (voir plus bas), je n’ai pas hésité longtemps.

C’est donc l’histoire d’un couple de soixantenaires dont la femme a toujours fait du sport, mais de manière individuelle et à l’encontre des modes ; hélas, les genoux de Serenata l’empêchent désormais toute pratique suivie. C’est le moment que choisit Remington, qui vient de se faire licencier, pour lui annoncer qu’il va faire un marathon, lui qui n’a jamais pratiqué le moindre sport.

Il va s’en suivre une lente dérive du couple à l’entrée du troisième âge : eux si complices habituellement ne vont plus pouvoir communiquer, d’autant que Remington va aller plus loin avec l’assistance d’un coach en visant un triathlon, jusqu’à mettre sa santé en danger.

L’ensemble est assez drôle, et la critique de tout ce qui circule autour du sport assez bien vue. Entre les messages du type « n’écoute pas ton corps, seule ta volonté compte », l’effet de groupe d’où les autres sont forcément exclus, le business généré et l’argent dépensé, le portrait global est assez acerbe et sans pitié. D’autant que d’autres sujets de société sont abordés dans l’histoire, comme le wokisme ou la religion, avec le même regard critique.

Le ton est assez inégal toutefois, on oscille parfois entre la caricature et de petites phrases bien senties, ce qui fait que l’on décroche parfois, mais l’ensemble vaut largement le détour.

Lionel Shriver, née Margaret Ann Shriver en 1957, est une femme de lettres et journaliste américaine. Elle change son prénom à 15 ans car elle se sent un garçon manqué. Elle est l’auteur de « We need to talk about Kevin », dont j’ai vu l’adaptation au cinéma : un récit très dur sur la relation d’une mère avec son fils qui va commettre l’irréparable dans un lycée. Film choc, comme doit l’être le roman.

Sur les chemins noirs – Sylvain Tesson

C’est du film dont j’ai d’abord entendu parlé, et ensuite du livre dont il est adapté, qui raconte cette traversée de la France, du Mercantour à la pointe du Cotentin, en suivant le plus possible de vieux chemins, évitant bien sûr le goudron, mais aussi les sentiers de randonnée (dans la mesure du possible).

Je ne suis pas fan de l’auteur, même si son accident (chute d’un toit) semble l’avoir transformé (et pas que physiquement), lui le toiturophile. C’est en tout cas ce qu’il laisse entendre dans ce récit, et la décision de se lancer ce défi en lieu et place de rééducation montre la force de caractère du bonhomme. L’alcool, cause de sa chute, lui est désormais interdit, ça change aussi la donne !

C’est bien écrit, Sylvain Tesson est cultivé et le paysage lui inspire de nombreuses réflexions qu’il agrémente parfois de références culturelles, sans en faire trop heureusement. C’est d’ailleurs plus un ouvrage littéraire que le récit plus factuel de cette traversée de la France du Sud-Est jusqu’au Cotentin. Il donnera peu de détail sur son évolution physique, mais vu d’où il part, dès sa sortie de l’hôpital, le bougre a l’air d’être résistant à la douleur. Il est bon marcheur, puisqu’il parle parfois de 40 kms par jour (après plusieurs semaines de marche tout de même !).

Par contre, très peu infos sur le contenu du sac, ce qu’il mange, comment il s’est organisé… On sait juste qu’il emporte une dizaine de cartes IGN avec lui (de quoi aller jusqu’au Mont Ventoux), cartes qu’il va scruter pour s’y frayer un chemin hors des sentiers battus (l’expression n’a jamais aussi bien convenue). J’aurais bien aimé qu’il nous en dise plus sur ces détails pratiques.

Il est parfois accompagné quelques jours par un ami, sa fille également le rejoint pour une journée et une nuit. Il dort souvent dehors, à l’abri d’un arbre, fait un feu et dîne… Mais peut aussi bien se retrouver à l’hôtel ou plus rarement chez l’habitant. Peu de rencontres, et encore moins de dialogues, quelques mots et voilà… Sur les chemins noirs, on est économe de tout !

À passer des jours à éviter « la civilisation », il raconte tout ce qu’elle a généré comme changement : le remembrement, la productivité imposée aux agriculteurs qui durent quitter la montagne pour la plaine, etc… Honnêtement, rien de très nouveau sur le sujet (mais des vérités certes), et pas certain qu’il soit le mieux placé pour en parler. Mais au final, une réflexion tout de même intéressante sur le monde moderne, ce qu’il a transformé dans nos campagnes à coups de promesses non tenues…

Voilà, je ne dirai pas que c’est un grand livre, loin s’en faut (mais il se laisse lire sans problème), on reste dans les pensées de Sylvain Tesson, et ça reste très personnel. On sent tout de même le type de réflexion et le recul qu’amènent la marche, menée dans une solitude recherchée et appréciée, avec une volonté de rester hors des grands axes et loin des villes. Et c’est sans doute le meilleur du livre.

Sylvain Tesson, né en 1972, est un écrivain voyageur. Il est par certains qualifié d’imposteur en tant qu’écrivain voyageur reproduisant des clichés éculés de la littérature de voyage. Le personnage est de toute façon assez clivant et provocateur, amoureux de l’espirt slave et de la Russie. Il a repris dans L’Axe du loup l’itinéraire de À marche forcée (cette histoire d’évadés du Goulag qui traverse l’Asie du Nord au Sud jusqu’à Calcutta…), afin d’en vérifier la faisabilité : pour lui, l’aventure est plausible, malgré quelques anomalies absolues, comme « dix jours sans boire dans le Gobi ».