Lord Jim – Joseph Conrad

Lord Jim - Joseph Conrad Après avoir lu la biographie de Joseph Conrad, il me fallait lire le roman qui fût son plus grand succès, j’ai nommé Lord Jim !

L’auteur nous apprend dans la préface qu’il avait d’abord écrit une simple nouvelle sur l’épisode du transport de pèlerins, rien de plus. Après avoir écrit quelques pages, insatisfait, il les mit de côté pour un temps. Plus tard, l’épisode des pèlerins devint le point de départ d’une longue histoire, le récit d’un homme qui a perdu son honneur, et de la conscience aiguë qu’il en a.

Et comme dans Le cœur des ténèbres , c’est un certain capitaine Marlow qui raconte ses souvenirs sur le fameux Jim. Marlow, c’est le genre de type qui en a vu beaucoup au long de sa vie (en bon marin, il a roulé sa bosse de part le monde, et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’il représente l’auteur), capable de juger les hommes ou les situations d’un regard, d’en expliquer les ressorts psychologiques, voire d’en tirer la morale qui s’impose.

Quand on lit sur la page wikipedia que l’auteur est classé parfois à tord comme « auteur de romans de mer »,  c’est particulièrement vrai pour celui-ci : l’essentiel du roman tient de l’étude psychologique de Lord Jim avec tout le recul dont le capitaine Marlow est capable…

Ce dernier remarque le jeune homme alors que celui-ci est jugé par un tribunal local pour avoir commis l’irréparable pour un marin : alors second sur un navire transportant des pèlerins, il suit son capitaine et abandonne bateau et passagers, persuadé que le navire va sombrer dans les secondes suivantes… Mais le navire de pèlerins ne coule pas, et ces derniers seront récupérés par un autre bateau.

Jim est un jeune homme empli d’idéal et de bravoure et est le seul de l’équipage à affronter la vérité ; il ne comprend pas comment il a pu sauter du bateau, était-ce la panique ? la peur ? l’intime certitude que le bateau allait couler ?

« J’avais sauté… »Il s’interrompit et détourna le regard…«Il faut croire».

Il est prêt à en payer le prix, mais refuse qu’on le traite de lâche. Le tribunal se contentera de lui retirer sa licence, et voilà Jim condamné à errer de port en port, interdit de navigation, tel un homme blessé et à l’honneur perdu. Marlow va l’aider :

Ce qu’il lui fallait, c’était un allié, un aide, un complice moral. Je me rendais compte que je courais le risque de me laisser circonvenir, de me laisser aveugler et prendre au piège, d’être amené de force, pour ainsi dire, à jouer un rôle précis dans une discussion sans conclusion possible, pour celui qui voulait peser sans parti pris tous les éléments de la cause, et prêter une oreille impartiale aux parties en présence : à l’homme honorable qui avait ses droits, et à l’individu douteux qui formulait ses exigences. À vous qui n’avez pas connu Jim et qui n’entendez ses paroles que de ma bouche, je ne puis expliquer un tel conflit de sentiments. Il me semblait que l’on me faisait comprendre l’Inconcevable, et je ne connais aucun malaise comparable à celui d’une sensation pareille. J’étais amené à rechercher ce qui se cache de convention sous toute vérité, et ce qu’il y a d’essentielle vérité dans tout mensonge. Ce garçon-là s’adressait à toutes les faces de l’esprit, au côté perpétuellement tourné vers la lumière du jour, et à cette autre face de notre être qui se cache sournoisement dans une ombre éternelle, comme l’hémisphère inconnu de la lune, et ne s’éclaire parfois sur ses bords que d’une sinistre lumière cendrée. Il influait sur moi, je dois le reconnaître. Le fait, en soi, était obscur, insignifiant, tout ce que vous voudrez ; il ne s’agissait que d’un jeune homme perdu… un entre tant de millions d’autres ;… seulement c’était l’un de nous !… L’incident était aussi dénué d’importance que l’inondation d’une fourmilière, et pourtant le mystère de son attitude m’en imposait, comme s’il eût été au premier rang de ses pairs, comme si l’obscure vérité de sa conduite avait eu assez de poids pour affecter l’opinion que l’humanité pouvait concevoir d’elle-même…

Jim va pourvoir se reconstruire dans une île éloignée des routes commerciales, à l’écart du monde. Il va enfin pouvoir montrer sa valeur et son courage dans un monde neuf mais non sans tyran… Mais peut-on échapper à son destin et au monde ?

J’ai beaucoup aimé ce roman ; la narration de Conrad est parfaitement maîtrisée, la description des ressorts psychologiques qui animent les individus sont parfaitement rendus, et passionnants. Certes l’intrigue avance lentement, et le récit est dense, mais l’écriture est limpide. Il peut toutefois arriver que Marlow vous énerve un peu, dans le genre « je sais tout et j’ai tout vu », ou que le personnage de Jim vous agace, tellement entier, empli de fierté et d’idéal qu’il en devient un peu idiot parfois. Mais il est « l’un de nous », comme le mentionne plusieurs fois l’auteur… à savoir un être humain, avec ses forces et ses faiblesses.

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Joseph Conrad (1857-1924), d’origine polonaise puis devenu citoyen britannique, est considéré comme l’un des plus importants écrivains anglais du XXe siècle. Ce roman figure dans plusieurs listes recensant les meilleurs romans du XXe siècle. Il a été inspiré par le scandale de l’abandon du SS Jeddah en 1880 et par la vie de James Brooke (1803-1868), premier roi blanc d’un territoire d’Asie du Sud-Est.

Une réflexion sur « Lord Jim – Joseph Conrad »

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