
C’est le libraire de l’excellente Librairie du voyage à Rennes qui m’a montré de ce bouquin sur l’empereur Haïlé Sélassié, alors que je lui parlais de La vie que j’ai choisie de Wilfred Thesiger. Ce dernier y dressait un portrait plutôt élogieux du Négus, du combat de son peuple contre Mussolini…
Ce ne sera pas vraiment le cas ici. La majorité de l’ouvrage est fait de témoignages recueillis par l’auteur après la chute du souverain, auprès de personnages du Palais : fonctionnaires, serviteurs, etc… Ils sont narrés sous une forme naïve qui prête à sourire, mais au fur et à mesure de la description du fonctionnement du royaume, le sourire va vite s’effacer.
La préface de Christophe Brun est déjà passionnante, parlant de l’auteur, du journalisme et du romancier, de la vérité et du roman, de leurs frontières fragiles. Mais aussi des ressemblances entre les régimes monarchiques et les États communistes, ces derniers réinventant les mêmes thèmes :
Continuer la lecture… Le Négus – Ryszard KapuscinskiL’empathie souveraine de Kapuscinski vis-à-vis de son impérial sujet vient en particulier de ce que les États communistes réinventèrent, en les « nationalisant », nombre de traits caractéristiques de l’absolutisme monarchique. Ainsi de la possession du pays par le souverain (collectivisme d’État) et de l’appui sur une aristocratie renouvelée de temps à autre par des purges culpabilisatrices (les apparatchiks de la nomenklatura). Ainsi du fondement religieux du pouvoir politique investi dans une transcendance (la nécessité historique que la « science » marxiste révélait) par des textes sacrés (les écrits de Marx et Engels puis des divers « Pères de l’Église » » communiste) et par le culte de la personnalité des leaders. Ainsi d’un langage uniquement propre à la célébration permanente (la langue de bois) et d’une historiographie officielle. Ainsi de la mise en beauté de façades éphémères du régime lors des visites du souverain et des observateurs étrangers. Ainsi de la « loyauté » comme vertu suprême exigée du peuple en échange de la « bonté » du souverain prodiguant sans désemparer des « encouragements » à tous ses sujets, sans égard pour l’efficacité réelle de l’action mais pourvu que soit respectée la conformité aux rites censés garantir la pérennité du régime.