Niki, l’histoire d’un chien – Tibor Déry

Niki, l'histoire d'un chien - Tibor Déry J’ai entendu parler de ce livre sur France Culture, un samedi matin, lors de l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut (émission que je n’écoute d’ailleurs pas).

Le sujet en était ce livre, et dès le début (au moment où j’allais éteindre la radio), l’un des deux invités déclarait : « Je voudrais dire aux auditeurs d’éteindre la radio, d’aller acheter ce livre, et de s’y plonger avec délices ». Finkielkraut était un peu embêté, mais c’est ce que je fis. Et je ne fus pas déçu, c’est effectivement un très bon livre.

C’est donc l’histoire de Niki, une jeune femelle fox-terrier qui se fait adopter par Mr et Mme Ancsa à force de pirouettes et autres artifices de séduction…

Nous sommes en Hongrie, en 1948 : après la guerre, l’Armée Rouge occupe le pays, les communistes arrivent au pouvoir et les années de stalinisme vont commencer. Mais on sait peu de choses sur ce qui se passe, si ce n’est que le nom des rues ou des places changent régulièrement…

Car c’est bien l’histoire de Niki qui nous est contée, et pas celle de ses maîtres : le passage de la campagne à la ville, la disparition du maître (emprisonné pour n’avoir pas compris que le communisme n’exclut pas la corruption), et la tristesse qui envahit Niki au fur et à mesure que les années passent.

Tout au plus le narrateur s’amuse-t-il à faire des comparaisons entre ce que peut ressentir un chien et un humain… ce qui ne manque pas de nous faire réfléchir un peu. La censure empêche d’écrire certaines choses, mais les métaphores peuvent être encore plus fortes. Les observations sur le comportement animal sont remarquables, tout cela dans un style clair et limpide.

Ainsi, le premier hiver dans la ville est difficile pour Niki, brutalement privée de la liberté qu’elle connaissait à la campagne :

On lui dictait, avec tendresse et doigté, certes, non seulement ses devoirs, mais aussi ses joies, et la liberté elle-même lui était offerte à heures fixes. Trop jeune, elle avait du mal à prendre le pli d’une discipline que même les nerfs de l’homme ne tolèrent que si le mécanisme subtil lui en est révélé, si on le lui explique. Mais que dire des contraintes qui demeurent inexpliquées ? Ce n’est pas de bon coeur que nous nous résignons à comparer un homme à un chien ; il serait blasphématoire de mettre en parallèle une bête sans âme et un homme aux sentiments sublimes et à la vaste intelligence, mais comment expliquer les dispositions de plus en plus moroses de l’ingénieur, sinon précisément par le fait qu’il ne recevait aucune explication ? Aucun explication, ni sur son propre sort, ni sur d’autres questions qui le préoccupaient — qu’on nous passe une expression un peu prétentieuse — pour le compte de ses semblables. Comme à un chien stupide, être inférieur, il lui était impossible de reconnaître les nécessités de l’heure parce que rien n’était fait pour l’éclairer.

Un autre extrait pour le plaisir :

L’intelligence des bêtes n’établit aucune distinction entre le travail et le plaisir, dont l’antique untié ne devait rompre que sous la lourde patte de l’homme : pour Niki, la chasse au lièvre était donc un travail, devenu jeu ; par contre, la poursuite du caillou lancé — malgré l’excitation voluptueuse qu’elle faisait naître — un jeu devenu travail. Un jeu qui, peu à peu, comme jadis celui du ballon, tournait à l’idée fixe. La chienne ramenait le caillou au logis : elle entendait y poursuivre son travail. Dans la pièce, il y avait des cailloux dans tous les coins. En faisant le ménage, Mme Ancsa avait beau les faire disparaître, le lendemain elle trébuchait encore sur l’un d’eux que Niki avait caché sous le tapis, ou sorti d’une cachette connue d’elle seule. Dressée sur ses pattes de derrière comme pour foncer sur une souris cachée, la chienne visait le caillou de ses pattes de devant, sautait sur lui, le prenait entre ses dents et le plaçait triomphalement devant la chaussure de Mme Ancsa. La passion de la chasse obscurcissait à ce point son bon sens qu’il lui arriva, un jour que sa maîtresse était étendue sur le divan, de poser le caillou devant les chaussures que Mme Ancsa avait ôtées, et placées dans l’autre coin de la pièce, puis de s’accroupir à côté, remuant éperdument la queue, les yeux rayonnants de bonheur, prête à foncer au moment même où le soulier  donnerait un coup de pied au caillou.

Un excellent roman que l’on prend beaucoup de plaisir à lire. On aurait presque envie d’adopter un chien !

Tibor Déry (1894-1977) est un écrivain Hongrois. Membre du parti communiste dans ses jeunes années, il en est exclu en 1953.  Niki parait deux ans plus tard. En 1956, il participe à la révolution, et est emprisonné jusqu’en 1960, d’où il sortira vieux et fatigué.  C’est en 1958 qu’on l’a informé en prison que son chien , qui s’appelait également Niki, était mort.

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