Archives de catégorie : Littérature

Le quai de Ouistreham – Florence Aubenas

Le quai de Ouistreham - Florence Aubenas J’avais entendu parler de ce livre lors sa sortie il y a environ un an, et je m’étais dit que cela devait être intéressant de lire cette immersion de Florence Aubenas chez les travailleurs précaires, du côté de Ouistreham.

Comme indiqué sur la couverture, il s’agit d’un reportage et non d’un roman. Non pas que cela soit particulièrement mal écrit, mais n’attendez pas pour autant de grandes envolées littéraires : le ton est assez froid, la narration factuelle, tout cela peut-être volontairement…

Florence Aubenas va donc se retrouver à faire des ménages sur les ferrys accostant pour une heure au port avant de repartir. Le pire dans le genre lui a-t-on dit, on se demande même si elle ne l’a pas choisi exprès pour les besoins de son reportage. On perçoit déjà les limites du genre.

Plus quelques autres petits contrats, une heure par ci, deux heures par là, la nuit, le week-end, appelée au dernier moment pour un remplacement… car il faut être disponible si l’on veut arriver à la fin de la semaine avec une vingtaine d’heures, payées au smic quand tout va bien ; elle arrive ainsi à 700 € par mois, mais rien n’est garanti pour la semaine suivante ! Sans oublier l’indispensable voiture, ultime paradoxe, pour que tout cela soit seulement possible.

Continuer la lecture… Le quai de Ouistreham – Florence Aubenas

Histoire de la Commune de 1871 – Prosper-Olivier Lissagaray

Histoire de la Commune de 1871 - Prosper-Olivier Lissagaray Deuxième livre sur la Commune que je lis, et cette fois on rentre dans le détail (500 pages) avec une chronique au jour le jour des événements, écrite par un des participants, journaliste de surcroît.

Si l’auteur n’est pas historien, il en a pris l’habit. Il lui faudra cinq années pour recueillir les témoignages, les croiser (« j’ai voulu sept preuves avant d’écrire »), ne voulant surtout pas que le camp d’en face puisse les récuser. Il poursuivra son travail d’enquête et publiera une seconde édition vingt ans plus tard, l’édition définitive de cet ouvrage.

Le ton est passionné, et Lissagaray ne cache ni ses opinions, ni son sentiment de révolte. Il veut laisser à tous les travailleurs de la terre un témoignage, simple et sincère récit de l’histoire des vaincus (n’oublions pas que l’histoire est souvent écrite par les vainqueurs…). Dans la préface il conclut par :

Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs.

Continuer la lecture… Histoire de la Commune de 1871 – Prosper-Olivier Lissagaray

Matin brun – Franck Pavloff

Matin brun - Franck Pavloff Suite à l’article sur le fameux « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel, un commentaire faisait référence à ce livre comme quelque chose de plus percutant, « l’effet d’un coup de poing ».

J’ai donc lu ce livre, ou plutôt ces quelques pages : on arrive à onze pages grâce à une taille de caractères assurant une parfaite lecture, une hauteur d’interligne respectable et des marges conséquentes… Quelque part entre le Haiku et la courte nouvelle ! 😉 Autant dire que cela ne prend pas beaucoup de temps.

Ceci dit, le texte est effectivement beaucoup plus direct que celui de Stéphane Hessel. L’histoire est très simple, et montre clairement à quoi l’indifférence peut mener si l’on n’y prend garde. Sans doute beaucoup plus efficace pour un jeune que les grandes tirades de monsieur Hessel, avec tout le respect que l’on peut lui accorder.

La Commune de 1871 – Jacques Rougerie

La Commune de 1871 - Jacques Rougerie Cela faisait quelque temps que je voulais me documenter sur cette période de notre histoire. Quoi de mieux que la collection « Que sais-je? » pour se faire une première idée ?

Écrit par un historien spécialiste du sujet, épais d’une centaine de pages, La Commune de 1871 offre un très bon résumé : contexte historique, données sociologiques de l’époque, la province, tout est là. La narration ne suit pas forcément un ordre chronologique, mais pour une première approche, c’est parfait.

Un rappel historique est primordial pour comprendre ce qui s’est passé. Quatre vingts ans après la Révolution française, c’est le Second Empire de Napoléon III, ou plutôt sa fin, et le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas glorieuse.

La Commune fut l’«antithèse» de l’Empire, écrit Marx. […] Pour comprendre les évènements de 1871, il faut revenir sur les derniers jours de l’Empire, contre lequel se dresse déjà la Ville, sa capitale, Paris.

L’histoire de la Commune de Paris durera en tout et pour tout 72 jours, du 18 mars au 28 mai 1871. Utopique sans doute, elle finira néanmoins dans un bain de sang tant elle fît peur au pouvoir. Citons encore Karl Marx :

Qu’est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui tarabuste si fort l’entendement bourgeois ?

Continuer la lecture… La Commune de 1871 – Jacques Rougerie

Indignez vous ! – Stéphane Hessel

Indignez vous ! - Stéphane Hessel Voilà, j’ai enfin lu ce livre qui a tant fait parler, principalement par le nombre d’exemplaires vendus.. il faut dire qu’en sortant un livre de 12 pages à 3 € à la veille de Noël, l’occasion d’offrir un cadeau un peu moins idiot que d’habitude était belle.

La profondeur du contenu est malheureusement proportionnelle à son épaisseur. Stéphane Hessel se borne à énoncer des évidences : les conquêtes sociales sont en danger, tout comme les droits de l’homme et la planète, l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de s’accroître, la justice doit être la même pour tous, etc… Que de révélations ! Il dit aussi que l’indifférence, c’est pas bien, et qu’il faut s’indigner… Ah bon ?

Heureusement il reste l’espoir… sa confiance dans le progrès est intacte, et si le début du XXIe siècle a été une période de recul, la décennie précédente (1990) a été source de grands progrès, et il s’en réjouit… par exemple, l’engagement pris par les Nations Unies de réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015. C’est comme si c’était fait !

Il conclue ainsi :

Nous appelons à une insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la communication de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous.

On ne peut qu’approuver, mais j’aurai préféré qu’il se montre un peu plus concret sur ce qui passe en France aujourd’hui sur ces sujets. Sans doute ses longues années de diplomate l’empêchent-elles de dire les choses un peu plus crûment ? Il en reste donc aux généralités qui ne froissent personne. Indignez-vous, mais pas trop !

Voyage au Congo – André Gide

Voyage au Congo - André Gide Cette fois, direction l’Afrique équatoriale au début du siècle (1926), où André Gide et Marc Allégret vont passer presque un an entre le Congo et le Tchad, en pleine époque coloniale.

C’est d’abord un vrai journal de voyage, tenu au jour le jour, aux phrases parfois courtes, comme autant de petites touches esquissant la faune et la flore exotiques qu’il découvre autour de lui. Mais d’une manière générale, c’est très bien écrit, le vocabulaire précis, et les observations très pertinentes. Pas de doute, c’est un grand écrivain, très cultivé.

Et très vite le récit se transforme en une critique du colonialisme et du sort fait à la population locale. L’auteur va se trouver confronté à des injustices flagrantes (et amené à prendre parti), à l’exploitation faite par les Grandes Compagnies Concessionnaires venant piller le pays sous le prétexte d’y apporter le développement, et où l’État Français n’assume pas sa responsabilité.

Sans dénoncer totalement le colonialisme (l’apport de la civilisation peut justifier les sacrifices de la population locale), il pointe les dérives et leurs causes, ce qui déclenchera une polémique à son retour en  France, la droite voyant là une attaque des intérêts de la nation.

En extrapolant, on se rend compte que rien n’a vraiment changé sur ce sujet, même si les pays ont acquis leur indépendance depuis. Beaucoup de remarques seraient encore totalement d’actualité… la motivation principale restant la même : le profit !

Continuer la lecture… Voyage au Congo – André Gide

Qui a tué Palomino Molero ? – Mario Vargas Llosa

Qui a tué Palomino Molero ? - Mario Vargas Llosa Comme l’annonce le titre, il s’agit d’un roman policier, où l’originalité de l’histoire tient essentiellement au fait qu’elle se déroule au Pérou, dans la petite ville de Talara.

Les moyens de la gendarmerie sont très limités,et quand le seul taxi de Talara n’est pas libre, il faut faire du stop pour aller à la ville d’à côté pour les besoins de l’enquête… et parfois revenir à pied ! Pour les trajets plus courts, il y a le cheval ou la bicyclette.

Lituma, un jeune gendarme du coin va suivre l’enquête de l’expérimenté lieutenant Silva, qui maîtrise l’art d’obtenir des informations sans jamais poser de questions directes. Il est en outre obsédé par les rondeurs de Doña Adriana, la patronne du troquet où ils prennent leur repas.

Assurément le lieutenant était un homme droit et c’est pourquoi Lituma avait pour lui, outre de l’estime, de l’admiration. Il était fort en gueule, porté sur le verbe haut et la boisson, et lorsqu’il s’agissait de la grosse buvetière il perdait les pédales. Cela dit, Lituma, tout le temps qu’il travaillait sous ses ordres, l’avait toujours vu s’efforcer, dans tous les conflits, toutes les affaires qui arrivaient à la gendarmerie, de rendre justice. Et sans jamais faire de préférence.

Continuer la lecture… Qui a tué Palomino Molero ? – Mario Vargas Llosa

La voie cruelle – Ella Maillart

La voie cruelle - Ella Maillart Après avoir lu Oasis interdites, (le passionnant journal d’une traversée improbable de la Chine), j’ai voulu lire un autre roman d’Ella Maillart, l’écrivain voyageuse suisse.

La voie cruelle se passe quatre ans plus tard, à la veille de la seconde guerre mondiale : Ella part de Genève avec son amie Christina au volant d’une Ford, direction l’Afghanistan.

Ella part à la fois pour fuir l’Europe qui s’enfonce dans la guerre et le nationalisme, mais aussi pour retrouver un sens à la vie, « pour retrouver ceux qui savent encore vivre en paix » répond-elle spontanément à C.G. Jung avant de partir… Elle veut aller au Kafiristan :

C’est là que vivent les hommes que je compte étudier, dans une contrée où je me sens à l’aise. Ce sont des montagnards que l’esclavage des besoins artificiels n’a pas encore atteints, des hommes libres que nul ne force à augmenter leur production journalière.

Pour Christina, c’est un peu plus compliqué : sortant d’une énième cure de désintoxication (morphine, alcool), écrivain-poète avec une sensibilité à fleur de peau, c’est pour elle une dernière chance de s’en sortir :

J’ai trente ans. C’est là ma dernière chance pour corriger ma manière de vivre, une dernière tentative pour me reprendre en main. Ce voyage ne sera pas une folle escapade, comme si nous avions vingt ans ; et d’ailleurs ce serait impossible avec l’actuelle tragédie européenne. Ce voyage d’étude doit nous aider à atteindre notre but : devenir enfin des êtres conscients, capables de répondre d’eux-mêmes. Il m’est devenu insupportable de vivre ainsi à l’aveuglette… Quelle est la cause, quelle est la signification de ce chaos qui sape hommes et nations ? Et puis, enfin, il doit bien y avoir quelque chose que je puisse faire de ma vie, une idée, un but pour lequel je puisse mourir avec joie ou vivre.

Malgré ce début prometteur, je suis resté sur ma faim.

Continuer la lecture… La voie cruelle – Ella Maillart

Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes – Jean-Jacques Rousseau

Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes - Rousseau Comme il est toujours préférable de lire les grands auteurs pour se faire sa propre idée plutôt que d’écouter (puis répéter ?) ce qu’un autre en a dit… j’ai voulu lire celui-ci.

Avant de lire cet essai, Jean-Jacques Rousseau se résumait pour moi à la question : « l’homme naît-il bon ou mauvais ? » à laquelle il avait répondu par le premier choix… et bien souvent celui qui en parlait de nos jours laissait entendre que Rousseau s’était trompé.

Il le dit d’ailleurs beaucoup mieux dans la lettre à Philopolis (en annexe) :

Remarquez au reste que dans cette affaire je suis toujours le monstre qui soutient que l’homme est naturellement bon, et que mes adversaires sont toujours les honnêtes gens qui, à l’édification publique, s’efforcent de prouver que la nature n’a fait que des scélérats.

En fait, ce n’est pas vraiment ça que j’en retiens : c’est plutôt une sévère critique de la société (ou de l’État, du gouvernement) qui entretient l’inégalité, favorise la corruption, bride la liberté… et ce de manière  quasi inévitable. Ce que dit Rousseau sur la société n’a d’ailleurs pas pris une ride.

On ne peut pas en dire autant de son propos sur l’homme « naturel » ou « sauvage », mais dans les deux cas l’effort de démonstration et de raisonnement est impressionnant. Sans oublier la construction des phrases, superbe.

Il faut dire qu’à l’époque, la science en était à ses balbutiements, la connaissance du monde partielle, et qu’aujourd’hui on en sait beaucoup plus sur à peu près tous les sujets abordés. D’un autre côté, si les hommes « sauvages » ont été largement étudiés (lire Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss par exemple — qui parle d’ailleurs de Rousseau), ils ont également disparu, éliminés par notre civilisation : la boucle est bouclée.

Continuer la lecture… Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes – Jean-Jacques Rousseau

Niki, l’histoire d’un chien – Tibor Déry

Niki, l'histoire d'un chien - Tibor Déry J’ai entendu parler de ce livre sur France Culture, un samedi matin, lors de l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut (émission que je n’écoute d’ailleurs pas).

Le sujet en était ce livre, et dès le début (au moment où j’allais éteindre la radio), l’un des deux invités déclarait : « Je voudrais dire aux auditeurs d’éteindre la radio, d’aller acheter ce livre, et de s’y plonger avec délices ». Finkielkraut était un peu embêté, mais c’est ce que je fis. Et je ne fus pas déçu, c’est effectivement un très bon livre.

C’est donc l’histoire de Niki, une jeune femelle fox-terrier qui se fait adopter par Mr et Mme Ancsa à force de pirouettes et autres artifices de séduction…

Nous sommes en Hongrie, en 1948 : après la guerre, l’Armée Rouge occupe le pays, les communistes arrivent au pouvoir et les années de stalinisme vont commencer. Mais on sait peu de choses sur ce qui se passe, si ce n’est que le nom des rues ou des places changent régulièrement…

Car c’est bien l’histoire de Niki qui nous est contée, et pas celle de ses maîtres : le passage de la campagne à la ville, la disparition du maître (emprisonné pour n’avoir pas compris que le communisme n’exclut pas la corruption), et la tristesse qui envahit Niki au fur et à mesure que les années passent.

Tout au plus le narrateur s’amuse-t-il à faire des comparaisons entre ce que peut ressentir un chien et un humain… ce qui ne manque pas de nous faire réfléchir un peu. La censure empêche d’écrire certaines choses, mais les métaphores peuvent être encore plus fortes. Les observations sur le comportement animal sont remarquables, tout cela dans un style clair et limpide.

Continuer la lecture… Niki, l’histoire d’un chien – Tibor Déry