J’avais bien aimé le film, American Pastoral, alors je me suis offert le bouquin, afin d’approfondir l’histoire d’abord, et ensuite pour découvrir l’écrivain Philip Roth dont je n’avais rien lu jusqu’à présent.
Je n’ai été déçu par aucun de ces deux points ! À propos de l’auteur, c’est vraiment très bien écrit, les phrases sont bien construites, le style est là, et les idées abordées traitées avec beaucoup de profondeur. On ne s’ennuie pas une seconde, et on sent la patte d’un grand !
Le sujet traité, c’est la fin du rêve américain, dans les années 60/70, en plein « Black Power » et guerre du Vietnam. Il y a bien une sorte de « surcouche » juive (!) dans le traitement des problèmes de société, mais cela reste extrêmement intéressant : Philip Roth n’en rajoute pas, même si c’est l’un des thèmes qui lui tiennent à cœur, voir plus bas.
Je ne vais pas résumer à nouveau l’histoire, voir l’article sur le film pour cela. « Le Suédois » va donc chercher ce qui a bien pu clocher dans sa vie pour que sa fille bascule dans le terrorisme. Avec le livre, on analyse en long et en large toutes ses réflexions qui le hantent littéralement : il cherche désespérément une explication, une erreur qu’il aurait commise et qui expliquerait tout ! Il lui faut une explication rationnelle, absolument. On y voit toute la culpabilité que sa culture a pu lui inculquer.
C’est aussi la description du déclin de l’Amérique pour une génération qui avait tout pour réussir : leur grand-père avait trimé dur pour créer la boite, le père avait développé la richesse, tout était prêt pour qu’eux aient le meilleur, mais… les morts vietnamiens seront les révélateurs du monde violent que les blancs imposent partout, et l’exploitation des pauvres pour assurer leur bonheur et leur niveau de vie… Tout cela va lui exploser à la figure :
Oui, à l’âge de quarante-six ans, en 1973, aux trois quarts ou presque de ce siècle qui, sans égards pour les rituels funéraires, avait jonché le sol de cadavres d’enfants mutilés et des cadavres de leurs parents, le Suédois découvrait que nous sommes tous sous la coupe d’une puissance devenue folle. Ce n’est qu’une question de temps, sale Blanc, on y est tous.
Il les entendait rire d’ici, les Weathermen, les Panthères noires, l’armée rebelle, le ramassis des combattants de la violence, incorruptibles, qui le traitaient de criminel et le haïssaient jusqu’à l’os parce qu’il faisait partie des possédants. Le Suédois enfin débusqué. Ils étaient ivres de joie, ravis d’avoir détruit sa fille jadis gâtée, et brisé sa vie de privilégié, et ils l’amenaient enfin à leur vérité, cette vérité qu’ils savaient être celle de tout Vietnamien, homme, femme, enfant, etc., celle de tout Noir colonisé d’Amérique, celle de tous ceux qui partout et de tout temps s’étaient fait baiser par le capitalisme et sa cupidité insatiable. Cette puissance devenue folle, sale Blanc, c’est l’histoire de l’Amérique ! C’est l’empire américain ! C’est Chase Manhattan, General Motors, Standard Oil et Newark Maid LeatherWare ! Bienvenue à bord, chien capitaliste ! Bienvenue dans la race humaine baisée par l’Amérique.
Une petite explications sur le titre : La Pastorale américaine, c’est la fête de Thanksgiving, fête neutre, vidé de son contenu religieux, où deux cent cinquante millions de personnes mangent la même chose (une dinde), et où chacun met entre parenthèse ses griefs et ressentiments ; ça dure vingt-quatre heures.
Autre article sur Philip Roth sur ce blog :
Philip Roth, né en 1933, est un grand écrivain américain, petit-fils d’immigrés juifs originaire de Galicie. Avec Pastorale américaine (1997), il entame une inflexion historique de son œuvre, pour se pencher sur la crise de la gauche américaine, et l’histoire de l’acculturation des juifs originaires d’Europe de l’Est aux États-Unis. Voir aussi « Le complot contre l’Amérique » sur ce thème. Souvent cité pour le prix Nobel de littérature, il ne l’a à ce jour pas reçu, ce que certains considèrent comme une anomalie.