Retour à Hunter S. Thompson ; cette fois c’est le libraire qui m’a réservé ce livre sans que je ne lui demande rien ! Le genre de petite attention que seul un libraire peut vous apporter…
Jusqu’alors inédit en France, publié sous le titre original de « The curse of Lono », ce sont les éditions Tristram qui le publient, sous un format « souple » bien agréable à tenir en main, avec une belle photo de HST pour la couverture.
On le retrouve au meilleur de sa forme, et l’on comprend mieux son mode de fonctionnement. À partir d’un événement réel, il va écrire un roman totalement déjanté. On imagine la trame de faits réels derrière son récit, mais chaque fait est exagéré, déformé, pour mieux s’intégrer au récit qu’il a imaginé, n’hésitant pas à y mêler un brin d’histoire et de mythologie locale…
Car l’histoire est parsemée d’extraits des récits du dernier voyage du Capitaine Cook lorsque celui-ci découvrit les îles Hawaï. Destin tragique, puisqu’il y trouva la mort dans d’étranges circonstances : lors de sa première arrivée, il fut considéré comme la réincarnation du dieu Lono, car cela correspondait à la mythologie des indigènes. Un mois après, il repart, mais à cause d’une avarie au mât de misaine, décide de rebrousser chemin pour réparer le bateau. Et le drame éclate : cette fois, cela ne correspondait plus du tout à la mythologie locale, le dieu Lono n’était pas censé revenir aussi vite !
Des tensions apparaissent, un vol de chaloupes dégénère, Cook veut alors prendre le roi en otage, mais les locaux ne se laissent pas faire, et James Cook sera atteint à la tête d’un coup de dague au cours de l’affrontement. Ironie du sort, s’il avait su nager, il aurait pu s’échapper.
Thompson s’empare de tout ça, et le mélange vigoureusement, à l’aide d’alcool et de drogues diverses comme à son habitude. Cocktail détonnant garanti ! Par exemple HST part pêcher en mer…se félicitant que le ciel soit dégagé le matin du départ :
Je pris cela comme un bon présage, mais je me trompais. À la nuit tombée, nous allions nous retrouver engagés dans un combat à mort contre les éléments, impuissants, ballottés dans le pire du ressac et rendus à moitié fous par la peur et de puissants produits chimiques.
Bien sûr, HST se prendra pour la réincarnation du dieu Lono vers la fin de l’histoire ! Néanmoins, certaines de ses remarques sur le marathon en particulier, et le sport en général, ne manquent pas d’intérêt. Dans les Nouveaux commentaires sur la mort du rêve américain, il y avait une lettre qui en parlait :
Il n’y a aucune raison à tous ces coureurs à pied. Seul un imbécile tenterait d’expliquer pourquoi quatre mille japonais couraient à vitesse maximale le long du USS Arizona, mémorial englouti en plein milieu de Pearl Harbor, en compagnie de quatre ou cinq mille libéraux américains certifiés, défoncés à la bière et aux spaghettis, tous prenant le truc tellement au sérieux qu’il n’y en avait pas un sur deux mille pour sourire à la perspective d’une course de 42 kilomètres faisant figurer quatre mille japonais, avec départ et arrivée à un jet de pierre de Pearl Harbor, le matin du 7 décembre 1980…
Trente-neuf ans plus tard. Que fêtent donc ces gens ? Et pourquoi en cet anniversaire tâché de sang ?
[…] Cours comme si ta vie en dépendait, mon gars, car c’est tout ce qui te reste. Ceux-là même qui brûlaient leur ordre d’incorporation pendant les sixties, puis se perdirent au cours de la décénie suivante, sont maintenant dans la course à pied. Après que la politique a échoué et que les relations personnelles sont devenues ingérables ; après que Mc Govern eut perdu et Nixon explosé sous nos yeux… une fois Ted Kennedy stassenisé et après que Jimmy Carter a tiré un trait sur toute personne ayant cru la moindre chose qu’il ait dite sur n’importe quel sujet — et après que la nation se soit tournée en masse vers la sagesse atavique de Ronald Reagan.
Ah, ce sont, après tout, les années 80, et le temps est enfin venu de voir qui a des dents, et qui n’en a plus… Ce qui peut ou non rendre compte de l’étrange spectacle de deux générations d’activistes politiques et d’anarchistes sociaux se transformer enfin — vingt ans plus tard — en coureurs.
Pourquoi ? C’est ce que nous sommes venus examiner ici.
Voilà quelques extraits, je me suis limité à ceux parlant du marathon, de manière sérieuse ou pas. Le dernier est particulièrement vrai.
Continuer la lecture… Le marathon d’Honolulu – Hunter S. Thompson