
J’ai bien aimé lire Joan Didion, avec sa vision sans concession et ses phrases qui font mouche, que ce soit par sa chronique de l’Amérique des années 70, ou de façon romancée comme dans Mauvais joueurs.
Je me suis alors laissé tenté par ce petit livre présenté comme deux carnets de voyage, l’un au Sud des États-Unis dans les années 70, puis un deuxième en 1976 quand Didion s’est installée à San Francisco pour y couvrir le procès de Patty Hearst (la fille de milliardaire enlevée par un groupe terroriste d’extrême-gauche, avec qui elle participera à certaines actions).
Tout cela paraissait prometteur, et ce fut une énorme déception, uniquement compensée par la brièveté du récit. Il ne s’agit que vagues notes jetées sur le papier, parfois sans même prendre le temps de construire une phrase, souvent sans en donner le contexte, bref cela n’a de valeur que pour les historiens qui voudraient se pencher sur la vie et l’œuvre de Joan Didion. Que l’éditeur se permette de le décrire comme suit relève plus de l’arnaque qu’autre chose (car ce petit livre est vendu 15 €) :
Les deux textes nous permettent de mieux comprendre l’Amérique de ces années-là, et de ce fait, l’Amérique de Trump, dans ce court livre brillant où l’acuité du regard de Didion fait toujours mouche. »
Pour être positif, j’ai tout de même retenu deux choses : il y a effectivement cette idée surprenante qu’elle énonce et qui prend peut-être tout son sens aujourd’hui avec la deuxième élection de Trump :
J’avais seulement une impression, vague et informe, une impression qui me frappait parfois, et que je ne pouvais expliquer de façon cohérente, selon laquelle pendant quelques années le Sud, et en particulier la côte du golfe du Mexique, avait été pour l’Amérique ce qu’on disait encore de la Californie, et ce que pour moi la Californie n’était pas : l’avenir, la source secrète d’une énergie bonne et mauvaise, le centre psychique. Je ne tenais guère à en parler.
Une sorte d’inversion où les idées progressistes sont reléguées aux oubliettes, et où celles que l’on considérait comme rétrogrades reviennent au premier plan. C’est écrit en 1970 et plutôt actuel je dirais… Didion note aussi pendant son séjour dans le Sud :
Distorsion temporelle : la guerre de Sécession, c’était hier, mais on parle de 1960 comme si c’était il y a trois cents ans.
Bon voilà, inutile d’acheter ce livre, qui n’en est pas un.
Joan Didion (1934-2021) est une journaliste et romancière américaine. Elle a travaillé pour la magazine Vogue à ses débuts. Élue femme de l’année en 1968 par le L.A. Times (aux côtés de Nancy Reagan), elle a aussi coécrit le scénario de Panique à Needle Park. Son dernier essai, « L’année de la pensée magique » — qui relate la mort soudaine de son mari d’une crise cardiaque — a reçu le National Book Award.