Un jardin de sable – Earl Thompson

Toujours fan de cette collection « Les grands animaux » avec ses belles couvertures hypnotiques, j’ai sauté sur ce nouvel opus sans en savoir plus. Et je n’ai pas été déçu, même si « c’est du brutal » comme dirait l’autre.

L’histoire se passe pendant la Grande Dépression (post Krach de 1929), où une famille passe de simple fermier à la plus grande pauvreté. Langage grossier, sexe sans pudeur, tout est dit et raconté.

Dans ce milieu sans espoir, on compatit sur l’enfance du petit Jacky, abandonné par sa mère volage et élevé (si l’on peut dire) par ses grands-parents. C’est sordide, sans espoir, et le développement personnel de Jacky au milieu de ce grand nulle part inquiète. Les conditions de vie (ou de survie) sont terribles, et pourtant la dégringolade sociale s’aggrave à chaque coup dur. Le grand-père Mac jure constamment sur Roosevelt et sa clique, ce qui lui attire des ennuis au cas où il n’en aurait pas eu déjà assez.

Pendant ce temps-là, Jacky a des problèmes d’intégration à l’école, et son attirance malsaine pour ce qu’il y a sous les jupes des filles…

Il y a une très bonne préface de Donald Ray Pollock, qui donne envie de lire ce livre. Il dit entre autres :

Je n’avais jamais rien lu de tel. D’accord, c’était rempli de sexe, de salauds, de crasse, d’alcool et d’une profonde pauvreté, mais, à sa façon triste et sordide, c’était également beau.

Sa mère reviendra finalement chercher Jacky. Elle est encore une belle femme, et il est attiré par elle, ignorant de toute notion d’inceste tant son éducation est proche du néant. Mais les rêves de l’enfant d’habiter une vraie maison au sein d’une vraie famille s’effondreront vite quand ils arrivent dans le Mississippi, dans un cabanon miteux avec Bill, le copain/mari de sa mère, ancien détenu retournant régulièrement en prison, alcoolique chronique allant jusqu’aux crise de delirium. Fini l’école, le gamin va devoir se débrouiller seul, apprendre à ramener de l’argent, et donc à voler.

Bill est ivre en permanence, le frappe parfois, est amical à d’autres moments, simulant le rôle du père dans lequel Jacky s’engouffre plein d’espoir. Il grandit dans ce milieu instable, désirant toujours sa mère, jalousant Bill tout en rêvant qu’il s’occupe de lui comme un père, et profitant de sa jeunesse pour voler en toute effronterie.

C’est la description d’un monde d’une pauvreté crasse, l’histoire d’un gamin qui n’est pas vraiment élevé, laissé à lui-même pour comprendre ce monde dur et sans pitié. Son développement en est forcément biaisé, avec son obsession pour le sexe, son rapport à sa mère. Parfois, on sourit malgré tout devant son innocence, comme lorsqu’il s’enflamme d’un « Ouaiiis ! » en oubliant toute méfiance, comme un enfant qui accorde toute sa confiance a un adulte dont il connaît pourtant la duplicité.

Petit extrait à propos des gamins, valable à cette époque ou peut-être même encore de nos jours :

Une fois installé au comptoir, sur un tabouret, il passa sa commande. « Un bol de chili et un Coca. – Au petit déjeuner ? », s’étonna la femme au visage rougeaud et aux bras comme des jambons. Avant, tenu compte de l’heure matinale, il aurait sûrement, cédant à l’intimidation, changé sa commande et demandé du lait et des cornflakes. Plus maintenant. « Ouais. Et plein de crackers, s’il vous plaît. » La femme haussa les épaules et alla remuer de sa grande louche le chili qui mijotait en permanence dans sa marmite sur un immense réchaud. Elle creva la pellicule d’écume rouge qui s’était formée à la surface et lui remplit un grand bol débordant de haricots bien piquants dans leur graisse rouge pimentée. « Maintenant, les gamins , ça court les rues tout seuls comme des chiens errants », murmura la femme sur le ton de la confidence à un vieux schnoque du coin installé à l’autre bout du comptoir, en désignant du menton le jeune garçon courbé sur le bol fumant. Je sais pas où on va, comme ça. – Oh, alors ça, c’est pas nouveau. Moi j’bossais déjà sur le fleuve quand j’étais pas plus vieux qu’lui. Et j’faisais l’boulot d’un adulte, hein ! C’est marrant comme les gens, y s’figurent que les gamins, y sont comme des p’tits anges. Mon cul , oui ! Moi, c’que j’ai vu, et attention, hein, j’ai voyagé dans l’monde entier, moi ! C’est que le plus souvent les gamins, ça doit s’battre pour survivre, et dès qu’y sont p’tits. Les gamins, c’est pas du tout comme les gens y croyent, hein. »

Après la dépression, la guerre est vite arrivée. Le seul espoir de Jacky est alors de s’engager dès qu’il le pourra, quitte à fabriquer de faux papiers car il n’a pas encore l’âge légal… C’est l’objet du prochain roman déjà paru dans la même collection, Tattoo, qui est la suite des aventures de Jack… Je ne vais pas tarder à le lire !

Earl Thompson (1931-1978) est un écrivain américain. Ce roman et le suivant (Tattoo) sont largement autobiographiques. Il en publie un troisième (Caldo Largo) puis meurt d’une rupture d’anévrisme à l’apogée de son succès. Un quatrième roman sera publié après sa mort, intitulé « The Devil to Pay », qui vient clore la trilogie autobiographique entamée avec ses deux premiers romans.

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