C’est Simon Leys dans son studio de l’inutilité qui parlait de cet auteur et de ce livre avec suffisamment d’enthousiasme pour donner envie de le lire. J’hésitais un peu, Henri Michaux étant écrivain mais aussi poète, et je ne savais pas trop à quoi m’attendre…
Ce fût un vrai bonheur à lire, lecture ponctuée parfois d’éclats de rire tant les remarques d’Henri Michaux sont souvent drôles. Il s’agit donc de notes prises durant un voyage en asie qu’il fît en 1931 : la moitié de l’ouvrage est consacrée à l’Inde, un quart à la Chine, pour finir avec le Japon et la Malaisie.
Dans une première préface, rédigée en 1945, l’auteur nous dit :
Douze ans me séparent de ce voyage. Il est là. Je suis ici. On ne peut plus grand-chose l’un pour l’autre. Il n’était pas une étude et ne peut le devenir, ni s’approfondir. Pas davantage être corrigé.
Il a vécu sa vie.
Je me suis limité à changer quelques mots, et seulement selon sa ligne.
Puis dans une nouvelle préface, assez émouvante, rédigée en 1967, il confirme le décalage :
Le fossé s’est encore agrandi, un fossé de trente-cinq ans , à présent.
Et l’Asie continue son mouvement, sourd et secret en moi, large et violent parmi les peuples du monde. Elle se remanie,elle s’est remaniée, comme on ne l’aurait pas cru, comme je ne l’avais pas deviné.
Il date ce livre. De l’époque à la fois engourdie et sous tension de ce continent ; il date. De ma naïveté, de mon ignorance, de mon illusion de démystifier, il date. Il date d’un Japon excité, surexcité, parlant guerre, chantant guerre, promettant guerre, défilant, hurlant, vociférant, menaçant, harcelant, tenant en réserve des bombardements, des débarquements, des destructions, des invasions, des assauts, de la terreur.
Il date d’une Chine traquée, entamée, menacée de dépècement, n’arrivant plus à se ressaisir, méfiante, fermée, ne sachant plus avec une civilisation désorganisée faire face efficacement ni par ruse, ni par le nombre, ni par rien d’éprouvé jusque-là, au cataclysme imminent.
Il date d’une Inde qui, avec des moyens inattendus ayant l’apparence de la faiblesse, essayait avec malaise de faire lâcher prise au solide peuple dominateur qui la tenait en dépendance. […]
Ce livre qui ne me convient plus, qui me gêne et me heurte, me fait honte, ne me permet de corriger que des bagatelles le plus souvent.
Il a sa résistance. Comme s’il était un personnage.
Il a un ton.
À cause de ce ton, tout ce que je voudrais en contrepoids y introduire de plus grave, de plus réfléchi, de plus approfondi, de plus expérimenté, de plus instruit, me revient, m’est renvoyé… comme ne lui convenant pas. Ici barbare on fut, barbare on doit rester.
Ce n’est pas faux, Michaux s’attache à nous décrire l’homme de la rue comme il perçoit, mais aussi avec son imaginaire, et son humour. Mais à force de tenter de nous décrire « l’Indien est comme ci, le chinois est comme ça », il est difficile d’éviter la caricature, et encore plus de résister au temps qui passe. Mais cela ne l’empêche pas de toucher juste parfois : sur l’Inde, que je connais un peu, je me suis esclaffé plusieurs fois à lire ses observations ; il ne s’agit pas ici de tout prendre au pied de la lettre… Et puis, sa préface en forme d’auto-critique l’excuse largement, et nous met dans les bonnes conditions de lecture.
Personnellement, je l’ai lu avec grand plaisir, et sous l’angle de l’humour, dont Michaux ne manque pas. Par contre, ses remarques sur la musique (il apprécie beaucoup la musique chinoise), et surtout le théâtre (dont il semble être un passionné) sont très pertinentes.
Voilà quelques extraits pour vous faire une idée.
Continuer la lecture… Un barbare en asie – Henri Michaux →