Je continue avec Pearl Buck et ce roman un peu différent de ceux lus précédemment.
L’histoire se passe au début du XXème siècle dans une famille juive, installée dans une ville au nord de la Chine d’avant Mao. Ezra, le père de famille, est un riche commerçant et ne s’occupe pas trop de la religion (sa mère est chinoise) alors que sa femme est très pieuse et très attachée aux nombreux rites de la religion juive, jusqu’à rêver d’un retour sur la terre promise. Ils ont un fils David, porteur de tous leurs espoirs.
C’est cet aspect qui est très intéressant et parfaitement traité. Contrairement à l’Europe, les juifs ne sont en aucune manière ostracisés ou persécutés en Chine, et pour Mme Ezra, le danger est plutôt dans la perte de leur identité juive (le peuple élu) et de se retrouver absorbé par la culture chinoise, eux si accueillants et toujours prompts à profiter des plaisirs de la vie, ou à offrir une de leurs filles en mariage au fils de ce riche commerçant.
Pivoine est une jeune esclave de deux ans la cadette de David, achetée très jeune pour servir le jeune maître. Enfants, ils ont tous les deux développés une relation d’amitié profonde, mais en grandissant, les choses changent, et Pivoine doit désormais garder ses distances. Bien qu’éprouvant un amour sans faille pour David, elle est capable de se sacrifier et ne penser qu’à son bonheur à lui… encore que le conseil d’une vieille servante la fait réfléchir :
Qu’avait donc dit Wang Ma ? « Obéir… obéir… et faire ce qu’on veut. Les deux choses s’accordent parfaitement, – si on est habile. » Étranges paroles, pleines de sagesse ! Pivoine y réfléchit et leur sens pénétra graduellement, comme un métal précieux, dans les eaux profondes de son âme. Tout à coup, elle se sourit si bien que deux fossettes se mirent à danser sur ses joues.
Mme Ezra va tout faire pour que David se marie avec Leah, la fille du rabbin, et Pivoine se désespère. La vieille servante lui explique alors :
Pivoine joignit les mains sur ses genoux. — La vie, dit-elle en détachant les mots, est-elle triste ou gaie ? D’après son expression, son sérieux, Wang Ma parut comprendre la question de Pivoine. — Au fond ? demanda-t-elle. — Au fond, répondit Pivoine. Wang Ma, l’air grave, ne manifesta ni surprise ni ahurissement. — La vie est triste, dit-elle, d’une voix nette et décidée. — Nous ne pouvons donc pas nous attendre à du bonheur ? demanda Pivoine, songeuse. — Certainement pas, répondit Wang Ma avec assurance. — Vous dites cela d’une manière si enjouée ! Le ton de Pivoine était lamentable, et elle se mit à pleurer. — Tu ne seras heureuse que lorsque tu auras compris que la vie est triste, déclara Wang Ma. Regarde-moi, Petite Sœur. Que de rêves j’ai faits, que d’espoirs, avant d’avoir compris que la vie est triste ! Après cela j’ai cessé de rêver, je n’espérais plus. Maintenant les bonnes choses qui m’arrivent me rendent souvent heureuse. Je ne m’attends à rien, alors tout m’est une joie. (Wang Ma cracha habilement dans la cour, par l’ouverture de la porte.) Ah ! oui, fit-elle d’un ton réconfortant, la vie est triste, résigne-toi à cela. — Merci, fit doucement Pivoine (et elle s’essuya les yeux). Elles restèrent assises toutes les deux un moment, plongées dans leurs réflexions. Puis Wang Ma se mit à parler très affectueusement : — Tu dois penser à toi, Pivoine. Si tu désires passer tes années dans cette maison, cherche à savoir qui sera la femme de notre Jeune Maître. Qu’il le veuille ou non, l’épouse d’un homme le dirige. Elle a le pouvoir, parce qu’elle a sa place dans le lit ; choisis donc la femme de David. — Moi ! s’écria Pivoine.
Pivoine va alors œuvrer dans l’ombre pour contrecarrer ce projet, persuadée que David ne serait alors pas heureux. Quitte à lui trouver une autre femme. Puis les choses vont tourner au drame…
Roman plaisant, où l’on découvre un peu de la vie quotidienne dans une ville chinoise prospère de cette époque, dans une période sans guerre ni famine. La beauté de Pivoine finira par lui attirer des ennuis, et elle ne devra son salut qu’en se réfugiant dans un monastère bouddhiste. Son personnage, d’une beauté et d’une intelligence rare, acceptant sa condition d’esclave sans pour autant renoncer à ses espoirs, est magnifique.
Pearl Buck (1892-1973) est une femme de lettres américaine et a obtenu le prix Nobel de littérature en 1938. Elle n’a que 3 mois quand ses parents missionnaires partent pour la Chine. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle revient aux États-Unis suivre ses études universitaires, avant de vite retourner Chine où elle épousera un missionnaire agronome, dont elle divorcera peu après être revenue aux États-Unis en 1933. Première femme lauréate du prix Pulitzer qu’elle obtient en 1932. Elle adoptera sept enfants et aura combattu toute sa vie les injustices, défendu les minorités ainsi que les droits des femmes.