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L’agent secret – Joseph Conrad

L'agent secret - Joseph Conrad

Un autre roman de Joseph Conrad, parfois considéré comme le meilleur, sans doute parce qu’il est assez novateur pour l’époque, ce qui explique également son échec commercial à sa sortie. Personnellement, j’ai beaucoup aimé, Conrad touche ici au génie dans la description psychologique de ses personnages.

Pas de récits de mer ici, nous sommes dans les bas-quartiers de Londres, que Conrad lui-même décrit comme « la vision d’une ville monstrueuse, cruelle dévoreuse de la lumière du monde ». L’histoire se passe au début du XXe siècle, un dénommé Verloc, espion ayant infiltré le milieu anarchiste local, et à la solde d’une puissance étrangère, est poussé par cette dernière à organiser un attentat afin d’influer sur la politique jugée trop laxiste du gouvernement anglais.

Conrad s’inspire pour cela d’un fait divers réel : un français, Martial Bourdin fut tué en 1894 devant l’Observatoire de Greenwich par la bombe qu’il transportait. Mais c’est la description des personnages qui est vraiment incroyable, d’une profondeur sur la psychologie humaine, et d’une noirceur sans grand espoir.

Voilà ce qu’il explique dans la préface :

Le livre que voici n’est autre que l’histoire en question […], tout le déroulement en ayant été inspiré par l’absurde cruauté de l’explosion de Greenwich Park qui en occupe le centre. J’ai eu là une tâche dont je ne dirai pas qu’elle fait été ardue, mais d’une difficulté on ne peut plus absorbante. Pourtant il fallait que ce fût fait. C’était une nécessité. Les figures groupées autour de Mme Verloc et reliées directement ou indirectement à sa conviction tragique et méfiante que « la vie ne supporte guère d’être examinée en profondeur » résultent de cette nécessité même. Personnellement, je n’ai jamais éprouvé le moindre doute quant à la réalité de l’histoire de Mme Verloc ; mais il a fallu la dégager de l’obscurité de cette ville immense, il a fallu la rendre croyable, je ne veux pas dire tellement en ce qui concerne l’âme de Mme Verloc que son milieu, pas tellement en ce qui concerne sa psychologie que son humanité.

En effet, la « conviction tragique » de Madame Verloc va avoir des conséquences tragiques, le personnage va se transformer complètement quand elle va devoir affronter la réalité. Monsieur Verloc ne verra rien venir, tant l’incompréhension est grande entre eux deux… Conrad ajoute :

À cet égard, je crois vraiment que l’Agent secret est un ouvrage parfaitement authentique. Il n’est pas jusqu’au dessein purement artistique, consistant à appliquer une méthode ironique à un sujet de ce genre, qui n’ait été formulé de façon délibérée et dans la sérieuse conviction que seul un traitement ironique me permettrait de dire tout ce que j’avais le sentiment de devoir dire au titre du mépris aussi bien que de la pitié.

On comprend que cela ait pu choquer les lecteurs à l’époque ! Il n’y a pas de personnages qui soient vraiment épargnés par l’auteur. Les anarchistes par exemple sont décrits comme très orgueilleux, aux motivations toutes personnelles, souffrant du manque de reconnaissance de leur talent. Voilà un exemple de description dont Conrad est capable :

La voie des révolutions, même les plus justifiées, est pavée d’impulsions personnelles déguisées en croyances. L’indignation du Professeur trouva en elle-même une cause finale, qui l’absolvait du péché de chercher dans la destruction les moyens de satisfaire son ambition. Détruire la foi du public en la légalité, telle était la formulation imparfaite de son fanatisme sourcilleux ; mais sa conviction sous-jacente que la charpente d’un ordre social établi ne peut être effectivement ébranlée que par une forme quelconque de violence collective ou individuelle était précise et exacte. Le Professeur était un agent de la morale… ce point était bien établi dans son esprit. En jouant ce rôle d’agent dans une attitude d’impitoyable défi, il se donna les apparences de la puissance et du prestige personnel. Ce point était indéniable à ses yeux amèrement vindicatifs. Son agitation s’en trouvait calmée ; à leur manière, les plus ardents des révolutionnaires ne font peut-être pas autre chose que chercher la paix, comme le reste de l’humanité… la paix d’une vanité flattée, d’appétits repus, ou peut-être d’une conscience tranquillisée.

Ne vous attendez donc pas un roman d’espionnage classique avec un héros qui brave les périls sans peur et sans reproches ! Mais l’histoire est prenante, c’est comme toujours remarquablement écrit ; le personnage de Stevie (le frère de Madame Verloc, un peu demeuré) est attachant, je pense à cette scène avec le fiacre et le cheval famélique où il réagit avec tant d’empathie à la douleur du cheval…

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Joseph Conrad (1857-1924), d’origine polonaise, est considéré comme l’un des plus importants écrivains anglais du XXe siècle. Il sera marin pendant vingt ans, puis se consacrera totalement à son œuvre littéraire.

Impossible ici – Sinclair Lewis

Impossible ici - Sinclair Lewis

C’est en écoutant une émission sur France Culture que j’ai entendu parler de ce bouquin. Brice Couturier (on aime ou on aime pas) nous parlait ici de quelques livres traitant de dystopies (le contraire d’une utopie), comme le très connu 1984 de George Orwell, sujet d’actualité avec l’avènement de Donald Trump à la présidence des États-Unis.

Dans Impossible ici, écrit en 1932, nous avons un politicien populiste qui prend le pouvoir en promettant de restaurer la grandeur du pays. Très vite, une milice paramilitaire se met en place, les opposants sont envoyés dans des camps, la presse est contrôlée… Et malgré tout cela, il continue à avoir le soutien de la majorité des Américains. L’armée prendra finalement le pouvoir, et les États-Unis déclareront la guerre au Mexique !

Bon, le roman date un peu, forcément (le monde a beaucoup changé depuis, tout comme les modes de vie), et si ce n’est sans doute pas un grand roman (un peu longuet), sa lecture reste néanmoins agréable. On voit tout de même bien comment la bêtise peut prendre le pouvoir, et trouver beaucoup de supporters pour l’y maintenir pendant longtemps !

On suit les aventures de Doremus Jessup, directeur d’un petit journal local, qui n’est aps dupe de ce qui arrive, et va bon gré mal gré entrer en résistance contre le système qui se met en place. À de nombreuses occasions, le titre du roman est prononcé par l’un ou l’autre des personnages, pour bien illustrer… le contraire ! 😉

À noter que chaque fois que Doresmus doit fuir, il emporte avec lui le même livre : Le déclin de l’occident – Tome 1 : il s’agit d’un essai publié en 1918 par Oswald Spengler, théorisant le déclin inéluctable des civilisations, qui comme des êtres biologiques, naissent, vivent et meurent.

Sinon, on peut également noter une critique systématique de toutes les doctrines : les communistes se battent contre le gouvernement, mais n’échappent pas aux critiques pour autant.

Sinclair Lewis (1885 – 1951), est un romancier et dramaturge majeur des années 1920 et 1930.  Il fut le premier Américain à recevoir le prix Nobel de littérature.

Deux années sur le gaillard d’avant – Richard Henry Dana

Deux années sur le gaillard d'avantUn roman sur la mer, grand classique de la littérature américaine du XIXème siècle, qui plus est admirablement traduit et présenté par Simon Leys… Cela ne pouvait que procurer de bons moments de lecture, et ce fût bien le cas.

C’est avant tout un beau roman grâce à la narration très sincère de l’auteur, et le ton employé. On est vite pris par l’histoire, et la description de ce qu’était la vie des marins à cette époque ; il y a tout de même certaines pages utilisant un vocabulaire très technique, propre à la voile (il y a un glossaire à la fin du roman), mais elles ne sont pas gênantes, et reflètent plutôt l’énorme travail à fournir (et parfois l’urgence) lors d’un coup de vent ou d’une tempête sur ces grands voiliers de l’époque.

Alors qu’il étudiait le droit à Harvard, et suite à un mal mystérieux (faiblesse de la vue), R. H. Dana embarque en 1834 à Boston sur le « Pilgrim » pour rejoindre la Californie via le Cap Horn : là-bas, ils vont récolter des peaux le long de la côte, les stocker et les préparer sur place, jusqu’à ce que le bateau soit plein. Dana va revenir à Boston au bout de deux ans, sur un autre bateau, le « Pilgrim » restant encore plusieurs mois sur la côté ouest, ce que ne veut pas le narrateur : il n’entend pas faire le matelot toute sa vie, et on le comprend !

Ce qui frappe le plus, ce sont les conditions de vie des matelots sur le navire : outre la nourriture très basique (pain et bœuf bouilli, mais pas pour les officiers bien entendu, même le thé leur est réservé !), les vêtements sont très peu adaptés (comparé à nos jours) pour affronter la pluie et le froid. Imaginez-vous des heures sur le pont sous la pluie sans vêtement vraiment adapté, ou à grimper dans les haubans pour remonter des voiles à moitié gelées, tout cela pendant une tempête de grêle, et sans gants pour vous protéger les doigts…

La foi religieuse est par ailleurs omniprésente, et laisse transparaître une société américaine très puritaine (rappelons-nous le Mayflower)… D’ailleurs, le bateau s’appelle le « Pilgrim », tout un programme. Et même si le dimanche est censé être le jour de repos des matelots (jour du Seigneur oblige), ce n’est pas souvent respecté par le capitaine, qui s’arrange pour imposer certaines tâches ce jour-là afin d’améliorer la rentabilité de l’armateur. Le capitaine a donc tous les pouvoirs, et se comporte à l’occasion en véritable tyran avec l’équipage (voir plus bas).

C’est aussi l’occasion de découvrir la Californie avant que la civilisation n’arrive : à cette époque, il n’y a que quelques missions et de petits villages occupés par les locaux (espagnols et indiens) comme à Santa Barbara, Monterey ou San Diego. San Francisco n’est même qu’une simple mission ! Puis dans la postface, quand R. H. Dana y revient vingt ans plus tard, en tant que touriste, tout a déjà beaucoup changé : entre temps, la ruée vers l’or a eu lieu et San Francisco est devenu une ville…

Enfin, un dernier chapitre qui avait été retiré de la seconde édition par l’auteur porte sur des considérations concernant les matelots confrontés à l’autorité du capitaine, et particulièrement sur les châtiments corporels (coups de fouets !) que ce dernier n’hésita pas à donner. Son raisonnement est un peu surprenant : comme les interdire serait dangereux (une autorité absolue est nécessaire pour éviter des rébellions ou simplement une grève qui pourrait se révéler catastrophique sur un bateau), sa recommandation est d’éduquer les matelots (et les capitaines), sans oublier leur foi religieuse : sinon on transformerait un pêcheur ignorant en un pêcheur intelligent et donc renforcé dans l’erreur…

Toute une époque et tout un monde, dépaysement assuré !!

Des bruits dans la tête – Drago Jancar

Bouquin recommandé par mon ancien libraire de Puteaux, alors que je lui parlais d’écrivains des pays de l’Est, et de leur qualité.

Ce roman est l’histoire d’une révolte dans un pénitencier du Monténégro, racontée par un des détenus qui n’a plus vraiment toute sa tête, ce qui le rend encore plus dangereux qu’il ne l’est déjà… Keber ne supporte pas les grincements de métal, qu’ils soient réels ou dans sa tête, et il peut devenir très violent quand ils se produisent.

Dans ce monde de détenus plus dangereux les uns que les autres, il paraît presque être le sage de l’histoire. Pourtant ses souvenirs le hantent, et il a parfois du mal à faire la différence avec le monde réel : son histoire d’amour avec Leonca d’abord, que sa jalousie et sa violence ont fini par rendre impossible, et sa vie passée qui défile, à bourlinguer sur les mers du monde, ou comme mercenaire ici ou là… La vie de Keber est plus dans ses rêves et divagations que dans la réalité : ils lui permettent de ne pas sombrer.

Et puis il y a cette histoire du siège de Massada en Judée, au Ier siècle qui le hante également, et dont Keber fait le parallèle avec le pénitencier assiégé. L’histoire (vraie) est assez incroyable, et vaut le détour : c’était une forteresse quasi imprenable surplombant la mer morte. Tenue par mille juifs extrémistes (les sicaires), ils résistèrent sept mois à l’armée romaine. Quand cette dernière réussit à pénétrer la citadelle, ils étaient tous morts ! Le suicide étant interdit par leur religion, les historiens accréditent l’idée qu’ils se sont tous entretués, chaque homme commençant par tuer sa famille, puis un tirage au sort se chargeant du reste.

Car dans le pénitencier, la révolte initiée par Keber à cause d’un gardien les empêchant de suivre un match de basket va prendre de l’ampleur. Pendant quelques jours, les détenus seront maître de la prison, et le pouvoir accaparé par les plus mauvais : un autre exemple d’avènement d’une  dictature, comme dans Les naufragés du Batavia.

Bon bouquin, très bien écrit, mais un histoire dure : contexte, personnages, et la narration par Keber dont le mental est manifestement altéré n’arrange rien !

Drago Jančar, né le 13 avril 1948 à Maribor, est un écrivain slovène. Engagé politiquement, il eut des démêlés avec les autorités communistes, et connaîtra la prison. Il a reçu le Prix européen de littérature 2011 pour l’ensemble de son œuvre.

Le pont sur la Drina – Ivo Andrić

Le pont sur la Drina - Ivo AndrićSur le quatrième de couverture, on peut lire : « Un des plus grands romans de ce siècle. Nicole Zand, Le Monde. » Sans aller jusqu’à cette critique un peu démesurée, c’est indéniablement un bon roman.

C’est l’histoire d’un pont, ou plutôt celle d’un village bosniaque depuis le XVIe siècle à nos jours. C’est ce passage du temps, la grande Histoire mais aussi la petite et les légendes locales, le progrès, les changements que cela génère, qui est parfaitement décrit dans ce roman, et qui lui donne toute sa saveur, d’autant que le narrateur prend tout le recul nécessaire pour nous le conter.

Visegrad se situe de nos jours en Bosnie-Herzégovine, mais à l’époque où commence l’histoire, c’était un carrefour entre l’Orient et l’Occident, administré par l’empire Ottoman ; c’est d’ailleurs le vizir Mehmed pacha Sokolović qui construit le pont qui va servir de fil rouge au narrateur. Dans le village se côtoient musulmans de Turquie ou « islamisés », chrétiens et juifs.

Puis l’empire d’Autriche-Hongrie va remplacer celui des Ottomans, dont les frontières vont reculer très loin. La Serbie gagne son indépendance. Quand les autrichiens arrivent, c’est l’occident avec sa frénésie de progrès, à toujours vouloir organiser, répertorier : les ingénieurs débarquent, mesurent, transforment, optimisent. Les habitants observent cela, eux qui étaient habitués à se laisser vivre et ne pas faire plus que nécessaire, préférant aller s’asseoir sur le pont pour parler, boire et fumer.

Le village s’adapte, avec ses communautés qui vivent ensemble (bosniaques, serbes, turcs, musulmans ou chrétiens, juifs). Vient une période de paix et de prospérité… Puis les prix augmentent, et si maintenant il y a des lois et des règlements qui remplacent l’arbitraire du monde d’avant, au final, on s’endette plus que l’on devient riche.

Début 20e siècle, les jeunes ont des idéaux de liberté, et commencent à parler de nationalisme, d’une nation bosniaque où chacun pourrait vivre à sa guise… Puis vient l’attentat de Sarajevo, la chasse aux Serbes, et la première guerre mondiale. Le pont commence à se faire bombarder…

Ivo Andrić (1892-1975), né en Bosnie-Herzégovine alors administrée par l’Autriche-Hongrie, est un écrivain yougoslave. Il est lauréat du prix Nobel de littérature en 1961. Ses romans sont rédigés avec un grand souci de vérité historique, et ses récits ont pour cadre la Bosnie. Visegrad a connu des massacres ethniques en 1992 pendant la guerre de Bosnie. Les massacres de Višegrad et le non-dits qui les entourent sont au cœur du film Les Femmes de Visegrad, sorti en 2013.

Les Clochards d’Asmodée – Roland Pidoux

Les Clochards d'Asmodée - Roland Pidoux Roman policier conseillé par mon ancien libraire de Puteaux lors d’un bref passage : l’occasion de vérifier que les goûts littéraires sont bien difficiles à cerner… et à partager.

La lecture n’est pas désagréable en elle-même, c’est un polar comme un autre, un peu à l’ancienne, écrit sans grand talent littéraire il faut le reconnaître. Un roman de gare, comme on dit, un petit polar où les meurtres s’enchaînent tranquillement pendant que le commissaire réfléchit à élucider l’énigme, ce qu’il arrivera à faire à la fin du livre bien sûr.

Roland Pidoux (1920-2005) a été commissaire de police (chef de la sûreté urbaine à Besançon), là où se passe l’intrigue de ce polar. Il signa deux romans, dont le premier (« On y va patron ? ») reçu le prix du quai des Orfèvres en 1963. J’ai bien peur que ce prix n’ait été obtenu pour la seule raison qu’il était « de la maison » !

Souvenirs personnels – Joseph Conrad

Souvenirs personnels - Joseph Conrad Avant de parler de ce livre, remarquez le visage et les yeux de Conrad : le personnage devait être impressionnant quand on était face à lui !

Joseph Conrad nous offre donc quelques uns de ses souvenirs, une occasion de partir en voyage avec ce magnifique auteur. Il est quelque fois difficile à suivre dans ses pensées, qu’il laisse vagabonder au gré de ses souvenirs et des associations d’idées qu’ils provoquent ; de plus la postface nous explique que tout n’est pas forcément exact dans ce qu’il nous raconte… Mais l’ensemble est un plaisir à lire, comme d’habitude, et puis n’est-ce pas tout l’art du romancier de mêler vérité et fiction ?

Conrad va d’abord nous parler de son premier roman, La folie Almayer, de la réponse laconique du marin à qui il demanda s’il devait en continuer l’écriture, des années où il transporta ce manuscrit, au risque de le perdre quand sa pirogue chavira au Congo… Puis nous voilà en Pologne, où il revient après avoir bourlingué sur les mers : les souvenirs d’enfance et de famille lui reviennent : sa décision de devenir marin, le frère de son grand-père qui servit sous Napoléon et qui mangea du chien (qui relève de la fiction également), l’histoire de la Pologne et sa révolte contre l’Empire Russe.

Vers le milieu du livre, deux chapitres m’ont paru à leur début un peu difficile à suivre, puis il revient à chaque fois à des anecdotes toujours intéressantes, comme sa rencontre avec le vrai Almayer (rencontre imaginaire, même si le personnage qui servit d’inspiration à Conrad exista réellement), ou ses examens de passage pour devenir capitaine de la marine anglaise qui valent également le détour.

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Les villes de la plaine – Diane Meur

Les villes de la plaine - Diane MeurCela commence comme une fable agréable, philosophique, dans une ancienne civilisation imaginaire, et la curiosité nous fait facilement tourner les pages des premiers chapitres : où l’auteur va-t-il donc nous emmener ?

Hélas, les promesses ne seront pas tenues. Si c’est plutôt bien écrit, le style qui se veut assez raffiné se révèle assez vite lassant : presque celui d’un conte que l’on raconterait à des enfants, assez pompeux, avec un peu trop de recherche dans le vocabulaire. On comprend bien l’effet recherché, mais également l’échec.

Quant au sujet, c’est celui d’une civilisation construite sur un texte religieux fondateur ; or le sens de ce dernier s’avère avoir été détourné par une élite au fil des siècles afin de prendre le pouvoir. Avec en parallèle, une histoire d’amour entre un homme et une femme, ce n’est pas trop dur à écrire, et ça plaît toujours, hein ? J’oubliais deux ou trois chapitres se passant à une époque beaucoup plus rapprochée, qui n’apportent rien du tout, si ce n’est que les hypothèses des archéologues sont parfois loin de la réalité…

Tout cela apporte finalement de la déception à tous les niveaux : sujet manifestement trop vaste pour être traité de la sorte, on s’ennuie assez vite une fois la curiosité des premiers chapitres passée. Tout ça pour dénoncer finalement des évidences : des hommes détournent des textes pseudo-religieux pour mieux asseoir leur pouvoir sur les masses ? Mince alors, je n’avais jamais remarqué… Heureusement que le pauvre berger sans éducation réussit à séduire et sauver la belle, puis à retourner dans son village arriéré, où ils pourront couler des jours heureux ! Il a même failli sauver la civilisation, mais bon, faut pas trop exagérer quand même !

Diane Meur,  née à Uccle le 7 janvier 1970, est une femme de lettres belge d’expression française. Elle est titulaire d’une maîtrise de littérature comparée de l’Université Paris-IV ainsi qu’un DEA de sociohistoire de la littérature. Ceci explique sans doute le sujet de ce roman.

Six récits au fil inconstant des jours – Shen Fu

Six récits au fil inconstant des jours - Shen Fu Un roman traduit par Simon Leys, noté pendant la lecture de sa biographie. Le contenu est à l’image du  titre, plein de beauté, de douceur et de fraîcheur…

Shen Fu (1763 – ?) était un obscur lettré, fonctionnaire se retrouvant souvent sans emploi, amené à emprunter, mettre en gages le peu qu’il a, et même à vivre chez des amis. Rien ne le destinait à la postérité, sauf ce recueil qui connût un immense succès en Chine, puis à l’étranger, dès sa publication, hélas largement posthume !

Le propos est on ne peut plus simple : raconter des expériences d’une vie sans grande histoire. Mais par cette simplicité même, il nous charme. Dommage que des six récits il n’en  subsiste que quatre…

Le premier est entièrement dédié à sa femme Chen Yun, intitulé « Souvenirs heureux : la vie conjugale » ; il nous raconte la rencontre et le mariage qui suivit, tous deux formant un couple très amoureux et complice. On en apprend beaucoup sur les mœurs de l’époque, et l’on est même surpris, comme avec l’histoire de la concubine Hanyuan, où Chen Yun semble proposer un ménage à trois ! Nous sommes loin de la femme soumise que l’on imagine…

Puis viennent les « Souvenirs exquis : les heures oisives », où l’auteur va nous détailler un peu leurs occupations, étant tous deux amateurs de poésie, aimant à deviser le soir au clair de lune, ou à se trouver une demeure un peu à l’écart pour en faire un nid douillet, en l’aménageant de belle manière, et pas uniquement l’intérieur : le jardin est aussi important, et révèle tout un art pour occuper l’espace afin d’apaiser l’esprit.

C’est alors le tour des « Souvenirs amers : les épreuves »… Les relations avec son père vont se détériorer sur un malentendu, Chen Yun va tomber malade, les soucis d’argent vont commencer. Ce récit commence ainsi :

Pourquoi donc la vie est-elle semée d’épreuves ? Le plus souvent elles surviennent comme une conséquence de nos fautes ; mais ceci ne saurait être mon cas, car tous mes malheurs sont venus, au contraire, de cette disposition que j’ai à suivre les élans de mon cœur, à respecter la parole donnée et à m’exprimer sans détour.

Le livre se termine par les « Souvenirs allègres… » où Shen Fu nous écrit une sorte de petit guide des endroits qu’il a pu visiter au cours de vie (amené à voyager pour occuper un poste quelques mois par exemple). À moins d’être sur place et d’aller visiter ces lieux, j’y ai trouvé peu d’intérêt, en dehors du style toujours aussi simple et candide, le rendant très agréable à lire.

J’ai beaucoup aimé les noms très poétiques employés pour nommer les lieux : le Pont des Dix Mille Années, la Source des Fleurs de Pêchers, une chambre baptisée « La Tour Parfumée de l’Invitée », un point de vue dominant un paysage immense appelé « Mille Arpents de Nuées »…

Simon Leys fournit une très belle préface, et nous explique :

Il n’y a rien d’idyllique ni de mièvre dans ce tableau de la vieille Chine ; Shen Fu et sa femme ont cruellement souffert sous la règle implacable de l’ancienne société, — mais sans révolte cependant : la société qui les écrase est aussi celle qui les a portés et nourris ; c’est d’elle qu’ils tiennent le meilleur d’eux-mêmes, leur sensibilité, leur humanité, un art de vivre exquis, et un courage sublime dans l’adversité.

Il  y a aussi quelques notes explicatives en fin d’ouvrage, pour donner un peu de contexte à certaines fêtes ou traditions mentionnés par Shen Fu, comme la Fête du Double Neuf (le neuvième jour du neuvième mois lunaire) :

C’est une des plus anciennes fêtes traditionnelles ; sa signification et son origine sont assez obscures ; il semble qu’elle commémore la manière dont une population ancienne aurait échappé jadis à un cataclysme naturel en se réfugiant au sommet d’une montagne. Quelle que soit sa signification initiale, le rite est resté, et aujourd’hui encore, à la date du Double-Neuf, on fait l’ascension d’une montagne, d’une colline ou de tout lieu élevé avoisinant l’endroit où l’on vit. Cette fête est devenue, elle aussi, un agréable prétexte à excursion et pique-nique.

Shen Fu est né en 1763 sous la dynastie Qing. On ignore la date de sa mort. « Six récits au fil inconstant des jours » fut retrouvé par hasard en 1849 et ne fut imprimé qu’en 1877. Simon Leys l’a traduit en 1966.

Vol au-dessus d’un nid de coucou – Ken Kesey

Vol au-dessus d'un nid de coucou - Ken Kesey Après avoir découvert l’extraordinaire Et quelques fois j’ai comme une grande idée, j’ai eu envie de lire le premier roman de cet auteur pour le moins atypique. Il suffit de lire Acid test de Tom Wolfe pour se faire une idée de la vie incroyable qu’a eu Ken Kesey, au moins ses jeunes années !

Au début des années soixante, pour quelques dollars, il s’était porté volontaire pour tester diverses drogues psychédéliques dans un hôpital psychiatrique. C’était l’époque de la découvert du LSD, les scientifiques étudiaient ces drogues qui altéraient l’état de conscience. Six mois plus tard, cherchant un travail, il se retrouva embauché comme aide-soignant dans le même service, avec le même médecin, sous les ordres de la même infirmière. C’est de cette expérience qu’il écrira cette histoire.

À noter que cette belle édition inclut des dessins que l’auteur fît à ce moment-là (montrant ainsi un autre talent), comme il nous l’explique dans la courte préface :

Les visages étaient toujours là, toujours aussi douloureusement à nu. Par stratégie d’évitement, je pris l’habitude de me réfugier derrière un calepin dans lequel je griffonnais. Cela me valut beaucoup de compliments de la part des infirmières : « Très bien, M. Kesey ! C’est la bonne approche. Il faut apprendre à les connaître. »
Je griffonnais aussi des visages. Non, pas exactement. En écumant cette pile d’esquisses, je m’aperçois que les visages se sont insinués dans ma tête et gravés dans mon esprit. Le stylo à la main, je n’avais qu’à attendre que la magie opère.

Bien sûr, j’ai vu et revu le film que Miloš Forman en a tiré en 1975, avec Jack Nicholson et Louise Fletcher. Si le film est assez fidèle au roman, la première différence est que le narrateur, dans le roman, c’est l’indien gigantesque que McMurphy appelle « Grand Chef ».

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