Et je termine ma série Edward Bunker par son premier roman, celui qui lui offrit la reconnaissance, et certainement le plus complet, le plus abouti.
Max Dembo sort de San Quentin en liberté conditionnelle, et bien décidé à rester dans le droit chemin. Hélas, Rosenthal, son directeur de conditionnelle est du genre psycho-rigide et lui impose des contraintes que Max ne peut accepter. Alors entre ses anciens amis peu fréquentables, et la quasi impossibilité de trouver un emploi en devant déclarer « je sors de prison », la partie n’est pas gagnée…
Quand Rosenthal va le faire enfermer une semaine pour une simple suspicion (erronée) de consommation de drogue, Max va craquer et retourner du mauvais côté de la loi. Il va monter deux cambriolages avec un certain succès, et même rencontrer une femme avec qui il s’entend à merveille… Malgré la tension permanente d’une vie de fugitif, il semble plutôt bien s’en sortir même s’il se sait en sursis. Puis viendra le gros coup, une bijouterie, qui permettrait d’être tranquille un bon bout de temps. Tout est préparé avec minutie et professionnalisme, à la minute près. Mais tout va basculer, et Max va se retrouver pourchassé par la police, l’instinct de survie à fleur de peau, avec la dose de paranoïa indispensable.
C’est un grand roman noir, Bunker y décrit très bien le cheminement qui ramène Max presque inexorablement vers le seul monde qu’il connaît. Ses pensées, ses raisonnements, ses réactions sont finement décrites, comme la description des changements qui se sont opérés dans Los Angeles pendant son long séjour en prison… On est happé par le destin presque écrit par avance, encore que la fin réserve une surprise…
Petit extrait révélateur, lorsqu’un barman refuse de répondre aux questions de Max. Ce dernier l’insulte copieusement, prêt à lui sauter à la gorge :
Ma salive gicla jusqu’à lui. Ses yeux s’écarquillèrent. Le mépris se trouva soudain remplacé par la peur. Il battit en retraite jusqu’à se cogner contre le comptoir derrière lui. Je tremblais — mais la vue de son visage dissipa mes furies. Seul le vague souvenir, surgi du fond de ma mémoire, qu’une bagarre verrait mon retour en prison, m’avait empêché de plonger au-dessus du bar et de le frapper jusqu’à l’inconscience. Et si mes paroles de furies n’avaient pas déclenché la réaction voulue, j’aurais été prêt à aller jusqu’au bout malgré tout. J’avais l’habitude des hommes qui se respectaient les uns les autres — non par simple savoir-vivre, mais parce que chacun savait que l’autre était dangereux et que le moindre manquement pouvait dégénrer en violence, voire en meurtre, aussi brutalement qu’une éruption de volcan.
C’est ce roman, écrit en prison, qui va le faire découvrir comme écrivain, grâce à la protection de Louise Wallis, l’épouse d’un producteur d’Hollywood. Il lui aura fallu dix-sept années d’écriture, et six romans refusés, pour être enfin publié.
Edward Bunker (1933-2005) est un écrivain américain auteur de romans policiers, et scénariste de cinéma. Il fut le plus jeune détenu (17 ans) à être incarcéré à San Quentin, l’un des pénitenciers les plus durs des États-Unis (deux évasions à son actif, dont une de deux ans). Il sort pour la dernière fois de prison en 1975, soit à 42 ans ! Il a notamment écrit :
- No Beast so Fierce (1973, Aucune bête aussi féroce, adapté à l’écran sous le titre Straight Man (1978), Le Récidiviste avec Dustin Hoffman). Ce roman donc.
- The Animal Factory (1977, La Bête contre les murs, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2000) avec Willem Defoe).
- Little Boy Blue (1981, La Bête au ventre).
- Dog Eat Dog (1995, Les Hommes de Proie, adapté à l’écran sous le titre éponyme (2016) avec Nicolas Cage).