Oh, Hippie days ! – Alain Dister

C’est sur FC que j’ai entendu une interview de Alain Dister, où il raconte comment en 1966 il part pour l’Amérique, terre de toutes les utopies, et découvre les débuts du mouvement hippie à San Francisco, alors que les États-Unis s’engagent massivement au Vietnam.

Cela m’a donné envie de lire son livre, écrit comme un journal, presque au jour le jour, racontant ses trois voyages successifs : un premier de 3 mois en 1966, où il découvre le début du mouvement à San Francisco, pour y revenir l’année suivante, le carcan sociétal en France lui pesant définitivement trop (nous sommes avant mai 68). Il y restera pratiquement un an. Enfin, Il y fera un dernier séjour six mois plus tard (et pour 6 mois), qui annonce la fin du mouvement, et dont il peut s’estimer heureux d’être revenu « intact », à lire son récit.

Voyons tout ça de plus près, avec en bonus en fin d’article une idée de Playlist (audio) inspirée des titre de morceaux cités dans le livre.

Le texte est écrit avec beaucoup de franchise et d’honnêteté, sur ce qu’il voit et expérimente, à la fois très attiré par le mouvement et tout ce qui se passe dans le Haight-Ashbury, scène incroyable d’une révolution incroyable (et utopiste). Mais aussi de lucidité car deux ans plus tard, le rêve va peu à peu se terminer : le portrait qu’il dresse d’ailleurs n’est pas forcément très rose, avec ces milliers de jeunes continuant d’arriver de toute l’Amérique (ou d’ailleurs) pour vivre leur rêve, se retrouvant à mendier dans la rue, dormir sous les porches des bâtiments, etc… Le risque de tomber dans la drogue est grand, les vrais dealers sont arrivés, la violence avec, et tout devient très glauque avec une répression qui s’accroît.

La foule indistincte, pieds nus, transie sous la bruine, est de plus en plus dense. Le quartier, envahi durant le « summer of love », n’a cessé de se remplir de nouveaux arrivants, toujours plus pauvres, toujours plus largués, toujours plus assoiffés de drogues… Et ce n’est pas l’offre qui manque.

Ils vivent de rien, se nourrissent de peu (du riz complet et des légumes bouillis les bons jours !), et cherchent leur spiritualité dans les cultures orientales. Le système ne leur fait pas de cadeau : avec Nixon président ou Reagan gouverneur de Californie, ça ne rigole pas, et les descentes de police sont le quotidien.

N’y-a-t-il pas là quelque chose d’intrigant, voire de mystérieux, quelque chose qui, nécessairement, laissera des traces, capables de resurgir un jour ou l’autre malgré toutes les tentatives d’étouffement, de négation, de ringardisation, de dévoiement, sinon de suppression pure et simple de ses acteurs, de ses penseurs, jugés trop dangereux pour que le système en place puisse continuer à fonctionner ? OK, on ne va pas sanctifier toutes les dérives au nom de la recherche spirituelle ou de la révolution sociale… C’est beau tout de même, cette idée de révolution, quand on y pense… Révolution du sexe, libre, révolution du plaisir, gratuit, révolution des sens, explosés, déréglés, révolution de l’apparence…Alors, qu’ils aient, les acteurs de cette révolution, cherché d’autres voies, dans les traditions d’autres pays, d’autres cultures, quoi de plus naturel, dès lors que les repères proposés par leur société d’origine étaient devenus inacceptables…

Lui ne fait pas mieux, vivant un petit cachet de Rock & Folk de temps en temps pour ses photos ou articles, vendant ses desseins, ou d’un petit boulot à faire la plonge ou vendre des journaux, mais aussi profitant en bon parasite dans un loft surpeuplé… Il fait le minimum pour pouvoir acheter des pellicules photos et mitrailler, croisant artistes connus (Jimmi Hendrix) et inconnus, prenant des photos en noir & blanc ou en couleur… Il reste le frenchy qui prend des photos, toujours un peu à distance, vrai observateur de tout ce qui se passe, assez dilletante sur le mouvement, et toujours content de croiser une belle nana. Il parle des Diggers et de leurs repas gratuits ou de leur magasin tout aussi gratuit (lire Ringolevio sur le sujet). Et aussi des Merry Pranksters de Ken Kesey (lire Acid test).

Le texte est régulièrement coupé d’une sorte de lettre à l’une des personnes dont il a croisé la route, un ami, souvent une fille avec qui il a eu une aventure et dont il se demande ce qu’elle est devenue, et s’ils n’auraient pas pu avoir une histoire plus sérieuse… La fidélité n’était trop dans l’air du temps, et Dister a tout de même bien profité de l’époque sur ce sujet ! Les « lettres » sont toujours bien écrites et permettent de mieux comprendre dans quel état d’esprit il se trouvait.

Vers la fin de son second séjour, il manque de peu de goûter à l’héroïne, branché par Régine, une de ses amies de longue date, elle tout à fait accro :

Il y avait cette chanson des Doors, The End, la montée sur la guitare, puis la voix de Jim Morrison. Le climat,… On se la repassait sans arrêt, rien que pour ça — le climat. On écoutait beaucoup aussi Heroin par le Velvet Underground. Tout pareil, pour le climat. L’héro, j’ai failli essayer. C’était bien parti pour. Régine, tu m’avais invité chez des amis à toi, à un moment quelqu’un a sorti son matériel. En fait, tu étais venue pour ça, et t’avais décidé, je crois, de me brancher. « Tu verras, juste une fois, faut que t’essayes, c’est cool, on est entre amis, etc… » Le baratin habituel. La seringue a fait le tour,. Un type barbu qui ressemblait à Trostky s’est fait le premier shoot. Puis il a tendu l’aiguille, vers toi, vers moi… Impatiente, tu t’es jetée dessus, « tu verras après, laisse-moi voir si c’est du bon bourrin », et tu t’es envoyé ton fix. Et tout de suite, t’es partie dans la vape. Overdose. C’était ça que tu voulais me refiler ? Bigre ! On t’a fait marcher de long en large, on t’a traînée, presque, en te soutenant chacun sous un bras, on t’a fait une piqûre d’eau salée, on t’a fait remarcher, toi si pâle tout d’un coup, finalement t’as ouvert un œil à moitié, très loin sous la paupière, et puis tu as lâché : « J’ai tout compris ! » On s’est quitté là-dessus. Te voir partir en overdose, ça m’a douché froid, ça m’a ôté l’envie de toucher au smack, c’était comme une déclaration de guerre. Le type, je m’en souviens, il dessinait des posters, des trucs égyptiens… Il croyait entrer dans l’éternité… On était dans cet ailleurs, on vibrait avec, l’avenir avait ce goût de mort et de lumière.

Quand il retraverse les États-Unis pour revenir à NY à la fin du second séjour, on croit lire une scène du film Easy Rider :

Nous ne sommes qu’un bande de hippies embarqués dans une voiture étrangère (une Volvo), signe manifeste d’une hostilité marquée à l’Amérique par ailleurs démontrée par la longueur de nos cheveux et ce long sticker, là, sur le pare-chocs arrière, PEACE IN VIETNAM. C’est dans le Wyoming, en plein territoire cow-boy, que ça commence à se gâter. À Fort Laramie, nous sommes entrés dans un restaurant pour avaler un robuste petit déjeuner. La carte propose son assortiment de pancakes habituel, et des formules tout compris, de café, toasts, œufs brouillés, patates, haricots blancs, saucisse, bacon, jus d’orange, de quoi se caler jusqu’au soir… La route, depuis l’aube, a été longue, nous avons faim. La salle est presque vide, à part quelques hommes accoudés au bar, leur chemise de lainage à carreaux débordant de jeans salis par le travail. Une serveuse apparaît, elle semble sortie d’une photo de Diane Arbus, elle a la bouche amère, trop fardée. Elle porte une minijupe noire sur de courtes cuisses gainées de bas résilles. Elle s’approche et se plante devant nous, sans nous accorder un regard : « On ne vous servira pas, vous pouvez partir » Sur un ton nasal monocorde. Une voix sans âme, brisée par la cigarette. Je voudrais protester, argumenter… Mark et Cherry ont compris. Déjà, ils ont ramassé leurs sacs et se dirigent vers la porte. La Volvo est juste devant, et démarre aussitôt. Dans notre dos, quand nous sommes sortis, il y avait des envies de meurtre dans le regard des hommes.

La 3e partie, où il reste essentiellement à NY, est une véritable descente assez morbide. Il passe la plupart du temps dans un loft à fumer, se désintéressant peu de tout, au nom d’une pseudo philosophie nihiliste, vendant même son appareil photo… Le portrait dressé par ce qui se passe à NY (SF is dead) est assez catastrophique. Il finit par retourner sur la côte Ouest, à Berkeley, et est présent lors de la lutte pour le jardin réalisé sur le terrain d’une université, avec des affrontements assez violents avec la police puis l’armée (1969 People’s Park Protest). Il rentre finalement en France en juin 1969, apparemment il était grand temps pour lui de se sortir de ce mouvement devenu finalement assez mortifère (refus de la société, utopie, fuite dans les drogues de plus en plus dures).

Pour finir, la musique est bien sûr omniprésente dans le récit, et il nous propose au fil des pages ses petites playlists du moment, avec les groupes emblématiques du mouvement comme les Grateful Dead, ou Jefferson Airplane. Mais il y a aussi plein d’autres qui ont traversé les époques comme les Beatles, les Rolling Stones, Bob Dylan, Janis Joplin, Zappa… et encore d’autres qui ont depuis fini aux oubliettes. J’ai consciencieusement noté tous les titres, dans un fichier texte Playlist-Alain-Dister.txt, si vous voulez vous créer votre propre playlist « Oh hippie days » à partir de cette liste ! 😎 Attention, certains titres sont disons assez particuliers (du genre improvisations planantes… on aime ou on n’aime pas !), quand d’autres fois il s’agit du nom d’un album complet… Dans le premier cas, j’ai supprimé le morceau de ma playlist, et dans le second choisi arbitrairement un titre de l’album. Mais à la fin, la playlist est plutôt sympa, et d’environ 80 morceaux.

Alain Dister (1941-2008), est un journaliste et photographe français, auteur de nombreux ouvrages concernant le rock. Dans les années 1980 Alain Dister produit des émissions de radio pour France Culture, des films documentaires, en particulier pour l’émission télévisée « Les Enfants du rock ». Il a aussi été critique d’art pour la revue Connaissance des arts. Il ne s’est jamais coupé les cheveux !

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