Vers un monde univoque – Thomas Bauer

C’est mon cousin Olivier qui m’a offert ce livre, lors d’un passage en Bretagne : alors que je lui faisais visiter Concarneau et sa ville close, nous sommes aussi passés à la librairie Albertine où je devais aller chercher un bouquin.

Faisant usage de politesses réciproques, je lui ai alors offert Le monde d’hier de Stefan Zweig que je venais de lire et avais beaucoup apprécié, et lui m’offrit donc ce livre, un essai philosophique dont je me suis dit : « pourvu que ce ne soit pas trop abscond à lire… ».

Ce n’a pas été le cas, et c’est tout le mérite de l’auteur, d’avoir su rester accessible et de ne pas utiliser de jargon philosophique. La langage reste simple, et facilement compréhensible.

Plein de courage, j’entamais donc l’excellente préface de Christopher Pollmann, qui commençait par cette citation :

La croyance qu’il n’y a qu’une seule vérité,
et que l’on est soi-même en possession de celle-ci,
est la racine la plus profonde de tous les maux du monde.

Max Born (1882 à 1970, prix Nobel de physique en 1954)

J’étais aussi content de voir que dès la deuxième page, Stefan Zweig était cité deux fois ! Quelques pages plus loin je lisais ceci :

En-deçà des éloges, l’ambiguïté semble bénéfique à la vie collective. En effet, elle favorise le lien social tout en épargnant l’individu de certaines agressions. Elle suscite un sentiment d’appartenance grâce à des expressions, symboles et comportements partagés, donc rien de trop explicite ni clivant, permettant d’éviter des positionnements trop tranchés et les confrontations qui ne manquent pas d’en découler.

Et là, je me disais : mon cousin n’essaierait-il pas de me faire passer un message ? 🙄

Alors ce livre m’a-t-il fait comprendre certaines choses ? Je dois répondre oui à cette question, même si je ne suis pas certain que cela va modifier ce que je pense, peut-être un peu tout de même, en tout cas dans la compréhension concernant la direction dans laquelle va notre société.

Le monde s’uniformise, c’est un des effets de la mondialisation : on le voit facilement en voyageant, avec ces « non-lieux » que sont les aéroports, les supermarchés, les hôtels, etc… Devant avant tout être fonctionnels, les moyens priment sur la fin. Il en est de même avec les langues parlées, ou encore les couleurs (vêtements, voitures, bâtiments), produits pour un marché planétaire, on remplace les couleurs toujours connotées par des tons plus sobres.

Du coup, l’ambiguïté recule, et l’intolérance à son égard augmente : qu’une chose puisse avoir des significations variées, voire contraires selon les contextes et les personnes, dérange. La tendance est à la dualité, c’est noir ou blanc, et tout se réduit à une paire de significations dichotomiques, voire manichéennes. Pour l’auteur, notre tolérance à l’ambiguïté est trop faible, sans pour autant nier les problèmes qu’entraîneraient son excès. Il ne s’agit pas d’encourager l’ambiguïté, mais de l’apprivoiser.

Et on trouve dans l’Histoire des périodes tolérantes ou non :

Il semble qu’en matière de tolérance à l’ambiguïté, l’histoire fut plus turbulente en Europe que dans d’autres régions du monde. Sensiblement plus souvent que, par exemple, dans les sociétés moyen-orientales, l’Europe alterna entre des périodes relativement tolérantes à l’ambiguïté, comme la Renaissance, l’humanisme et le baroque, et des périodes très intolérantes à l’ambiguïté, telles que les guerres de Religion, la Révolution française, ou l’ère des idéologies à la fin du XIXe et au XXe siècles.

En terme de religion, il existe des points communs frappants entre la « tyrannie de la vertu » de Calvin et les conceptions islamistes des fanatiques musulmans d’aujourd’hui. […] Obsession de la vérité, négation de l’histoire et aspiration à la pureté sont ainsi les trois marques de l’intolérance à l’ambiguïté qui constituent la base de tout fondamentalisme.

Tout l’ouvrage de Bauer met en avant l’ambiguïté et ses vertus, et non ses défauts (incertain, imprécis), comme il est perçu de nos jours : la science en quête de certitudes, le capitalisme en quête d’efficacité, et même le fondamentalisme qu’il soit religieux ou anti-religieux d’ailleurs.

L’auteur va ainsi décliner cette idée, en fonction de certains critères comme la religion, ou la société capitaliste mondialisée, et c’est assez convaincant. Et c’est ce manque de tolérance vis-à-vis de l’ambiguïté qui va générer ce fondamentalisme…

Pour d’autres sujets, comme l’art, et même le vin naturel, cela l’est beaucoup moins m’a-t-il semblé. Il part parfois d’un postulat discutable (en tout cas pas évident pour moi), et déroule à la suite sa démonstration. Forcément, il arrive à ses fins.

Un bon bouquin d’une centaine de pages qui se lit bien, et de bonnes choses à retenir dans ce monde où l’on tend à nous enfermer dans des réponses un peu trop exclusives. Restons ouverts !

Thomas Bauer est professeur d’études arabes et islamiques à l’université de Münster. Il a reçu le prix Leibnitz le prix scientifique puis le prix Tractatus de l’essai philosophique pour le présent ouvrage. Il n’a pas encore de page Wikipedia !

Une réflexion sur « Vers un monde univoque – Thomas Bauer »

  1. Nous sommes des êtres étranges. Nous voyageons en équipage sur une même planète sans nous en apercevoir. La lumière d’un côté, l’obscurité de l’autre, nous ne cesserons de nous croiser.

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