Mort à crédit – Céline

Mort à crédit - Céline C’est le deuxième livre de Céline que je lis, après « Voyage au bout de la nuit », véritable chef d’oeuvre littéraire doublé d’une terrible et efficace critique de la guerre et du colonialisme.

Avec Mort à crédit, on fait connaissance avec ce qui deviendra le style si particulier de Céline, à savoir écrire comme on parle. Les phrases sont courtes, au milieu de points d’exclamation et de suspension…  l’argot largement utilisé… C’est un peu déconcertant au début, puis l’histoire se développant, on est vite complètement accroché.

L’histoire, c’est l’enfance de Ferdinand Balardu (alter-ego de Louis-Ferdinand Céline), dans le Paris de la fin du XIXe siècle. L’univers des petites gens de cette époque est sordide, la vie est dure, les conditions d’hygiène loin de nos critères actuels. Surprenant de penser que c’était il y a tout juste cent ans… On est au tournant de l’industrialisation, les petits métiers disparaissent, et ce n’est guère surprenant que des utopies égalitaires soient nées à cette époque. La grande guerre viendra peu après, autre manière de régler le problème les inégalités.

Et le petit Ferdinand, entre un père violent et une mère pleureuse, est balloté dans ce monde qu’il ne comprend pas. Lui est plutôt lunatique, fait de son mieux pour ne pas déplaire, mais à chaque fois c’est la catastrophe. Il cherche désespérément du travail, mais quand il en trouve, il est alors victime de sa naiveté ou de la malhonnêteté des autres. Son désintérêt total envers cette vie n’arrange rien.

Quand je revenais de mes longs périples, toujours infructueux, inutiles, à travers étages et quartiers, il fallait que je me rafistole avant de rentrer dans le Passage, que je n’aie pas l’air trop navré, trop déconfit pendant les repas. Ça aurait plus collé du tout. C’est une chose alors mes dabes qu’ils auraient pas pu encaisser, qu’ils avaient jamais pu blairer, qu’ils avaient jamais pu comprendre, que je manque, moi, d’espérance et de magnifique entrain… Ils auraient jamais toléré… J’avais pas droit pour ma part aux lamentations, jamais !… C’étaient des trucs bien réservés, les condoléances et les drames. C’était seulement pour mes parents… Les enfants, c’étaient des voyous, des petits apaches, des ingrats, des petites raclures insouciantes !… Ils voyaient tous les deux rouge à la minute que je me plaignais, même pour un tout petit commencement… Alors c’était l’anathème ! le blasphème atroce !… le parjure abominable !…

Ultime sacrifice des parents, il va être envoyé en Angleterre pour apprendre l’anglais, avec l’espoir de pouvoir trouver un emploi dans le commerce à son retour. Mais c’est déjà trop tard, il y passera six mois sans ouvrir la bouche, ayant déjà compris que parler n’attirait que des ennuis…

Je me laissais pas embringuer… J’étais plus bon pour la parlote… J’avais qu’à me rappeler mes souvenirs…. Le gueuloir de la maison !… les limonades avec ma mère !… Toutes les vannes que l’on peut vous filer avec en paroles ! Merde ! Plus pour moi ! J’avais mon sac !… J’en étais gavé pour toujours des confidences et des salades !… Salut ! J’en gardais des pleines brouettes… Elles me remontaient sur l’estomac, rien qu’à essayer… Ils m’auraient plus…. C’était «la classe» ! J’avais un bon truc pour me taire, une occasion vraiment unique, j’en profiterais jusqu’à la gauche… Pas de sentiments ! Pas d’entourloupes ! Elles me faisaient rendre moi leurs causettes… Peut-être encore plus que les nouilles… Et pourtant, il m’en venait du rabe rien que de penser à la maison…

Puis il sera embauché par Courtial, inventeur improbable et escroc avéré, où il trouvera sa place pour un temps, lui servant de commis et d’homme à tout faire au long d’aventures cocasses et rocambolesques. Ainsi lorsqu’il doit expliquer aux inventeurs ayant souscrit à un concours (bidon) organisé par Courtial que ledit concours est suspendu :

J’abordais les gars par la bande… Je commençais par leur demander si ils avaient pas reçu ma lettre ?… pour leur annoncer ma visite ?… Non ?… Ils avaient un petit sursaut… Ils se voyaient déjà les gagnants ! Si c’était l’heure de la tambouille, on m’invitait à partager ! Si ils étaient en famille, alors ma jolie mission, ça devenait devant tant de personnes d’une délicatesse extrême !… Il me fallait des trésors de tact ! Ils avaient fait des rêves d’or !… C’était un moment hideux… Fallait pourtant que je les dissuade… J’étais venu exprès pour ça… J’essayais d’y mettre bien des nuances !… Quand le hoquet les prenait, l’envie de brifer leur passait… Ils se redressaient hypnotisés, le regard figé par la stupeur !… Alors je surveillais les couteaux… Y avait du vent dans les assiettes !…. Je m’arc-boutais le dos au mur !… La soupière en guise de fronde !… Prêt à bloquer l’agresseur !… Je poursuivais mon raisonnement. Au premier geste un petit peu drôle, c’est moi qui déclenchait le bastringue ! Je visais mon fias en pleine bouille !… Mais, dans la plupart des endroits, cette attitude fort résolue suffisait à me préserver… faisait réfléchir l’amateur…. Ça se terminait pas trop mal… en congratulations baveuses… et puis grâce à la vinasse, en choeur de soupirs et roteries… surtout si je déchais les deux thunes !…

J’ai lu sur Wikipedia que Frédéric Dard admirait le style de Céline; en lisant ce livre, je pensais aux dialogues de Michel Audiard… on y trouve la même truculence. Il n’y a nulle trace d’antisémitisme dans ce roman; sous des anecdotes fort drôles, c’est la misère de la condition humaine qui finalement ressort.

Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) est un médecin et écrivain français, le plus traduit et diffusé dans le monde parmi ceux du XXe siècle après Marcel Proust. A partir de 1930, il se rapproche de l’extrême droite française. Auteur de pamphlets antisémites, puis ouvertement pro-nazi pendant l’occupation, il sera contraint à l’exil à la libération, puis amnistié en 1951. Il meurt à Meudon d’une rupture d’anévrisme.

2 réflexions sur « Mort à crédit – Céline »

  1. Bravo Pascal,
    Vous avez réalisé une excellente synthèse de ce livre de Céline.

    Pour Frédéric Dard, c’est vrai que c’était son auteur préféré. Moi-même lecteur assidu de F.D. et de San-Antonio j’en suis venu à Céline grâce à lui.

    Le rapprochement avec Michel Audiard tombe très bien également.

    Il ne m’appartient pas de vous donner des conseils mais si vous avez l’occasion de lire du F.D. et du San-Antonio (2 facettes du meme auteur de génie) sautez sur l’occasion.

    Dans « Je le jure » un livre d’entretien avec Sophie Lannes, Frédéric raconte comment un dénommé Charlaix, un type truculent, lui a fait connaître Céline:  » Charlais est le type qui m’a fait connaitre Céline. « le Voyage » je l’ai eu encore tout chaud. En édition originale tu comprends ? Léon me l’a fourré violemment dans les mains, un matin. Son regard et sa demi-dent en or brillaient. Il m’a dit: -Lis.Tu ne liras plus jamais rien de semblable. Que ce livre soit pour toi une règle de conduite. Ne va pas du côté des cons, ne va pas bêler dans le troupeau, reste en marge, tâche d’écrire comme ça si tu le peux. Comprends et gueule ! »
    Je ne crois pas, hélas, que ce livre ait été réédité, mais on ne sait jamais. L’édition originale est parue chez Stock en 1975. Mais on peut le trouver en occasion, chez les bouquiniste ou sur le Net.

    Cordialement.

    T.M.

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