« Le Canard enchaîné » – mercredi 28 novembre 2012
L’aveuglement – José Saramago
C’est un collègue qui m’a offert ce bouquin, en m’en disant le plus grand bien. Si l’idée de partager nos meilleures lectures est excellente (surtout au boulot), et même si l’on pouvait lire sur la couverture de celui-ci « prix nobel de littérature », je dois dire que j’ai été un peu déçu…
L’histoire est en réalité une fable : un homme devient aveugle, puis deux, puis trois… c’est en fait une épidémie de cécité qui semble n’épargner personne. Les premiers atteints sont placés en quarantaine dans un asile désaffecté, et laissés sans autre assistance que la fourniture de vivres quotidienne. Un groupe se forme, d’autres arrivent, encore et encore, et l’on va assister à la lente dégradation de tout ce qui fait de nous des citoyens civilisés… La vie en société va vite se transformer en une jungle cruelle, et le vernis qui fait de nous des êtres civilisés s’effacer tout aussi rapidement.
La première chose qui m’a déplu, c’est l’absence de ponctuation pour les dialogues : ils s’intègrent au texte du paragraphe, sans retour ligne ou quoique ce soit, tout juste amorcés par une majuscule. Exemple :
Il agitait nerveusement les mains devant son visage, comme s’il nageait dans ce qu’il avait appelé une mer de lait, mais déjà sa bouche s’ouvrait pour lancer un appel au secours et au dernier moment la main de l’autre lui toucha légèrement le bras, Calmez-vous je vais vous conduire. Ils se mirent en route très lentement, l’aveugle avait peur de tomber et traînait les pieds mais cela le faisait trébucher sur les irrégularités de la chaussée, Patience, nous sommes presque arrivés, murmurait l’homme, et un peu plus loin il demanda, Y-a-t-il chez vous quelqu’un qui puisse s’occuper de vous, et l’aveugle répondit, Je ne sais pas, ma femme n’est sans doute pas encore rentrée de son travail, il a fallu que ceci m’arrive aujourd’hui que je suis sorti plus tôt, Vous verrez que ça ne sera rien ,je n’ai jamais entendu dire que quiconque soit devenu aveugle comme ça, subitement, Et moi qui me vantais de ne pas porter de lunettes, je n’en ai jamais eu besoin.
Un petit tour sur la page wikipedia de l’auteur nous apprend que c’est bien de son style qu’il s’agit :
L’écriture de José Saramago est faite de longues phrases, rythmées par de nombreuses virgules. Ces phrases peuvent être vues comme une succession de phrases courtes où la virgule aurait remplacé le point. Elles comprennent aussi de nombreuses incises, qui sont autant de digressions à l’adresse du lecteur. Les dialogues eux-mêmes ne sont pas introduits classiquement par des guillemets ou des tirets, mais sont traités sous forme d’incises au cœur des phrases
On sent chez l’auteur une jubilation à balader le lecteur au gré de digressions, de métaphores et d’anachronismes qui mettent en relief des jeux de miroir où mensonge et vérité se confondent et s’échangent.
Moi je veux bien… Toujours est-il que j’ai trouvé ça assez gênant pendant la lecture, on est obligé de faire la ponctuation soi-même, de casser le rythme de lecture d’un (toujours long) paragraphe car on vient de passer de la narration au dialogue (et vice-versa). Je n’y vois aucun intérêt particulier, à part le fait de se faire balader !
Et pour ma part, les digressions de l’auteur, utilisant le « nous » dans la narration, se résument à asséner une bonne vieille vérité sur la vie, éculée la plupart du temps. Quant à la fable… bon si on devient tous aveugles, plus rien ne marche, et personne ne voit ce que vous faîtes ! Les brigands restent des brigands, les aveugles de naissance sont avantagés… des trucs comme ça. Mais rassurez-vous, l’auteur a pensé à tout, il fallait bien un témoin.
José Saramago (1922-2010), est un écrivain et journaliste portugais. En 1998, il obtient le prix Nobel de littérature. Il s’est fortement engagé dans le mouvement altermondialiste, et est l’un des signataires du Manifeste de Porto Alegre. Il s’est également engagé dans la contestation de la version officielle des attentats du 11 septembre 2001. Il a de plus souvent dénoncé la politique du gouvernement israélien vis-à-vis de la Palestine.
Après Mai – Olivier Assayas
Je suis allé voir ce film ce week-end, curieux de voir comment étaient traitées les années qui suivirent mai 68. Les critiques étaient plutôt bonnes, mais peut-on encore vraiment se fier aux critiques ?
Celle du Canard parlait de prise directe avec le réel de l’époque, de l’esprit libertaire qui y régnait, « une fresque sur la jeunesse d’extrême gauche », et concluait par un mystérieux « reste à savoir si ceux qui l’ont vécue retrouveront l’esprit de l’époque dans ce film en miroir ».
Le film commence (nous sommes en 1971) par une manifestation violemment réprimée par la police et les brigades spéciales d’intervention, armées de matraques sur leurs motos. Pasqua et Pandraud n’avaient rien inventé avec leurs voltigeurs, rendus tristement célèbres avec l’affaire Malik Oussekine en 1986. Et déjà ça tapait fort !
Ensuite, nous allons suivre les aventures de Gilles, jeune étudiant aux Beaux-Arts passionné de peinture, engagé dans l’action tout en restant lucide (distant ?) sur l’engagement politique, mais aussi amoureux abandonné qui tarde à se consoler. Et c’est là que j’ai été un peu déçu : étudiant de milieu aisé, artiste au vague à l’âme, voyageant à Londres ou Rome, travaillant pour son père metteur en scène de Simenon… Si on parle des ouvriers, on n’en voit pas beaucoup, et les souvenirs du réalisateur ont du mal à décrire une époque.
Si c’est autobiographique, cela reste sans doute un bon témoignage, mais vu à travers le filtre d’Olivier Assayas. Les discussions politiques, l’engagement et le respect de la doctrine pour certains, le doute et la prise en compte de son avenir personnel pour d’autres… tout cela au milieu d’une jeunesse éprise de liberté, sur fond de libération sexuelle, de joints et de musique pop, sans oublier le voyage mystique en Afghanistan.
J’ai bien aimé la scène où Gilles tient des ses mains « Les habits neufs du président Mao » de Simon Leys. Un activiste (sans doute maoïste) lui dit alors que Leys est un agent de la C.I.A payé pour faire une propagande capitaliste contre-révolutionnaire. Gilles répond par la vérité, à savoir que c’est un sinologue belge, et premier intellectuel à dénoncer les horreurs de la révolution culturelle chinoise.
Cette petite anecdote montre bien comment il pouvait être difficile de trouver sa propre voie dans cette explosion d’une jeunesse qui voulait changer le monde.
Dans une autre scène, toute aussi courte, trente secondes de cours de philo permettent de placer le nom de Max Stirner. Sans plus d’explications, comme une liste que l’on déroule.
Le film souffre également d’une certaine lenteur, et on finit par s’ennuyer un peu entre le manque de contexte et les amourettes des uns et des autres. La bande son par contre est pas mal :
- Soft Machine – Why Are We Sleeping? (1968)
- The Incredible String Band – Air (1968)
- Captain Beefheart & His Magic Band – Abba Zaba (1967)
- Booker T & the M G ‘s – Green Onions (1962)
- Tangerine Dream – Sunrise In The Third System (1971)
- Dr. Strangely Strange – Strings In The Earth And Air (1969)
- Nick Drake – Know (1972)
- Syd Barrett – Terrapin (1970)
- Kevin Ayers – Decadence (1973)
Olivier Assayas est un réalisateur et scénariste français, né le 25 janvier 1955 dans le XVe arrondissement de Paris.
Ubuntu 12.10 – Quantal Quetzal
J’ai fait la mise à jour vers la dernière version d’Ubuntu le week-end dernier, qui s’appelle cette fois Quantal Quetzal, soit le Quetzal quantique. Si la lettre Q symbolise la qualité, le Quetzal est un oiseau d’Amérique centrale aux belles couleurs symbolisant l’expérience utilisateur.
Pas grand chose de neuf dans cette version en fait, l’essentiel des changements étant dans Unity alors que j’utilise Gnome-Shell comme interface. Gnome passe tout de même en version 3.6, et certaines extensions ne fonctionnent plus : pas cool !
La grosse nouveauté, et ce n’est qu’un premier pas, ce sont les web apps, qui permettent d’intégrer certains sites web aux fonctionnalités d’Ubuntu : réseaux sociaux, Google Docs, sites de musique en ligne, etc…
Dans la même optique, le gestionnaire de comptes en ligne s’est étoffé. On intègre ainsi le web et ses services à l’interface utilisateur, ce qui peut simplifier la vie. Pas de doute que cela plaira à certains, adeptes de ces sites, comme cela déplaira fortement à d’autres, plus concernés par leur vie privée, et tenant à bien différencier ce qui est sur le PC de ce qui est sur le web.
Ce n’est pas tout, car sur une simple recherche à partir du bureau, des liens commerciaux en provenance d’Amazon vous sont proposés… Cette fonctionnalité a soulevé beaucoup de discussions et de critiques.
Une autre nouveauté, et pas la moindre, est celle de pouvoir, lors de l’installation, chiffrer tout le contenu de son disque dur. Cette fois, c’est un gros progrès pour la protection de ses données personnelles.
On voit ainsi ainsi deux nouveautés allant dans deux directions diamétralement opposées. Les articles suivants de l’EFF sont très intéressants sur ces deux sujets (en anglais) :
En conclusion, si cette intégration au web ne vous concerne pas plus que ça, mieux vaut rester avec la version 12.04, qui est la version LTS (Long Term Support), et donc plus stable et maintenue pendant 3 ans.
Mais revoyons tout cela plus un peu en détail :
Continuer la lecture… Ubuntu 12.10 – Quantal Quetzal
Le Joueur – Dostoïevski
J’ai eu envie de lire ce livre en me disant qu’il devait décrire le phénomène d’addiction d’un joueur. Un grand écrivain, russe de surcroît, devait s’attaquer à ce sujet en profondeur me disais-je… d’autant qu’il est probablement en partie autobiographique !
Bon, j’en fus pour mes frais sur ce point, mais ce petit roman est très agréable à lire. On se prend vite de sympathie pour le jeune Alexis Ivanovitch, jeune précepteur au service d’un général et de sa famille, amoureux transi de Polina Alexandrovna, belle-fille du général. Tout ce petit monde se trouve à Roulettenbourg (!), ville d’eau pour la haute société et disposant fort logiquement d’un casino.
Pourtant l’argent manque dans la famille… Ah si la grand-mère là-bas en Russie pouvait décéder, l’héritage arrangerait tout… Alexis va donc jouer parce que Polina le lui demande, puis se prendre lui-même au jeu. La grand-mère, personnage fantasque, débarque alors et se prend au jeu également, dilapidant l’argent restant de la famille.
On en veut à ceux qui réussissent
« Le Canard enchaîné » – mercredi 07 novembre 2012
Anniversaire de Loïc et Aviva
Début Septembre, c’était l’anniversaire d’Aviva et de Loïc, et une grande fête avait été organisée, réunissant plusieurs générations de Vitréens ! Une belle surprise attendait Loïc, fan du groupe Ange (à l’époque)…
Le temps était au rendez-vous avec une vraie douceur d’été, les choses avaient été admirablement organisées, et ce fût une soirée mémorable !
Nouveaux commentaires sur la mort du rêve américain – Hunter S. Thompson
Voilà un autre recueil de textes de Hunter S. Thompson sur la mort du rêve américain. Il s’agit de l’un des cinq volumes des « Gonzo Papers », en cours de réédition par la maison d’édition Tristram.
Ils avaient été initialement publiés il y a trente ans aux Humanoïdes Associés (collection « Speed 17 »), sous la houlette de Philippe Manœuvre et de Philippe Garnier, puis en 10-18, mais étaient épuisés depuis longtemps. Les « Gonzo Papers », ce sont les tables de la loi du journalisme Gonzo !
J’avais énormément apprécié Gonzo Highway, recueil de lettres de Hunter S. Thompson, chaque lettre étant précédée d’une courte présentation pour situer le contexte. On traversait ainsi l’Amérique des années 50 aux années 70, et le choix des lettres était judicieux.
Ici on retrouve collés à la suite des lettres, des extraits de nouvelles, des reportages, etc… sans aucune explication ni lien entre elles autre que chronologique (des années 50 aux années 90 cette fois). L’absence de contexte et de présentation rend les choses assez compliquées à suivre si l’on n’est pas un spécialiste de la politique américaine. Il y a bien quelques notes de l’éditeur, mais elles sont relayées en fin d’ouvrage, et très sommaires. Le logiciel ne gérait pas les notes de bas de page ? 😉
De plus, j’ai trouvé certains textes totalement délirants et n’apportant vraiment rien, sinon que Hunter S. Thompson les a probablement écrits sous une drogue quelconque ; comme il le dit lui-même, on croit alors que tout ce que l’on écrit est génial, alors que le lendemain matin, tout est bon à jeter à la poubelle ! De là à les publier…
On y trouve aussi quatre chapitres d’un certain « journal du rhum », correspondant à Rhum Express, roman publié ultérieurement, et que j’avais malheureusement déjà lu. Le texte est très légèrement différent (j’ai comparé) mais ne mérite pas une nouvelle lecture.
Il y a tout de même des textes intéressants (comme le divorce du couple Pulitzer), tout n’est pas à jeter loin de là, avec toujours ce portrait de l’Amérique sans concession, très cynique. Thompson a sans aucun doute un sens critique très développé, et une vraie capacité à décrypter ce qui se passe, mais lui-même apparaît tout aussi déjanté, comme l’Amérique qu’il décrit avec tant de rage. On peut aussi noter qu’il s’énerve surtout quand il est personnellement impliqué. Un tempérament égocentrique sans aucun doute !
Il y a par contre un autre bouquin de Thompson que j’aimerais bien lire : « Fear and Loathing: On the Campaign Trail ’72 » où Thompson suit la campagne de Richard Nixon en 1972. Mais il n’a jamais été traduit en totalement en français : on en trouve seulement des extraits dans cette même collection sous le titre « Parano dans le bunker » et « Dernier tango à Las Vegas »… si j’ai bien compris, car les « Gonzo Papers » sont durs à suivre au fil des rééditions !
Autres articles sur le blog à propos de Hunter S. Thompson :
- Parano dans le bunker (Éd. Tristram)
- Dernier tango à Las Vegas (Éd. Tristram)
- Hunter S. Thompson, journaliste & hors-la-loi – William McKeen (Éd. Tristram)
- Rhum express
- Hell’s Angels
- Gonzo Highway (Éd. Tristram)
- Le marathon d’Honolulu (Éd. Tristram)
Perros-Guirec
Début Septembre, après la ballade dans la baie du Mont St-Michel, je pars une semaine en vacances du côté de Perros-Guirec.
Retour à Ploumanach où je m’étais arrêté l’année dernière, puis ballade vers Port Blanc et Plougrescant, avec sa fameuse maison coincée entre les rochers, le Castel Meur. Enfin jusqu’au Sillon de Talbert, grande langue de galets qui s’avance dans le mer.
La fameuse côte de granit rose n’usurpe pas sa réputation, c’est vraiment très beau, il faudrait malheureusement revenir deux fois à chaque endroit : à marée haute, et à marée basse ! 😉
Ringolevio – Emmett Grogan
Je continue mon exploration des années 60 aux États-Unis avec ce livre qui mérite franchement le détour. C’est Paul Jorion qui le mentionnait sur son blog, lors de sa vidéo du vendredi le 17 août dernier (voir ici).
Parlant de la violence d’état, et de cet homme à priori inoffensif à New-York sur lequel la police tira plusieurs coups de feu à bout portant, Paul Jorion pense alors à Ringolevio et à Emmett Grogan, qu’il définit comme « le grand théoricien du mouvement hippie… mais un hippie sérieux et très actif ».
La courte préface d’Albie Baker, ami de l’auteur, commence ainsi :
Le plus formidable jeu de mon enfance avait pour nom Ringolevio. C’était un jeu de vie et de mort. Un combat plutôt qu’un jeu. Je revois encore plusieurs des gosses de mon ancien quartier, dont j’ai gardé les noms en mémoire et qui, pour se soustraire à la capture ou pour capturer un adversaire, se sont précipités dans les bras de la mort ou se sont estropiés à vie.
Le Ringolevio nous préparait à la vie. À la violence, à l’inégalité, à la misère et à la guerre. Il nous apprenait à rentrer la tête dans les épaules quand c’était nécessaire et à gamberger vite et bien, deux qualités essentielles à la survie. On était peut-être nuls en maths, n’empêche qu’on passait les épreuves haut la main.
Emmett Grogan va donc nous raconter sa vie à partir de cette époque (en 1956, il a 13 ans) et à cette partie de Ringolevio qui va mal tourner, jusqu’aux années 1970 marquant la fin du mouvement hippie.
Entre temps, il sera successivement petit voyou accro à l’héroïne, mis en prison où il se désintoxiquera seul, deviendra alors cambrioleur de haute volée, puis s’enfuira en Italie (où il s’intéressera à l’art et au cinéma), et enfin sera membre de l’IRA à Dublin. De retour aux États-Unis, il se fera réformer (pour éviter le Vietnam) avant de rejoindre San Francisco et le mouvement hippie. Il sera le fondateur des Diggers. Même si ce mouvement de tendance anarchiste se refusait à toute hiérarchie, ce sont les ego de chacun qui provoqueront la fin du groupe (aux fortes personnalités) quelques années plus tard.
Mais avant cela, ce qu’ils feront et la manière dont ils l’ont fait est passionnante. Grogan ne croit pas aux leaders, qu’ils soient politiques ou représentant des mouvements de contestations. Sa recherche d’anonymat permanente n’a d’égal que son énergie à faire les choses, concrètement, gratuitement, et pour le peuple.
C’est gratuit parce que c’est à vous.