Romans noirs – Jean-Patrick Manchette

C’est sur France Culture que j’ai entendu parler de cet auteur français de polars (voir les liens en fin d’article). J.P. Manchette y était présenté comme celui qui importa en France le style des romans noirs américains (fan de Dashiell Hammett), style qu’il baptisera lui-même de « néo-polar ».

J’ai lu avec grand plaisir ces « Romans noirs », bien français, des années 70-80, et pas mal politisés : que ce soit l’extrême-droite ou l’ultra-gauche, l’anti-système est présent. C’est lié à l’époque certainement, mais aussi aux convictions de l’auteur (voir plus bas).

Par ailleurs, Manchette ne perd pas son temps en descriptions oiseuses, on est tout de suite dans l’action, et elle ne s’arrêtera qu’à la fin de l’histoire. La lecture en est rendue assez haletante, on ne s’ennuie pas, et on tourne les pages avec délectation.

C’est ce que l’on appelle l’écriture « behavioriste » ou comportementaliste chère au romancier américain Dashiell Hammett. Dans ce style d’écriture, seuls les comportements, les actes et les faits sont décrits mais presque jamais les sentiments et les états d’âme. Il appartient au lecteur, à partir des fragments visibles du puzzle, de tirer la vision d’ensemble et d’entendre, par-delà les mots, ce qui n’a pas été dit (Wikipedia).

Voyons un peu le contenu de ce recueil, les adaptations cinéma qui ont été faites de ses romans (avec plus ou moins de succès), son auto-biographie, et enfin un petit mot sur la SF puisque qu’il a participé à une collection de romans de SF qui m’a rappelé mes premières lectures !

Je croyais avoir lu l’intégrale de J.P. Manchette avec ce recueil, mais en discutant avec la libraire, il manque apparemment « L’homme au boulet rouge », écrit en collaboration avec B.J. Sussman, juste après « Laissez bronzer les cadavres ! ». C’est l’unique western écrit par J.P. Manchette… hélas épuisé ! 🙁
La libraire m’a proposé de me le prêter si elle le retrouve dans sa bibliothèque ! 🙂

Le recueil commence par Laissez bronzer les cadavres ! (écrit en collaboration avec J.P. Bastid), première publication dans la collection Série Noire (en 1971), et dont je me demandais s’il allait rester des survivants dans cette sorte de huis-clos dans un village abandonné dans le Gard…

L’Affaire N’Gustro, paru peu de temps après, fait clairement référence à l’affaire Ben Barka. Il en dira :

Dans L’Affaire N’Gustro, j’avais pris le point de vue d’un “fasciste”, pour me distancier, comme on dit à Vincennes : ça a un peu agacé les lecteurs de la Série noire, qui n’ont pas très bien compris si j’étais d’extrême droite ou non.

Vient ensuite Ô dingos, ô chateaux! (1972), porté à l’écran par Yves Boisset dans « Folle à tuer », avec Marlène Jobert (adaptation fidèle).

Nada raconte l’enlèvement d’un ambassadeur par un groupe d’anarchistes. C’est le roman le plus directement politique de Manchette. Il fait dire à son personnage principal :

Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à cons…

Et lui-même explique plus tard à propos du groupe révolutionnaire de Nada :

Ils représentent politiquement un danger public, une véritable catastrophe pour le mouvement révolutionnaire. J’ai exposé que le naufrage du gauchisme dans le terrorisme est le naufrage de la révolution dans le spectacle.

Il faut préciser que Manchette était assez proche des idées de l’Internationale situationniste formalisée par Guy Debord, et de sa critique de la société du spectacle.

Nada sera adapté au cinéma par Claude Chabrol, mais ce dernier coupe au montage une phrase du communiqué du groupe Nada où sont attaqués le Parti communiste et L’Humanité. Manchette estime que le message du roman est dénaturé et désavoue le film ! 😮

Personnellement, Je l’ai trouvé fidèle au roman, c’est plutôt un bon film, très « révolutionnaire » dans sa vision d’un état comme le décrivait Nietzsche : « Le plus froid des monstres froids ».

Dans les deux romans suivants (Morgue pleine et Que d’os) apparaît le personnage d’Eugène Tarpon, sorte d’anti-héros, détective privé fauché, ancien gendarme ayant tué accidentellement un manifestant, jetant sur le monde un regard désabusé, et roulant en 2CV.

Viennent ensuite Le petit bleu de la côte Ouest, abordant le malaise des cadres, façon Manchette. Puis Fatale (sans doute le moins abouti à mon avis), et enfin La position du tireur couché, excellent, porté deux fois à l’écran : « Le Choc » avec Alain Delon (qui sera un échec), et « The Gunman » avec Sean Penn (très librement adapté, il ne reste pas grand chose de l’histoire originale).

Dans ce recueil, après les neufs romans publiés de Manchette (la plupart en Série Noire), viennent deux textes, l’un abandonné : Iris puis un autre non inachevé : La princesse de sang. On passe ensuite de façon inattendue à une BD que Manchette avait fait avec Tardi : Griffu (avec encore un privé bien de chez nous, revenu de tout !). Et on termine par « Le coin des affaires », sorte de catalogue des objets et références des années 1970-1980, faisant partie de l’univers de Manchette.

Et comme toujours dans Quarto, vient une biographie de Jean-Patrick Manchette (1942-1995), décidément parti trop tôt. En autres, il aura été (dans les années 1975-1980) chroniqueur des jeux de l’esprit dans Métal Hurlant, critique de cinéma dans Charlie Hebdo et auteur de critique de romans noirs dans Charlie Mensuel, sous le pseudonyme de Shuto Headline (qui sont la traduction en japonais puis en anglais de son nom ! 🙂 ).

Il souffrira d’agoraphobie pendant plusieurs années et reste alors retranché dans son appartement parisien. Il avait l’air d’être hyper actif, gros fumeur (toujours une clope à la main sur les photos), et meurt d’un cancer.

Mais c’est J.P. Manchette qui se décrit le mieux :

L’auteur par lui-même

Né le 19 décembre 1942 à Marseille, dans la classe moyenne.
Enfance et première jeunesse à Malakoff (Hauts-de-Seine).
Études secondaires au lycée Michelet.
Études supérieures d’anglais et d’histoire et géographie à Paris. Pas de diplômes.
À l’époque et par périodes : auto-stoppeur longue distance, pompiste, instituteur, assistant de français dans un collège pour aveugles en Angleterre (Worcester), militant néo-bolchevik, contrebassiste et saxophoniste (alto), cinéphile.
Écrit professionnellement depuis 1965/.
Marié, un fils. Vit à Clamart depuis 1965, compte s’installer à Pairs en 1979.

De 1965 à 1970, effectue des travaux d’écriture très divers : films libidineux, synopsys, retapage de scénarios, négrifications, adaptations « littéraire » de films, télévision scolaire, t.v. de diffusion normale (série Les Globe-Trotters), prière d’insérer, romans d’aventures pour adoslecents, romans pornographiques, films pour la prévention des accidents du travail, et nombreuses traductions de l’anglais, seul ou en collaboration avec sa femme traductrice.

Après 1970, publie des romans à la Série Noire (Gallimard), et collabore aux films suivants : – Nada, de Claude Chabrol. – Folle à tuer, d’Yves Boisset. – L’Agression, de Gérard Pirès. – L’Ordinateur des pompes funèbres, de Gérard Pirès.

Est considéré comme « gauchiste » et représentatif de la nouvelle tendance du roman noir français. Se réfère aussi à la vieille tendance « réaliste-critique » du roman noir américain, étant entendu qu’elle a changé de fonction et de théâtre? Au reste, pense que le Roman a depuis un bout de temps fini de donner tout ce qu’il pouvait donner, et cherche seulement à distraire ses amis.

Aime : les jeux (à l’exception des jeux d’argent) ; le cinéma hooluwoodien ; le jazz ; la pensée allemande ; l’entrecôte.

Romans de SF

Il sera aussi à l’initiative d’une collection de science-fiction nommée « Chute Libre » (CHAMP LIBRE), dirigée par Jean-Claude Zylberstein, avec des auteurs tels que Philip José Farmer, Philip K. Dick, Norman Spinrad, J.G. Ballard.

Champ Libre avait pour but de publier des ouvrages de critique sociale reflétant des courants de gauche critique et d’extrême gauche non léniniste de l’époque.

Ce qui me rappelle mes premières lectures, mais dans une autre collection : Titres/SF (J.C. LATTÈS). C’est avec cette collection que j’ai commencé à lire des romans (de SF donc). En y regardant de plus près, il semble bien que Titres S.F. ait repris pas mal des titres de Chute Libre, quatre ans plus tard (1975 & 1979), si j’en crois nooSFere, le site de référence de la SF en France.

Finalement, j’ai trouvé l’explication racontée par JP Manchette lui-même dans ses Chroniques (Charlie mensuel juillet 1979) :

Encore la crise : voici une petite dizaine d’années, la collection Chute libre, aux éditions Champ libre, voulut être à la nouvelle époque ce que la Série noire avait été à l’époque précédente. Je le sais, j’y étais, et c’est moi qui donnai son nom de baptême à cette gentille collection. Elle a publié surtout de la S.-F., parfois excentrique. Enfin elle s’est tue, comme la fraction debordiste de l’ex-Internationale situationniste restait seule à contrôler Champ libre et se souciait peu de gérer une collection de romans. Du coup, beaucoup de titres de Chute libre vont être réédités, avec d’autres textes, dans la collection bon marché Titres S.-F., chez Lattès.

Pour le plaisir, quelques comparaisons de couvertures entre Titres/SF et Chute Libre :

Norman Spinrad
Philip K. Dick

Mine de rien, les couvertures de l’époque en jetaient pas mal, non ?

France Culture

Et voilà les liens des deux émissions qui parlent de Jean-Patrick Manchette, qui sont assez passionnantes pour découvrir l’auteur :

Une belle découverte en tout cas, il y a ses chroniques (polars, cinéma) de disponibles Chez Rivages noirs apparemment. Ainsi que son journal, mais d’après FC, pas forcément très faciles à lire, Manchette se livrant très peu finalement.

2 réflexions sur « Romans noirs – Jean-Patrick Manchette »

  1. Salut Pascal,
    J’espère que tu vas bien
    J’ai « l’homme au boulet rouge » au format epub, si cela t’intéresse fait moi signe
    Amitiés
    Pierre

    1. Salut Pierre,
      Oui, tout va bien. Je vais attendre de voir si la libraire pense à sa promesse, la lecture papier est tout de même plus agréable… Sinon j’ai compris pourquoi « L’homme au boulet rouge » ne figure pas dans l’édition Quarto : ce n’est pas un polar mais un western : il ne peut donc faire partie de ce « Romans noirs »… 😕

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