Ayant pu apprécier avec Le studio de l’inutilité puis Le bonheur des petits poissons la façon dont Simon Leys distille avec bonheur sa culture et ses passions (la littérature, la mer), j’ai eu envie de lire le livre par lequel il s’est fait connaître (sous ce pseudonyme) : « Les habits neufs du président Mao ».
Le livre est publié en 1971, et retrace les événements entre 1967 et 1969, au plus fort de la Révolution culturelle. Pour ce faire, Simon Leys se contente de lire la presse locale, celle de Hong-Kong, les publications officielles du Parti, etc.. et de les analyser à la lumière de sa grande connaissance de la Chine, où il réside et étudie depuis 1959.
À cette époque, beaucoup d’intellectuels français (et d’ailleurs) croient encore à une véritable révolution prolétarienne, la vague maoïste a encore de belles années devant elle. Et Simon Leys balaie tout ça en démontrant que le seul but de Mao Zedong en lançant cette « révolution culturelle », était de (re)prendre le pouvoir qui lui échappait en éliminant le Parti communiste chinois. Un véritable pavé dans la mare !
Alors bon, si l’on est pas spécialiste de la Chine, ce n’est pas évident de suivre… entre la longue liste des intervenants, qu’ils soient du Parti, des gardes rouges ou de l’armée, qu’il s’agisse de leur éviction ou de leur montée au pouvoir, c’est parfois difficile de s’y retrouver. Heureusement, la chronique est précédée d’une mise en perspective historique très utile .
En voici les premiers mots, illustrant parfaitement le propos de l’ouvrage :
La « Révolution culturelle », qui n’eut de révolutionnaire que le nom, et de culturel que le prétexte tactique initial, fut une lutte pour le pouvoir, menée au sommet entre une poignée d’individus, derrière le rideau de fumée d’un fictif mouvement de masse (dans la suite de l’événement, à la faveur du désordre engendré par cette lutte, un courant de masse authentiquement révolutionnaire se développa spontanément à la base, se traduisant par des mutineries militaires et par de vastes grèves ouvrières ; celles-ci, qui n’avaient pas été prévues au programme, furent impitoyablement écrasées).
Dans le post-scriptum, on peut aussi lire :
Depuis 1959 (conférence de Lushan), les dirigeants chinois n’ont pas cessé de chercher un moyen d’aiguiller Mao sur une voie de garage : leur idée était de le consacrer comme une sorte de fétiche suprême, et, donc , de le réduire à un glorieux état de paralysie, neutralisant ainsi une fois pour toutes, par cette apothéose même, tout le potentiel destructeur présenté par son redoutable talent d’invention.
À plusieurs reprises, Mao réussit à tromper leur vigilance — dans ce domaine, le lancement de la « Révolution culturelle » constitua son dernier coup de maître — mais, en fin de compte, les efforts de la bureaucratie furent largement couronnés de succès, tant et si bien que l’on peut même dire que la maoïsme est mort avant Mao. Mao lui-même en était conscient, et cela a d’ailleurs fait de lui, dans ses dernières années, une authentique figure de tragédie. Peu avant de rendre le dernier souffle, il fit à son entourage cette observation sarcastique qu’un bon nombre d’entre eux devaient être bien impatients de le voir enfin en route pour rencontrer Marx…
Une chose assez drôle est la liste des noms dont Mao était affublé dans les diverses communications : « grandiose pilote », « grandiose chef », « grandiose général en chef », « grandiose maître à penser », « suprêmement bien-aimé président Mao »… hélas, en ce qui concerne le pilotage, la réalité est toute autre :
Il souhaitait traduire dans les institutions sa contradiction interne : il était à la fois un homme de vision et un homme d’action — cela l’amenait à permettre à ces administrateurs efficaces dont les talents correspondaient à la moitié pragmatique de son esprit (les dirigeants du type de Zhou Enlai) d’opérer librement pour un temps, de façon à assurer au pays un certain degré de prospérité et de développement matériel, et puis, sur la base du capital ainsi accumulé, il se payait une extravagante orgie de radicalisme, lâchant en liberté tous les idéologues favoris et ses derviches tourneurs, déchaînant ses fantaisies visionnaires, à grands frais pour le pays.
Mao estimait — et il l’a d’ailleurs écrit — que cela constituait la méthode la mieux appropriée pour gouverner le pays. « Une mesure de Yin, une mesure de Yang, voilà le Dao », un pas vers la droite, un pas vers la gauche, voilà la voie de Mao.
Certes, Mao a toujours accordé une importance particulière à la « ligne des masses » : il ne faudrait pas oublier, cependant, que cette « ligne des masses » ne fut jamais encouragée et autorisée à se développer que dans la mesure où elle était dirigée contre les ennemis de Mao. Depuis le moment où il a réussi à s’emparer du pouvoir suprême dans le Parti et dans l’Armée (1935), durant les quelques quarante années qui ont suivi, Mao n’a jamais, en aucune circonstance, laissé qui que ce soit exprimer impunément, sous quelque forme que ce soit, la moindre critique de sa personne ou de sa politique. Les rares individus qui, sur la base de leur passé révolutionnaire, ou mus par leur honnêteté intellectuelle, ont osé enfreindre ce tabou, ont tous subi un sort tragique.
Au delà de la la chronique des événements, voilà quelques extraits, d’ordre plus général sur cette période. Le retour des intellectuels à la campagne, on a vu mieux comme révolution culturelle… le dernier extrait, où l’on voit comment les paysans appliquaient en fin de compte ces réformes, est plutôt truculent.
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