Le quai de Ouistreham – Florence Aubenas

Le quai de Ouistreham - Florence Aubenas J’avais entendu parler de ce livre lors sa sortie il y a environ un an, et je m’étais dit que cela devait être intéressant de lire cette immersion de Florence Aubenas chez les travailleurs précaires, du côté de Ouistreham.

Comme indiqué sur la couverture, il s’agit d’un reportage et non d’un roman. Non pas que cela soit particulièrement mal écrit, mais n’attendez pas pour autant de grandes envolées littéraires : le ton est assez froid, la narration factuelle, tout cela peut-être volontairement…

Florence Aubenas va donc se retrouver à faire des ménages sur les ferrys accostant pour une heure au port avant de repartir. Le pire dans le genre lui a-t-on dit, on se demande même si elle ne l’a pas choisi exprès pour les besoins de son reportage. On perçoit déjà les limites du genre.

Plus quelques autres petits contrats, une heure par ci, deux heures par là, la nuit, le week-end, appelée au dernier moment pour un remplacement… car il faut être disponible si l’on veut arriver à la fin de la semaine avec une vingtaine d’heures, payées au smic quand tout va bien ; elle arrive ainsi à 700 € par mois, mais rien n’est garanti pour la semaine suivante ! Sans oublier l’indispensable voiture, ultime paradoxe, pour que tout cela soit seulement possible.

La description des conditions dans lesquelles se retrouvent ces gens sans qualification dans notre société, dans les différentes boites de nettoyage qu’elle va fréquenter est sans concession. Cadences infernales, petits chefs, le sentiment d’inexistence confirmé par l’absence du regard des autres (« on devient un prolongement de l’aspirateur »). L’esclavage moderne.

À Pôle Emploi, ce n’est pas mieux : flicage, administration kafkaïenne au bord de l’explosion… rien ne va plus, tout le monde le sait mais il faut faire comme si. Les demandeurs d’emploi sont des clients, les « journées emploi » organisées aussi bidon que les stages. De simples statistiques que l’on manipule allègrement.

A l’accueil, un type qui transpire excessivement est en train de protester :
– Je sais que je n’ai pas rendez-vous, mais je voudrais juste vous demander de supprimer mon numéro de téléphone sur mon dossier. J’ai peur qu’un employeur se décourage, s’il essaye d’appeler et que ça ne répond pas.
– Pourquoi ? […]
– Il ne marche plus.
– Qu’est-ce qui ne marche plus ?
– Mon téléphone.
– Pourquoi il ne marche plus ?
– On me l’a coupé pour des raisons économiques.
– Mais vous ne pouvez pas venir comme ça. Il faut un rendez-vous.
– Bon, on va se calmer. Je recommence tout : je voudrais un rendez-vous, s’il vous plaît, madame.
La jeune femme blonde paraît sincèrement ennuyée.
– Je suis désolée, monsieur, on ne peut plus fixer de rendez-vous en direct. Ce n’est pas de notre faute, ce sont les nouvelles mesures, nous sommes obligés de les appliquer. Essayez de nous comprendre. Désormais, les rendez-vous ne se prennent plus que par téléphone.
– Mais je n’ai plus le téléphone.
– Il y a des postes à votre disposition au fond de l’agence, mais je vous préviens : il faut appeler un numéro unique, le 39 49, relié à un central qui vient d’être mis en place. Il est pris d’assaut. L’attente peut être longue.
– Longue ?
– Parfois plusieurs heures.

L’expérience s’arrêtera le jour où on lui propose un CDI,« pour ne pas bloquer un emploi réel » : un contrat de 5h30 à 8 heures du matin, payé 8, 94 € brut de l’heure !

Je suis tout de même resté sur ma faim, il manque un peu d’empathie dans ce reportage. Florence Aubenas n’est pas de ce monde, et cela se sent, comme ses collègues de six mois ont du le sentir. Il y a comme une distance infranchissable entre eux (de la méfiance ?) qui transparaît dans sa narration. Il en résulte un drôle de sentiment : ces gens sont-ils tellement cons et incultes que ça ? je ne le crois pas, même s’ils sont certainement abrutis (au sens premier) par la vie que leur propose notre société. L’immersion a ses limites.

Florence Aubenas (1961) est une journaliste ayant travaillé à Libération comme grand reporter puis au Nouvel Obs. En 2005, elle est retenue en otage pendant plus de cinq mois en Irak. En 2009, elle est élue à la tête de l’Observatoire international des prisons.

 

 

 

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