Romans – Dashiell Hammett

Dashiel Hammett est une référence dans le monde du roman policier. Il fût le premier à casser les codes du roman policier classique tel que les anglais l’avaient imaginé : le bien et le mal clairement identifiable, une intrigue dans un milieu aisé qui se résout grâce à une faculté d’analyse hors du commun.

Avec Hammet, place à l’action, à la violence de la rue, aux femmes fatales, et au détective le revolver dans une main, un verre de whisky dans l’autre… c’est la naissance du roman noir ! Et à la fin de l’histoire, on règle les comptes.

Il faut dire qu’à son époque, aux États-Unis, c’est la prohibition, la pègre n’a jamais été aussi puissante. De plus une expérience de détective à l’agence Pinterkton va lui fournir de bonnes bases et contribuer à son inspiration.

Ce recueil contient les cinq romans que Hammett a écrit :

D’abord Moisson rouge que j’ai trouvé excellent, suivi de Sang maudit que j’avais déjà lu (on le trouve en poche, intrigue à tiroirs), puis le célèbre Faucon Maltais (porté à l’écran avec Humphrey Boggart) ; viennent ensuite La clé de verre (belle intrigue) et enfin L’Introuvable (La quantité d’alcool absorbée à toute heure de la journée dans ce roman est étonnante !).

Dans l’ensemble, il s’agit de cinq bons romans que j’ai apprécié et où j’ai eu plaisir à suivre l’intrigue.

Mais ce qui m’a le plus étonné, c’est la vie de Dashiell Hammett. Ce recueil Quarto comporte comme toujours une biographie de l’auteur, et celle-ci est passionnante, le personnage ayant plusieurs facettes : voyons donc cela d’un peu plus près…

Dashiel Hammett (1894-1961) est donc un écrivain et scénariste américain, considéré comme le père du roman noir.

1908 : À 14 ans, il doit interrompre ses études (c’était un élève brillant) car son père est malade : il doit faire vivre sa famille.

1914 : À 20 ans, il contracte sa première MST, ce ne sera pas la dernière. Il a commencé à boire, change souvent d’emploi et se montre instable.

1915 : Il trouve un emploi à l’agence de détectives Pinkerton (dont la devise était : « Nous ne dormons jamais »). Il y restera pendant quelques années, et l’expérience du terrain contribuera fortement à son inspiration.

1918 : Il quitte une première fois Pinkerton et s’engage dans l’armée, mais va vite tomber malade : broncho-pneumonie puis tuberculose, il est alors déclaré invalide à 50%.

1920 : Il retravaille pour Pinkerton dans l’état de Washington, à l’époque où la centrale syndicale organise les grandes grèves d’Anaconda. Puis se retrouve de nouveau à l’hôpital, et est déclaré invalide à 100%.

1922 : De santé fragile, il ne peut plus travailler et commence à écrire des nouvelles. Voilà la présentation qu’il envoie au rédacteur en chef du Black Mask :

Je suis né le 27 mai 1894, dans le Maryland, entre les fleuves Potomac et Patuxent, et ai été élevé à Baltimore.
J’ai quitté le lycée – le Baltimore Polytechnic Institute – après tout de même un semestre d’études, pour exercer sans plaisir et au déplaisr de mes patrons les métiers d’employé aux chemins de fer, de garçon chez un agent de changes, d’ouvrier dans la fabrication des machines, dans la conserverie, et autres. Dans la plupart des cas je fus renvoyé.
Une petite annonce énigmatique me fit intégrer l’Agence de détectives Pinkerton, où je restai jusqu’au début de 1922, date à laquelle j’ai laissé tomber pour voir de quoi j’étais capable en matière d’écriture.
Entre les deux, je vécus une période sans incidents dans l’armée, pendant la guerre, et j’obtins le grade de sergent ; je me mariais et eu une fille.
Pour le reste, je suis un type grand et maigre, aux cheveux grisonnants, et très paresseux. Je n’ai aucune ambition au sens où on l’entend habituellement. J’aime vivre le plus près possible du cœur des grandes villes. Je n’ai ni loisirs préférés, ni passe-temps.

En 1926, une hépatite lui est diagnostiquée : il boit déjà beaucoup… Il va vite abandonner sa femme et ses deux filles, et rencontrer son premier succès avec Moisson rouge. Il est désormais alcoolique, accumule les histoires de femmes. Il rencontre Lillian Hellman avec qui il restera finalement jusqu’au bout, formant un couple atypique, amants infidèles… Il sera même condamné pour agression sexuelle, et à nouveau victime de maladie vénérienne…

Pauvre, il a écrit pour gagner de l’argent ; quand il deviendra riche (romans, nouvelles, contrat avec Hollywood), il cessera d’écrire ! Il recyclera son œuvre autant qu’il le pourra, dépensera sans compter, capable de filer en douce d’un hôtel où il est installé depuis plusieurs semaines. Il déclarera plus tard : « J’ai cessé d’écrire parce que je ne pouvais plus que me répéter. C’est le début de la fin… ».

En 1937, la guerre d’Espagne bat son plein, il est membre du conseil d’administration de la « Screen Writers Guild », un syndicat des scénaristes d’obédience communiste, et s’engage dans le militantisme. En 1940, il est président national du « Comittee on Election Rights-1940 », un groupe de soutien aux candidats communistes. En 1941, il est président de la Ligue des écrivains américains, aligné sur les positions du parti communiste vis-à-vis de la guerre.

En 1940, le Smith Act est voté (en dépit de l’opposition de Roosevelt), qui déclare qu’il est criminel de « prôner, encourager, conseiller ou enseigner volontairement ou consciemment, l’obligation, la nécessité, l’avantage ou la justesse de renverser ou détruire tout gouvernement des États-Unis par la force ou la violence ». En outre, il est criminel de créer ou d’être membre d’une association au service de ces objectifs.

En dépit de ses problèmes de santé, il est accepté dans l’armée. Le FBI enquête déjà sur lui, mais ne parvient pas à le localiser. Il est affecté en Alaska, et chargé de la création d’un quotidien destiné aux troupes stationnées dans les îles. Il reçoit 2319$ de droits en 1943, mais ne fait pas de déclaration d’impôts (et Hellman qu’il a chargée de ses finances non plus). Les conditions de vie sont très austères, et pourtant il qualifie cette période d’heureuse : loin de ses proches, d’Hollywood, de l’alcool, des femmes… Il a du temps, il lit beaucoup.

En 1945, un quotidien de droite dénonce des « agitateurs communistes » infiltrés dans l’armée, et Hammett figure dans la liste.

Après quelques excès, il est démobilisé. Il partage alors son temps entre la ferme de Pleasantville dont Hellman a fait l’acquisition, retrouvant la nature de son enfance, et l’enseignement de l’écriture du roman policier à la « Jefferson School of Social Science », un institut de formation pour adultes. Hammett y est très assidu, et s’abstient de boire les jours où il doit donner son cours. Il y enseignera pendant 10 ans.

Hammett est élu président du New York Civil Right Congress, qui lutte pour les libertés civiles des Noirs comme des Blancs, ce qui en fait la première organisation américaine à mettre sur la scène internationale le problème du racisme aux États-Unis.

En 1948, nouvelle hospitalisation à cause de son alcoolisme : on lui dit clairement qu’une récidive sera mortelle. Douze dirigeants du parti communiste sont condamnés à de lourdes peines (loi Smith). Voici ce qu’en dit Hammett dans la préface du livre qu’un journaliste y consacre :

Même si ses méthodes faisaient souvent penser à Alice au pays des merveilles, le tribunal fédéral de Foley Square ne baignait pas dans une ambiance de conte de fées. L’apparente absurdité masquait un noir dessein et l’ange du bizarre cachait derrière son dos un couperet bien aiguisé. Le procureur du gouvernement a eu beau s’évertuer à répéter qu’il s’agissait d’une banale affaire criminelle, il n’en a jamais rien été. Dès le moment où les dirigeants communistes ont été arrêtés, le 12 juillet 1948 (au moment où la campagne présidentielle battait son plein), et jusqu’au verdict de culpabilité rendu le 14 octobre 1948, il n’a été question que de politique. L’inculpation était politique, le procès était politique, le verdict était politique. La défense seule ne l’a pas été, car on lui en a dénié le droit.

Ce sera le dernier texte de Hammett. En 1950, lors d’un interview, il déclare :

Savez-vous quel est le meilleur auteur de polars aujourd’hui ? C’est un belge d’expression française, Georges Simenon. Son dernier livre, La neige était sale, vient d’être traduit.
Pourquoi est-il le meilleur ?
Parce qu’il est intelligent. Par certains côtés, il me fait penser à Edgar Poe.

Quatre des dirigeants du parti communiste condamnés décident de se dérober à la justice. Leurs cautions avaient été fournies par le Civil Right Congress : ses cinq administrateurs sont alors convoqués devant la justice, dont Dashiell Hammett. Tous sont décidés à préserver l’anonymat des donateurs.

Hammett refuse de répondre au juge en se réclamant du Cinquième Amendement. En vérité, Hammett ne connaissait pas le nom des donateurs et il aurait sans doute pu facilement le prouver. Mais il se refuse à ce mode de défense au nom de l’idée qu’il se fait de la démocratie. Il est condamné à 6 mois de prison ferme. La caution est fixée à 100 000 $, somme considérable. Tous ses biens sont mis sous séquestre. Le parquet lui réclame 100 000 $ d’impôts : il s’agit des années 1943 à 1945, quand il était sous les drapeaux, auxquels s’ajoutent les intérêts…

Quand il est libéré, désormais sur la liste noire, il ne peut plus travailler, ses revenus ont été saisis par le Trésor Public (111 000 $), les radios annulent toute diffusion de l’adaptation de son œuvre, etc… La prison a accéléré la dégradation de sa santé.

En 1953, il est à nouveau convoqué pour déposer devant la sous-commission McCarthy. Hammett s’abrite toujours derrière le Cinquième Amendement. Quand McCarthy lui demande s’il est bien raisonnable pour le gouvernement d’acheter et de faire circuler des livres dont les auteurs sont communistes (les livres de Hammett font bien sûr partie des ouvrages visés), Hammett répond : « Si je devais combattre le communisme, je ne le ferais sûrement pas en donnant le moindre livre à lire aux gens. » Tous les livres de Hammett sont retirés des bibliothèques.

1955 : Il est à nouveau convoqué pour ses liens avec le Civil Right Congress. Il déclare : « Le mot communisme n’a rien de sale pour moi. Quand vous travaillez au progrès de l’humanité, vous ne vous posez pas la question de savoir si un type est communiste ou non. » Fin août, Hammett a une crise cardiaque. Il se sent épuisé en permanence.

1956 : La Jefferson School est fermée pour activités subversives. Le FBI l’interroge sur sa capacité à payer ses impôts, Hammett répond qu’il n’a plus ni revenus, ni économies.

1957 : La Cour fixe le montant du passif fiscal de Hammett à 140 795 $.

1961 : Hammett meurt d’un cancer du poumon. Il est enterré selon ses vœux au cimetière d’Arlington, où reposent les anciens combattants depuis la guerre de Sécession.

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