Comprendre sa douleur – Earl Thompson

Troisième volume de l’histoire en partie autobiographique d’Earl Thompson, publié à titre posthume, après Un jardin de sable puis Tatoo.

Cette fois le personnage s’appelle Jarl Carlson, il est devenu adulte, et essaie de s’en sortir avec toujours autant de difficultés, incapable de trouver sa voie et sa place. Son enfance où il a du apprendre la vie à la dure tout seul, puis ses années d’armée et de guerres l’ont endurci sans l’épanouir.

Il suit des cours à l’université grâce à son allocation éducative de GI, et travaille dans un HP pour compléter son salaire. Il plaît aux femmes, participe à l’édition d’une revue universitaire, mais est profondément insatisfait :

Et donc, se disait-il, voilà à quoi j’en suis réduit : un grincheux, un aigri, qui vit dans une putain de YMCA, se tire sur la nouille en se demandant si sa bite rétrécit, s’il est assez masculin, s’il est barjot ou non de bosser pour une misère, et qui se sent coupable comme c’est pas permis parce que, même comme ça, il est certain d’être destiné à bien mieux que ses pairs, que ses ancêtres, que l’autre connard qui se paluche dans la chambre minable d’à côté.

Tout semble s’arranger lorsqu’il rencontre une jeune doctoresse divorcée et que le coup de foudre est réciproque. Mais il enverra tout balader sur un coup de tête, ou plutôt sur un malaise récurrent qui le hante :

Je suis une espèce de salopard congénital. Je le sais, et j’essaie de travailler là-dessus (…) Mais je passe mon temps à me rappeler d’où je viens, où je suis passé, ce que j’ai fait, et j’ai l’impression d’être un nègre blanc qui trompe une société qui ne soupçonne rien.
Il y a une phrase dans l’autobiographie de Woody Guthrie, En Route vers la gloire, qui dit à peu près: « Où que je sois, j’ai toujours l’impression que je devrais être ailleurs. »> C’est exactement ce que ressentait Carlson. Le pourquoi de cet état de fait, en revanche, était un mystère.

Il finira par se lancer dans l’écriture, persuadé d’être un grand écrivain. Le premier essai se révélera mauvais, et l’enverra toucher le fond. Ce n’est qu’à ce moment qu’il écrira vraiment quelque chose d’excellent, même s’il s’écoulera encore beaucoup de temps et de travail avant qu’il ne soit publié.

Contrairement aux deux premiers tomes, où l’on éprouve de l’empathie pour le jeune personnage malgré ses « dérives », ici c’est d’un homme adulte qu’il s’agit, qui se révèle parfois vraiment détestable et très égoïste. Mais c’est aussi un personnage étonnant, refusant de se plier à ce que la société « bien pensante » voudrait, intelligent, qui cerne bien les personnes qu’il rencontre, avec toujours ce rapport étrange au sexe, ainsi qu’avec les femmes : il aime, mais n’éprouve aucune jalousie, ni aucun besoin de fidélité, semblant confondre sexe et amour. Attention, les scènes de sexe sont assez nombreuses et plutôt crues.

Earl Thompson (1931-1978) est un écrivain américain. Les trois romans mentionnés ici sont largement autobiographiques, et celui-ci publié à titre posthume (titre original « The Devil to Pay »). Libération a relevé une ressemblance dans les romans sur sa jeunesse, avec « Mort à crédit » de Céline. Earl Thompson a aussi publié un autre roman (« Caldo Largo ») de son vivant, mais non traduit en français à ce jour. Il meurt d’une rupture d’anévrisme à l’apogée de son succès, à l’âge de 47 ans.

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