Comme j’avais bien aimé son recueil Romans noirs, à la fois pour l’écrivain mais aussi la personnalité de l’auteur, je me suis lancé dans la lecture de ces « Chroniques ».
Il s’agit des articles que Manchette a écrit entre les années 1976 et 1985 sur le roman noir, d’abord dans Charlie Mensuel, puis dans la revue Polar (les « Notes noires »).
Même si ces chroniques datent forcément un peu (avec le risque que le bouquin mentionné soit épuisé), c’est assez jubilatoire car Manchette ne manque ni de compétences et de connaissances sur le sujet, pas plus que d’humour et d’auto-dérision sur lui-même.
Les chroniques de Charlie sont toutefois un peu lassantes quand on les lit ainsi à la suite les unes des autres. En plus de dater, elles se résument souvent la liste des derniers titres publiés par la Série Noire (incontournable bien sûr), le Carré Noir ou encore Le Masque.
Par contre, celles de la revue Polar sont plus fouillées, et beaucoup plus intéressantes : il parle du syndicalisme aux USA, de la crise de 29, de l’évolution de la société après-guerre. Car le rapport à la société est primordial dans le roman noir : contre culture, capitalisme, révolution et contre-révolution sont des thèmes récurrents… Ces chroniques sont une mine d’informations sur le roman noir, qu’il définit à plusieurs reprises en le différenciant des romans à énigme, ceux à suspense, et même du néo-polar.
Il explique tout cela, n’hésitant pas à faire passer des messages politiques sur ce qu’il en pense lui-même, avec distance et humour la plupart du temps, fort heureusement, mais pas toujours : voir en fin d’article le passage sur HB (Human Bomb) à Neuilly et ce qu’il en dit.
Les grand maîtres du roman noir sont Dashiell Hammett, W. R. Burnett, Donald Westlake, Jim Thompson etc… J’en ai fait une petite liste en fin d’article. En France, il cite Léo Mallet et surtout Pierre Siniac dont il dit beaucoup de bien.
Il nous livre aussi des anecdotes truculentes qui révèle sa culture littéraire, comme celle à propos de Hammett et Hemingway que je résiste pas à vous livrer, vu que cela confirme ce que je pense de ces deux auteurs :
Un soir de 1938, Dashiell Hammett et Hemingway sont assis au Stork Club, bourrés comme des coings, avec d’autres gens cosmopolites et de gauche. Hemingway vaticine à propos d’intellectuels espagnols qu’il faut aider à échapper à Franco ou aux camps de concentration français. Il fait chier Hammet, qui le lui dit. Hemingway se pose une cuillère sur la saignée du bras et, pliant le bras, il plie la cuillère, et il défie Hammett d’en faire autant. Hammett lui répond qu’il pense qu’il n’y a pas que les intellectuels dans la vie, et pourquoi est-ce qu’il ne va pas plutôt emmerder comme d’habitude Scott Fitzgerald, qui est le meilleur écrivain américain. Là, Hemingway est vraiment fâché. Il défie encore Hammett de plier la cuillère. « Je ne pense pas que je pourrais, dit Hammett, et quand je faisais des choses comme ça, c’était contre de l’argent de Pinkerton. Pourquoi tu ne vas pas au jardin jouer au cerceau ? ».
Plutôt bien envoyé de la part de Hammett à ce prétentieux d’Hemingway ! 😛
Voyons donc ce qu’est le roman noir, quel est son style, son époque, en terminant par une courte liste des grands auteurs selon Jean-Patrick Manchette….
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