Troisième livre publié dans cette très belle collection (après Et quelques fois j’ai comme un grande idée de Ken Kesey puis Personne ne gagne de Jack Black) ; je l’ai acheté en toute confiance : hormis la beauté de l’objet, cette collection s’attache à publier (ou republier) des chefs-d’œuvres de la littérature américaine.
Le titre original de ce roman est All the King’s men, initialement traduit par Les fous du Roi en français dans les précédentes éditions, aujourd’hui épuisées. On passe donc à une traduction littérale…
C’est l’histoire de Willie Stark, un politicien populiste, fils de fermier, corrompu certes mais qui réalise des choses pour le peuple : construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux. Un personnage qui a le don de galvaniser les foules par ses discours, et qui ne s’embarrasse pas de scrupules pour arriver à ses fins, utilisant finalement les mêmes moyens que ses adversaires, et peu respectueux de la justice.
Nous sommes dans les années trente, dans un état du sud des États-Unis. Le narrateur, Jack Burden, est l’homme de confiance de Willie Stark, alias le Boss, qui est devenu gouverneur de l’État. Il n’en pense pas moins sur les agissements de son patron, mais se contente d’observer comment les choses se passent dans les coulisses du pouvoir. Son regard est lucide, blasé, désabusé.
Car Jack se cherche : après des études d’histoire, il est devenu journaliste. Puis sa rencontre avec Willie Stark l’a amené à plaquer un boulot où il s’ennuyait ferme pour le suivre dans son ascension politique. Mais un jour, le Boss lui demande d’enquêter sur un juge local que Jack a bien connu dans son enfance, un ami de sa mère. Car le Boss a besoin de trouver un moyen de pression sur ce juge pour la campagne électorale qui se profile. Quand Jack lui rétorque qu’il n’y aura probablement rien à trouver, Stark répond (ce qui pour lui signifie que toute personne est corrompu) :
L’homme est conçu dans le péché et élevé dans la corruption, il ne fait que passer de la puanteur des couches à la pestilence du linceul.
Les éléments se mettent peu à peu en place pour que le drame éclate, qui n’épargnera personne… Jack va pouvoir régler ses comptes avec son passé, et envisager de construire une nouvelle vie. Car finalement, c’est l’histoire de Jack qui s’impose à la fin !
Pas de doute, c’est un grand roman, remarquablement écrit. Bien que l’intrigue soit relativement lente, on est accroché par la qualité de l’écriture, les descriptions des personnages, la narration des événements parfaitement agencés. L’auteur maîtrise son art, cela se sent : la construction est magistrale, et quand le drame éclate, il est bien difficile de lâcher le bouquin !
La postface de Michel Mohrt nous explique que le personnage du Boss est inspiré par un homme politique qui a vraiment existé, Huey Long :
Ce roman s’inspire du célèbre Huey Long, gouverneur de l’État de Louisiane. Orateur populaire adoré des foules, il avait instauré une sorte de dictature qui se maintenait par la démagogie, la corruption et le chantage. Huey Long s’était fait le « défenseur » des petits, et il est incontestable que son passage au pouvoir a été marqué par des réalisations sociales importantes : hôpitaux, écoles, etc. Pour atteindre ses objectifs, tous les moyens étaient bons. Robert Penn Warren, qui a enseigné à l’Université de Bâton-Rouge, du temps où Huey Long régnait sur la Louisiane, a pu suivre de près sa carrière. Il a emprunté à sa vie plusieurs épisodes. De là à soutenir que le romancier avait été un partisan du gouverneur, et donc un odiex fasciste, il n’y avait qu’un pas. Certains l’ont allègrement franchi. Or, Robert Penn Warren n’a jamais côtoyé Huey Long de sa vie, il n’a même jamais partagé ses idées, et s’il est vrai que la personnalité de Willie Stark lui a été suggérée par celle du dictateur, elle reste cependant une création originale. Le lecteur français qui n’a jamais entendu parler de Long n’en est pas moins saisi par la figure de Stark.
Robert Penn Warren (1905-1989) est un écrivain américain. Il a reçu le Prix Pulitzer pour ce roman en 1947, puis le Prix Pulitzer de la poésie en 1957 et 1979 : il est ainsi le seul homme de lettres à avoir été récompensé dans ces deux catégories.
Le roman a été porté deux fois à l’écran : Les Fous du roi, 1949, réalisé par Robert Rossen, récompensé de 2 Oscars et de 4 Golden Globes. Puis en 2006 par Steven Zaillian, avec Sean Penn. Il a également été adapté à la télévision par Sidney Lumet en 1958 !