Sous ce titre bizarre se cache une phrase du roman Ubik, de Philip K. Dick. C’est d’ailleurs le thème de ce roman, dans lequel les personnages croyant avoir échapper à une explosion sont en fait en état de mort clinique (ou presque, maintenus en vie grâce à la technologie) ; et cette phrase leur est envoyé par le seul réel survivant afin de leur faire prendre conscience de leur état.
Fan de Philip K. Dick depuis longtemps, j’ai tout de suite pris cette biographie par Emmanuel Carrère, auteur que j’apprécie également (j’ai aimé son Limonov).
J’ai également aimé celui-ci, l’auteur s’est manifestement beaucoup documenté, rencontré les proches, pour en arriver à nous raconter cette vie pour le moins perturbée de K. Dick. Il n’hésite pas à la romancer, faisant adroitement correspondre la chronologie des œuvres de Dick avec l’évolution du délire du personnage ; ou à donner son sentiment parfois, et l’ensemble est très agréable à lire. Il s’agit d’une réédition en poche, le livre étant paru en 1993 (Éd. Seuil).
Au final, j’étais peiné pour Philip K. Dick, car je ne savais pas qu’il était réellement très perturbé dans la deuxième partie de sa vie, pour ne pas dire plus. Il semble bien qu’il se soit fait prendre à son propre jeu, et à croire en une autre réalité, à devenir mystique…
Voici d’ailleurs l’extrait du discours que Dick fit à Metz en 1977 (il meurt en 1982), mis en exergue du livre :
Je suis certain que vous ne me croyez pas, et ne croyez même pas que je crois ce que je dis. Pourtant, c’est vrai. Vous êtes libres de me croire ou de ne pas me croire, mais croyez au moins ceci : je ne plaisante pas. C’est très sérieux, très important. Vous devez comprendre que, pour moi, le fait de déclarer une chose pareille est sidérant aussi. Un tas de gens prétendent se rappeler des vies antérieures ; je prétends, moi, me rappeler une autre vie présente. Je n’ai pas connaissance de déclarations semblables, mais je soupçonne que mon expérience n’est pas unique. Ce qui l’est peut-être, c’est le désir d’en parler.
Mais reprenons depuis le début…
Tout commence dès la naissance : Dick a une sœur jumelle, et ils naissent prématurés. La mère n’ayant pas assez de lait pour les deux, et la famille étant très pauvre, la petite Jane meurt un mois plus tard. Toute sa vie, Dick pensera que c’est peut-être lui qui est mort, et que sa sœur est toujours vivante. C’est sans aucun doute l’origine de sa « folie », et qui explique sa vision du monde si particulière.
À treize ans un rêve le perturbe :
Une nuit, à cette époque, il fit un rêve qui revint à plusieurs reprises. Il se voyait chez un libraire, en train de chercher un numéro d’Astounding qui manquait à sa collection. Dans ce numéro très rare, hors de prix, était parue l’histoire intitulée « L’Empire n’a jamais pris fin ». S’il mettait la main dessus, s’il pouvait la lire, il saurait tout. Le premier rêve fut interrompu avant qu’il vienne à bout de la pile de magazines défraîchis où, croyait-il, gisait le précieux exemplaire. Il attendit son retour avec une ferveur inquiète et, quand cela se produisit, soulagé que la pile soit toujours là, se remit fébrilement à la compulser. Elle s’amenuisait de rêve en rêve, mais il se réveilla toujours avant le dernier numéro. […] Au fil des semaines, son désir se teinta d’angoisse. Il savait que s’il lisait « L’Empire n’a jamais pris fin », tous les secrets du monde lui seraient révélés ; mais il devinait aussi que cette connaissance n’allait pas sans danger. Lovercraft l’avait écrit : si nous savions tout, la terreur nous rendrait fous. Il en vint à se représenter son rêve comme un piège diabolique, et le numéro enfoui sous la pile comme un monstre tapis, prêt à le dévorer quand il aurait fini de dévaler le toboggan conduisant dans sa gueule. Au lieu de se précipiter comme il le faisait au début, il essaya de freiner le mouvement de ses doigts qui, écartant un magazine après l’autre, le rapprochait de l’épouvante ultime. Il redouta le sommeil, s’entraîna à veiller.
Sans raison apparente, le rêve cessa. Il attendit son retour avec anxiété, puis de nouveau avec impatience ; au bout de deux semaines, il aurait tout donné pour qu’il revienne. Il se rappela le conte des trois souhaits, dont chacun est gaspillé pour remédier en catastrophe à l’imprudence du précédent : il avait souhaité lire « L’Empire n’a jamais pris fin » ; puis, pressentant le danger, souhaité que cette lecture lui soit épargnée ; maintenant, il souhaitait encore lire, et si on refusait de l’exaucer, c’était peut-être, pensa-t-il, par miséricorde, parce qu’il n’avait pas droit à un quatrième souhait. Le rêve ne revenant pas, il fut pourtant déçu. Il languit. Puis l’oublia.
À cette époque, il vit seul avec sa mère, ses parents ayant divorcé lorsqu’il avait cinq ans, ce dont il se plaindra toute sa vie. À quatorze ans, il est un enfant plutôt solitaire, introverti, sujet à des crises d’anxiété, aux résultats scolaires moyens. Sa mère le conduit alors chez un psychiatre, ce sera le début d’une série presque ininterrompue jusqu’à sa mort. Cela lui donnera vite beaucoup d’aplomb pour parler psychiatrie, il s’en servira autant dans ses romans et nouvelles que dans la vie réelle.
Certes, il y a aussi sa prise de drogues en tous genres, de l’alcool au LSD (dont il dit n’en avoir consommé que deux fois) qui influera sur sa lucidité, mais aussi sa consommation excessive (et quotidienne) de médicaments (essentiellement des amphétamines, qui l’aidaient à écrire autant qu’il le devait pour gagner sa vie). Sans parler de la période hippie (il vit à Berkeley) et de tous les délires mystiques de l’époque.
Ses relations avec les femmes sont assez compliquées. Il ne peut vivre seul, mais l’heureuse élue devra s’adapter à lui et son univers… Tâche ardue, que l’on abandonne à un moment ou un autre… Il se mariera cinq fois.
Le succès mettra longtemps à venir, d’abord avec « Le maître du Haut-Château » qui s’inspire du Yi-King pour décrire une réalité parallèle. Il entend parler de ce livre en 1960, par un article de C. G. Jung, et ne s’en séparera plus, l’utilisant comme aide à la décision. J’ai fait ça aussi à une époque lointaine ! 😉 Suivent « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques » (qui deviendra Blade Runner à l’écran), puis Ubik, considéré par certains comme son chef-d’œuvre. Mais cette période heureuse ne va pas durer.
Sa quatrième femme le quitte, il ouvre sa porte à tous les hippies ou junkies de passage. Il cherche à se faire interner… Un jour rentrant chez lui, il découvre qu’il s’est fait cambrioler. Sa paranoïa refait surface, et croit dur comme fer à un complot du FBI ou du KGB…
Stanislas Lem, auteur de Solaris (dont le cinéaste Tarkoski a tiré un excellent film, conçu comme la riposte soviétique à « 2001 l’odyssée de l’espace »), avait écrit un article sur la science-fiction américaine dont la conclusion était : « tous nul, sauf Philp K. Dick ». Lem voulait publier Ubik en Pologne, et invita Dick à s’y rendre pour pouvoir y toucher ses droits d’auteur (règle des pays socialistes) si le livre était publié… Dick se braqua, pensant que c’était un piège pour le capturer, un complot des communistes (il accuse aussi Nixon d’être coco !). Il appellera également le FBI, persuadé que ses livres détiennent une vérité révélée, et qu’on veut l’empêcher d’agir.
Ensuite, il va vraiment tourner mystique et au délire métaphysique et schizophrénique. Il est persuadé que la réalité est fausse, et que lui seul s’en aperçoit. Le reste de son œuvre (la trilogie divine) reflète ce virage. J’ai lu SIVA il y a longtemps, je n’avais pas accroché du tout.
Autres articles sur Philip K. Dick sur le blog :
- Ubik – Philip K. Dick
- Souvenir – Philip K. Dick
- Nouvelles Tome 2 /1953-1981 – Philip K. Dick
- Les voix de l’asphalte – Philip K. Dick
- Philip K. Dick – Nouvelles – Tome 1 / 1947-1953
- Philip K. Dick – Nouvelles – Tome 1 / 1947-1953 (suite et fin)
- Le dernier des maîtres – P. K. Dick
Philip K. Dick (1928-1982) est un écrivain américain de science-fiction. Il a passé la majorité de sa vie dans une quasi-pauvreté, malgré quelques prix littéraires. Pourtant, son apport à la science-fiction est phénoménal, et plusieurs de ses œuvres ont été reprises au cinéma, comme Paycheck, Total Recall, Blade Runner, Minority Report, etc…
Emmanuel Carrère est né en 1957 à Paris. Diplômé de l’institut d’études politiques, d’abord journaliste, puis écrivain, scénariste et réalisateur.