Archives de catégorie : Littérature

Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes – Julien Campredon

Brûlons tous ces punks pour l'amour des elfes - Julien Campredon Voilà un livre que la libraire m’a mis dans les mains, en me promettant du bon temps, un bon délire, etc… S’agissant d’un petit recueil de nouvelles au prix modéré (5€), je n’ai pas été très regardant, et suis reparti avec ce livre, en plus de ceux que je venais chercher (et que j’avais sélectionné moi-même).

Je n’aurais pas du l’écouter ou la croire… Comme quoi, les goûts littéraires, ça ne se partage pas forcément. Dès la préface de l’éditeur, faite essentiellement d’une pseudo-lettre de l’auteur (on s’interroge déjà…), je me suis dit : « Aïe, c’est pas trop mon truc ce genre de délire ». Après une ou deux pages de la première nouvelle, j’ai refermé le livre définitivement.

Je ne peux donc pas en parler plus que ça… c’est du délire, plutôt bien écrit mais bon, écrire des histoires sans queue ni tête d’une dizaine de pages, ce n’est pas forcément un grand exploit. Ce n’est en tout cas pas ce que je recherche dans la littérature : un minimum de sens, des auteurs qui ont quelque chose à dire, sont grandement appréciés.

Une nouvelle occasion de citer Schopenhauer 😉 :

L’art de ne pas lire est très important. Il consiste à ne pas s’intéresser à tout ce qui attire l’attention du grand public à un moment donné. Quand tout le monde parle d’un certain ouvrage, rappelez-vous que quiconque écrit pour les imbéciles ne manquera jamais de lecteurs. Pour lire les bons livres, la condition préalable est de ne pas perdre son temps à en lire de mauvais, car la vie est trop courte.

Julien Campredon n’a pas de page wikipedia. J’ai lu qu’il était né en 1978.

Les habits neufs du président Mao – Simon Leys

Les habits neufs du président Mao - Simon Leys Ayant pu apprécier avec Le studio de l’inutilité puis Le bonheur des petits poissons la façon dont Simon Leys distille avec bonheur sa culture et ses passions (la littérature, la mer), j’ai eu envie de lire le livre par lequel il s’est fait connaître (sous ce pseudonyme) : « Les habits neufs du président Mao ».

Le livre est publié en 1971, et retrace les événements entre 1967 et 1969, au plus fort de la Révolution culturelle. Pour ce faire, Simon Leys se contente de lire la presse locale, celle de Hong-Kong, les publications officielles du Parti, etc..  et de les analyser à la lumière de sa grande connaissance de la Chine, où il réside et étudie depuis 1959.

À cette époque, beaucoup d’intellectuels français (et d’ailleurs) croient encore à une véritable révolution prolétarienne, la vague maoïste a encore de belles années devant elle. Et Simon Leys balaie tout ça en démontrant que le seul but de Mao Zedong en lançant cette « révolution culturelle », était de (re)prendre le pouvoir qui lui échappait en éliminant le Parti communiste chinois. Un véritable pavé dans la mare !

Alors bon, si l’on est pas spécialiste de la Chine, ce n’est pas évident de suivre… entre la longue liste des intervenants, qu’ils soient du Parti, des gardes rouges ou de l’armée, qu’il s’agisse de leur éviction ou de leur montée au pouvoir, c’est parfois difficile de s’y retrouver. Heureusement, la chronique est précédée d’une mise en perspective historique très utile .

En voici les premiers mots, illustrant parfaitement le propos de l’ouvrage :

La « Révolution culturelle », qui n’eut de révolutionnaire que le nom, et de culturel que le prétexte tactique initial, fut une lutte pour le pouvoir, menée au sommet entre une poignée d’individus, derrière le rideau de fumée d’un fictif mouvement de masse (dans la suite de l’événement, à la faveur du désordre engendré par cette lutte, un courant de masse authentiquement révolutionnaire se développa spontanément à la base, se traduisant par des mutineries militaires et par de vastes grèves ouvrières ; celles-ci, qui n’avaient pas été prévues au programme, furent impitoyablement écrasées).

Dans le post-scriptum, on peut aussi lire :

Depuis 1959 (conférence de Lushan), les dirigeants chinois n’ont pas cessé de chercher un moyen d’aiguiller Mao sur une voie de garage : leur idée était de le consacrer comme une sorte de fétiche suprême, et, donc , de le réduire à un glorieux état de paralysie, neutralisant ainsi une fois pour toutes, par cette apothéose même, tout le potentiel destructeur présenté par son redoutable talent d’invention.
À plusieurs reprises, Mao réussit à tromper leur vigilance — dans ce domaine, le lancement de la « Révolution culturelle » constitua son dernier coup de maître — mais, en fin de compte, les efforts de la bureaucratie furent largement couronnés de succès, tant et si bien que l’on peut même dire que la maoïsme est mort avant Mao. Mao lui-même en était conscient, et cela a d’ailleurs fait de lui, dans ses dernières années, une authentique figure de tragédie. Peu avant de rendre le dernier souffle, il fit à son entourage cette observation sarcastique qu’un bon nombre d’entre eux devaient être bien impatients de le voir enfin en route pour rencontrer Marx…

Une chose assez drôle est la liste des noms dont Mao était affublé dans les diverses communications : « grandiose pilote », « grandiose chef », « grandiose général en chef », « grandiose maître à penser », « suprêmement bien-aimé président Mao »… hélas, en ce qui concerne le pilotage, la réalité est toute autre :

Il souhaitait traduire dans les institutions sa contradiction interne : il était à la fois un homme de vision et un homme d’action — cela l’amenait à permettre à ces administrateurs efficaces dont les talents correspondaient à la moitié pragmatique de son esprit (les dirigeants du type de Zhou Enlai) d’opérer librement pour un temps, de façon à assurer au pays un certain degré de prospérité et de développement matériel, et puis, sur la base du capital ainsi accumulé, il se payait une extravagante orgie de radicalisme, lâchant en liberté tous les idéologues favoris et ses derviches tourneurs, déchaînant ses fantaisies visionnaires, à grands frais pour le pays.
Mao estimait — et il l’a d’ailleurs écrit — que cela constituait la méthode la mieux appropriée pour gouverner le pays. « Une mesure de Yin, une mesure de Yang, voilà le Dao », un pas vers la droite, un pas vers la gauche, voilà la voie de Mao.
Certes, Mao a toujours accordé une importance particulière à la « ligne des masses » : il ne faudrait pas oublier, cependant, que cette « ligne des masses » ne fut jamais encouragée et autorisée à se développer que dans la mesure où elle était dirigée contre les ennemis de Mao. Depuis le moment où il a réussi à s’emparer du pouvoir suprême dans le Parti et dans l’Armée (1935), durant les quelques quarante années qui ont suivi, Mao n’a jamais, en aucune circonstance, laissé qui que ce soit exprimer impunément, sous quelque forme que ce soit, la moindre critique de sa personne ou de sa politique. Les rares individus qui, sur la base de leur passé révolutionnaire, ou mus par leur honnêteté intellectuelle, ont osé enfreindre ce tabou, ont tous subi un sort tragique.

Au delà de la la chronique des événements, voilà quelques extraits, d’ordre plus général sur cette période. Le retour des intellectuels à la campagne, on a vu mieux comme révolution culturelle… le dernier extrait, où l’on voit comment les paysans appliquaient en fin de compte ces réformes, est plutôt truculent.

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1Q84 – Haruki Murakami

Voilà… J’ai fini les trois tomes de ce « best-seller » mondial, et je me demande bien pourquoi c’est un best-seller. J’avais pourtant un à-priori positif sur Murakami, après avoir lu et apprécié Kafka sur le rivage.

Avec cette (très longue) trilogie, je révise largement mon jugement. Voilà donc une sorte de résumé, sur le ton de la plaisanterie… mais bon après tant de déception et d’ennui au fil de ces plus de 1600 pages, il est normal de se détendre un peu.

Un seul tome aurait largement suffit… à supposer que ce genre d’histoire ait un quelconque intérêt. En refermant le troisième tome, c’est l’impression d’avoir perdu du temps qui prédomine. Que de pages inutiles, de redites, de personnages caricaturaux, ou encore de thèmes abandonnés…

Une belle occasion de citer Schopenhauer :

L’art de ne pas lire est très important. Il consiste à ne pas s’intéresser à tout ce qui attire l’attention du grand public à un moment donné. Quand tout le monde parle d’un certain ouvrage, rappelez-vous que quiconque écrit pour les imbéciles ne manquera jamais de lecteurs. Pour lire les bons livres, la condition préalable est de ne pas perdre son temps à en lire de mauvais, car la vie est trop courte.

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Grenouilles – Mo Yan

Grenouilles - Mo Yan J’avais bien aimé ‘Beaux seins, belles fesses‘, et ma frangine m’a offert celui-ci, toujours de Mo Yan. Comme dans le précédent, on se retrouve plongé dans la Chine profonde et rurale, au moment où ce monde va connaître beaucoup de changements avec l’arrivée du président Mao et de ses réformes !

Cette fois, Mo Yan a choisi de nous parler principalement de la politique de l’enfant unique (vers les années 70), et du bouleversement que cela provoqua sur ces familles paysannes, où la tradition recommande d’avoir un fils pour continuer la lignée…

Comme toujours, Mo Yan nous raconte cela avec beaucoup d’humour, avec des personnages truculents réagissant chacun à leur manière devant ces changements imposés par le Parti, les anecdotes multiples oscillant entre comédie et drame… au lecteur de se forger son opinion ! Le titre du livre repose sur l’homonymie en chinois entre les mots « grenouille » et « bébé ».

Le narrateur va nous raconter la vie de sa tante, gynécologue de son état, et qui va se retrouver en charge de la mise en application de ce planning familial. De donneuse de vie, elle va devenir une farouche forcenée de l’avortement : il va de soi que les directives du Parti doivent être appliquées à la lettre. On imagine bien les drames que cela a pu causer, mais moins les combines montées pour y échapper quand c’est Mo Yan qui vous les raconte !

J’ai malgré tout moins accroché à ce roman qu’au précédent. Il y manque une dimension plus globale, la chronique du village est certes révélatrice, mais… Mo Yan énonce, mais ne dénonce rien. Il reste tout de même le charme d’un récit d’une autre époque, d’un autre monde.

Mo Yan, est né en 1955 dans une famille paysanne. Pendant le Grand Bond en avant, sa famille connaît la famine. Pendant la Révolution culturelle, il est renvoyé de l’école. Il lui faudra s’engager dans l’armée pour pouvoir enfin écrire…

Just Kids – Patti Smith

Just kids - Patti Smith J’en avais entendu parler (en bien) à sa sortie, puis je l’avais oublié. Quand je l’ai vu au format poche sur la table du libraire, je n’ai pas hésité.

Et je n’ai pas été déçu : Patti Smith raconte avec une grande sincérité ses premières années à New-York, sa rencontre avec Robert Mapplethorpe, et les années de galère avant de devenir la célèbre chanteuse de rock que l’on connaît.

Arrivant du New Jersey, en 1967 (elle a une vingtaine d’années), un peu paumée, elle fait la connaissance de Robert, et une très belle histoire d’amour va alors commencer. Lui est artiste jusqu’au fond de son âme, et ne conçois pas d’autre vie. Elle est fan de poésie (Rimbaud…), mais a des doutes sur son propre talent. Dans ce contexte, ils vont vivre des années de galère, fauchés comme les blés, jusqu’à partager un sandwich certains jours, ne pouvant en payer deux. On parle dans ce cas d’une vie de bohème… c’est beau et romantique, mais la réalité que nous décrit Patti Smith nous remet les pieds sur terre. Ils ont vraiment galéré, et ce pendant plusieurs années, restant fidèles à leur passion commune pour l’art.

Robert va alors découvrir son homosexualité, mais cela n’altérera en rien leur relation. Ils vont rester très liés, tellement l’un stimule l’autre pour travailler, créer. C’est en cela que leur histoire est très belle, dépassant de loin le cadre d’une relation exclusive.

Robert deviendra un photographe célèbre pour ses portraits en noir et blanc (c’est lui qui réalise la pochette du premier disque de Patti Smith, Horses) ; il choquera aussi par ses photos de nus masculins et de l’univers SM.

Patti quant à elle commencera par lire des poèmes en public, puis aura l’idée d’inviter un guitariste pour ponctuer sa lecture de quelques rifs… Elle va aussi écrire des critiques rock (parait-il sans concessions !). C’est un peu comme ça que son histoire musicale commence… De fil en aiguille, elle finira par monter un groupe rock… et trouvera sa voie.

Le livre, bien qu’au format poche, contient pas mal de photos (noir et blanc bien sûr !) de cette époque. La couverture vous en donne un exemple. Personnellement, j’ai beaucoup aimé : c’est bien écrit, raconté avec beaucoup d’honnêteté, mais aussi de lucidité.

Patti Smith est née en 1946 à Chicago. Elle est donc musicienne et chanteuse, mais aussi poète, peintre et photographe. Le fruit de ses soirées de travail avec Robert…

Mr Nice – Howard Marks

Mr Nice - Howard Marks Livre proposé par le libraire quand je lui disais que j’avais beaucoup aimé Ringolevio… bon, dans ce dernier, il y avait un vrai projet social des Diggers et de son leader Emmet Grogan, « le grand théoricien du mouvement hippie… mais un hippie sérieux et très actif » comme le dit Paul Jorion.

Rien de similaire dans ce roman, mais tout de même l’autobiographie assez incroyable de ce Gallois qui va devenir le plus gros trafiquant de haschich de l’histoire d’Angleterre. Il ne touchera jamais aux drogues dures, ne commettra aucune violence, usera de 43 identités, 25 sociétés écrans… mais il va beaucoup énerver un type de la DEA qui en fera une affaire personnelle.

Gamin, Howard Marks est plutôt doué à l’école, à peu près autant que dissipé. Après le lycée, il passe avec succès un examen d’entrée au prestigieux Balliol collège d’Oxford. Sa matière de prédilection est la physique ; il est du genre à préparer ses examens les deux dernières semaines et les passer haut la main ; mais s’il peut tricher pour les obtenir, ça ne le dérange pas non plus ! C’est là qu’il va découvrir et aimer le cannabis. De plus, à l’époque (fin des années 60), la scène musicale anglaise est très active, avec les Beatles et les Rolling Stones… Un environnement parfait pour un étudiant défoncé et plutôt doué.

À la même époque, il se passionne pour je jeu de Go, ce qui explique peut-être qu’il se révèlera un fin stratège…

Vers les années 70, l’ami qui le fournissait se fait arrêter en Allemagne. Howard rencontre alors le fournisseur, un Afghan appelé Durrani, petit fils du frère de l’ancien roi d’Afghanistan. C’est comme ça qu’il va commencer sa carrière de dealer.

L’idée de base est assez simple : il faut un contact dans un aéroport pour récupérer les colis avant la douane et les sortir discrètement. Howard va alors se rendre en Irlande, et rencontrer un type de l’IRA, Mc Cann, un peu fou et incontrôlable. Ce dernier a besoin d’argent, pour la lutte armée…enfin, on ne sait pas trop, tellement le type est difficile à cerner. Toujours est-il que le trafic commence, le hasch étant convoyé ensuite en voiture vers Londres.

C’est à ce moment qu’il est contacté par un ami d’Oxford, travaillant pour les services secrets britanniques (MI6) qui veut en savoir un peu plus sur ce Mc Cann et l’IRA. Howard n’en fera rien, mais s’en servira plus tard à son premier procès : il prétendra travailler pour les services secrets de sa Majesté !

Et cela va continuer ainsi, de manière exponentielle, le train de vie augmentant en même temps. Le réseau de contacts de développe, et le marché américain est très demandeur… Là où l’on voit qu’il est imaginatif, c’est quand il utilise les opportunités du moment : à cette époque, de nombreux groupes rock partent en tournée aux USA. Il va donc cacher la drogue dans le matériel de groupes de rock britanniques fictifs partant en tournée aux USA… Il n’y a aucun contrôle aux douanes !

Et ainsi de suite…Howard Marks raconte tout cela avec beaucoup de franchise et on le lit comme un polar… Le type est malin, et ne manque ni d’imagination, ni d’humour. Jamais il touchera aux drogues dures, ni ne montera d’opérations armées.

Finalement, le type de la DEA finira par l’avoir, impliquant 14 pays dans la traque… Il sera condamné et passera sept ans dans l’un des pénitenciers le plus dur des États-Unis, grâce à l’acharnement de la DEA. Les moyens employés pour y arriver sont finalement assez révoltants, tous les coups sont permis et la loi détournée pour y arriver. « L’état, le plus froid des monstres froids », comme dit Nietzsche.

Howard Marks est né en 1945. En 1997, il se présente aux élections législatives avec comme seul programme la légalisation du cannabis ! Il participe aussi à des « live show », et jouera aussi dans quelques films. Le roman ‘Mr Nice’ a été porté à l’écran en 2010 par Bernard Rose.

Le Voleur – Georges Darien

Le Voleur - Georges Darien J’avais entendu parler de ce bouquin à la radio : c’était le livre que tous les anarchistes avaient sous le bras à la fin du XIXème siècle… Il n’en fallait pas plus pour  me donner envie de le lire.

Ainsi commence le narrateur, Georges Randal :

Le livre qu’on va lire, et que je signe, n’est pas de moi.[…] Je l’ai volé.

Le jeu de miroir est en place : le vrai nom de l’auteur est en fait Georges Adrien, écrivain français de tendance anarchiste. En 1894, comme un grand nombre d’anarchistes menacés par de nouvelles lois, il s’exile. Cette période de sa vie restera mystérieuse, laissant libre cours à l’imagination : est-ce sa vie d’alors qu’il raconte dans ce roman ? On n’en saura rien ; quand un journaliste lui demandait des précisions sur sa vie, il répondait :

Je n’ai pas pu comprendre, jusqu’ici, ce que la vie privée d’un littérateur pouvait avoir à faire avec la publication ou la représentation d’une de ses œuvres.

Mais revenons au roman : sous une forme romanesque, il s’agit d’une sévère critique de la société bourgeoise, décadente et corrompue de l’époque, ainsi qu’un vibrant appel à la liberté. Mais celle-ci peut être synonyme de solitude…

Né dans une famille riche, et devenu orphelin, Georges Randal une fois adulte se rend compte que son oncle, tuteur de sa fortune, l’en a complètement dépouillé, qui plus est de manière tout à fait légale. Très lucide sur le monde qui l’entoure (banquiers, notaires, hommes d’affaire, ancienne noblesse), et sur l’état de la société (décadence des mœurs, corruption, injustice), il décide de devenir voleur en toute connaissance de cause et sans aucun remord.

Je mange, je bois ; et je laisse l’assiette sur le buffet et la bouteille sur la table. Il y a des voleurs qui remettent tout en ordre, dans les maisons qu’ils visitent. Moi, jamais. Je fais un sale métier, c’est vrai ; mais j’ai une excuse : je le fais salement.

Si le ton ressemble parfois à un celui d’un vaudeville, et la table des matières à celle d’un roman feuilleton, le monde décrit est sans appel. George Randal est un révolté qui aspire à la liberté, et n’a aucun scrupule à voler des gens qui ne sont finalement que des voleurs, mais en toute impunité. Les portraits des personnages sont féroces, c’est très bien écrit, et les critiques de cette société bourgeoise et corrompue plutôt percutantes.

Mais Randal va aussi rencontrer l’amour. Et son absolutisme, son besoin de liberté va lui faire refuser l’engagement que ce dernier implique. Le poids de la solitude deviens lourd à porter… Le bilan final est encore une fois très lucide :

Conclusion ? Je ne serai plus un voleur, c’est certain. Et encore ! Pour répondre de l’avenir, il faudrait qu’il ne me fût pas possible d’interroger le passé… J’ai voulu vivre à ma guise, et je n’y ai pas réussi souvent. J’ai fait beaucoup de mal à mes semblables, comme les autres ; et même un peu de bien, comme les autres ; le tout sans grande raison et parfois malgré moi, comme les autres. L’existence est aussi bête, voyez-vous, aussi vide et aussi illogique pour ceux qui la volent que pour ceux qui la gagnent. Que faire de son cœur ? que faire de son énergie ? que faire de sa force ?

Voilà d’autres extraits pour vous faire une idée, y compris quelques portraits saignants…

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Peste & Choléra – Patrick Deville

Peste & Choléra - Patrick Deville D’abord offert à des amis sur un conseil du libraire, on m’a également offert ce livre par la suite. Les amis m’ayant confirmé qu’il s’agissait d’un bon roman, c’est assez confiant que j’en ai commencé la lecture.

Et je n’ai pas été déçu : d’abord parce que l’histoire racontée est celle véridique d’Alexandre Yersin, illustre inconnu à qui l’on doit la découverte du bacille de la peste (la Yersinia Pestis…), excusez du peu. Puis le style littéraire de Patrick Deville, qui sait admirablement raconter cette vie exceptionnelle, mariant aisément la distance et l’humour, le contexte et la précision historique… difficile à définir, mais très élégant et parfaitement abouti.

Yersin était l’un des chercheurs faisant partie du premier groupe autour de Louis Pasteur, à la fin du XIXe siècle. Alors que beaucoup d’entre eux obtinrent un prix Nobel à un moment ou à un autre, lui passera au travers et restera dans l’anonymat. Mais quelle vie !

En fait, il préfère l’aventure au laboratoire, ses héros sont Stanley et Livingstone… Il part en Asie, sera marin, explorateur, puis s’installera au Vietnam, à Nah Trang, loin des deux guerres mondiales qui vont ravager l’Europe. Là, il s’intéresse à l’agriculture, et développe notamment la culture de l’hévéa qu’il importe et acclimate. C’est l’époque où les automobiles arrivent, et il anticipe les besoins en caoutchouc pour les pneumatiques : il fournira alors Michelin… ce qui lui assurera les fonds nécessaires à ses activités multiples.

C’est drôle, lorsque le libraire me présenta ce roman, il me dit « ce type a tout loupé », faisant sans doute référence à l’absence de reconnaissance et à son relatif anonymat. Je trouve au contraire qu’il a su vivre la vie dont il avait envie, sans se laisser détourner par son « devoir » ou ses « responsabilités ». Une belle leçon de liberté.

Autres articles sur Patrick Deville sur le blog :

Patrick Deville est un écrivain français né en décembre 1957. Il suit des études de littérature comparée et de philosophie à Nantes, puis voyage pas mal apparemment. En 2011, le magazine Lire élit Kampuchea meilleur roman de l’année. En 2012, il reçoit pour ce roman le prix Femina, le prix du roman fnac, et le prix des Prix littéraires.

Spooner – Pete Dexter

Spooner - Pete  Dexter À la recherche d’un cadeau pour un ami, et sur les conseils du libraire, j’avais porté mon choix sur ce livre. J’ai profité de sa sortie en poche pour le lire, l’ami en question n’ayant pas semblé plus emballé que ça par l’histoire : « j’attends de voir où il veut en venir ».

L’histoire, c’est donc celle d’un jeune garçon, Spooner, qui semble plus doué pour faire des bêtises que pour se comporter normalement. En fait il ne comprend pas vraiment le monde dans lequel il doit vivre, ni ses règles. Son beau-père l’aidera pourtant à trouver sa place dans une société puritaine et conservatrice, ayant lui-même eu des difficultés à y trouver la sienne (il ne s’agit pas de s’épanouir, plutôt de ne pas se faire rejeter). Sa vie d’adulte sera aussi compliquée, mais il deviendra tout de même journaliste, puis écrivain. On a vu pire.

Il faut attendre les derniers chapitres pour voir ces deux êtres se rapprocher un peu, l’âge aidant. C’est la partie la plus intéressante du roman, on réalise qu’une vie est passée sans qu’ils communiquent vraiment tous les deux… la faute à personne, à chacun, à la société…

Et entre le début et cette fin, soit cinq cent pages, nous serons abreuvés d’anecdotes souvent drôles, mais d’un intérêt limité. La scène de « l’enterrement en mer » m’a fait penser  à « La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole tant elle est loufoque. Sinon c’est bien écrit, l’auteur sait manifestement faire (bien écrire beaucoup de pages), mais reste assez superficiel dans l’ensemble.

Au final un roman américain de plus, avec le nombre respectable de pages qu’il faut. S’il avait fallu en mettre le double, ça aurait été facile, il suffisait d’ajouter de nouvelles anecdotes. Dommage à mon sens que l’auteur n’aborde pas plus tôt le fond de l’histoire, et surtout ne le développe tout au long du roman.

Pete Dexter est un écrivain/scénariste américain né en 1943 à Pontiac, Michigan. Il est également l’auteur de « Paperboy », porté à l’écran en 2012.

L’Unique et sa propriété – Max Stirner

L'Unique et sa propriété - Max Stirner Voilà un livre dont j’avais déjà entendu parler plusieurs fois, d’abord par Michel Onfray, puis au fil des lectures : souvent cité, toujours critiqué ou tourné en dérision (Marx l’appelle Sancho…). Publié en 1844, il est immédiatement censuré, puis autorisé deux jours plus tard car « trop absurde pour être dangereux » ! Alors forcément, tout ça donnait envie de le lire.

La lecture n’a pas été facile, car Stirner tourne et retourne la même idée dans tous les sens, sans relâche et sous tous les angles, jusqu’à vous tourner la tête. Paradoxalement, je n’ai jamais fait autant de marques dans la marge, tant ses jugements sont percutants. Heureusement, le ton est plutôt agréable, l’auteur ne se réfugiant pas derrière des concepts philosophiques abscons.

De quoi s’agit-il ? un véritable réquisitoire contre toute aliénation de l’individu, que ce soit la religion, la philosophie, l’humanisme, l’État, le socialisme, le communisme… et par conséquent une apologie de l’égoïsme qui seul peut nous rendre notre liberté. Stirner refuse toute sujétion, rien n’est au-dessus de son Moi, et il l’annonce clairement dès les premières lignes :

Qu’y a-t-il qui ne doive être ma cause ! Avant tout la bonne cause, puis la cause de Dieu, la cause de l’humanité, de la vérité, de la liberté, de la justice, la cause de mon peuple, de mon prince, de ma patrie et jusqu’à celle de l’esprit et mille autres. Seule ma cause ne doit jamais être ma cause. « Anathème sur l’égoïste qui ne pense qu’à soi! ».
Voyons donc comment ils l’entendent, leur cause, ceux-là mêmes qui nous font travailler, nous abandonner, nous enthousiasmer pour elle. […]
Pour Moi, il n’y a rien au-dessus de Moi.

Il prône l’égoïsme donc, ce qui pose forcément le problème de la vie en société… et c’est sans doute pour cela qu’il est si décrié. C’est aussi ce que j’attendais de comprendre : que propose-t-il à la place ? Il y répond, mais je trouve de manière assez succincte : Stirner remplace la loi (soumission) par une association libre d’égoïstes : la cause n’est pas l’association mais celui qui en fait partie. On multiplie ainsi la puissance, et l’association n’est que temporaire.

Il est persuadé qu’ainsi tout se passera très bien… un peu léger tout de même, car cela laisse la part belle aux prédateurs. Mais en y regardant de plus près, n’est-ce pas ce que l’on fait tous plus ou moins ? derrière les grands principes de l’humanisme, quand on regarde ce que font les gens (l’actualité nous en fait la démonstration tous les jours), n’est-ce pas Stirner qui a raison ?

L’intérêt du livre à mon avis est surtout la mise en évidence de la sujétion de l’homme, que ce soit à la nature, puis à Dieu, puis à l’Homme, puis à l’État (dans l’ordre chronologique). Soyons nous-mêmes, et pas ce que l’on nous demande d’être. C’est la seule manière de s’épanouir complètement, partir de ce qui est en nous (et nous sommes tous unique) et pas de ce qui vient de l’extérieur. J’ai particulièrement aimé la partie où Stirner parle de la révolution française, c’est pour le moins percutant !

Place à quelques extraits pour vous faire une idée…

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