J’ai eu envie de m’attaquer à ce monument de la littérature, dans la traduction d’Armel Guerne plutôt que celle de Jean Giono, qui avait eu bien du mal à réaliser cette tâche, et avait du demander l’aide de deux autres traducteurs. Après lecture, je comprends mieux pourquoi.
Autant le dire tout de suite, j’ai été très déçu et les presque 1000 pages du roman m’ont parues bien longues (voire ennuyeuses) au point sur la fin d’en lire certaines en diagonale quand je voyais le style s’enflammer. Je m’explique.
Melville est également un poète, et cela se ressent dans son écriture : le récit est parsemé d’envolées lyriques mystico-religieuses qui personnellement m’ont vite lassé. Il paraît que ce livre est l’emblème du romantisme américain, et est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants romans de la langue anglaise. Très bien, mais ce n’est pas ce que j’attends d’un roman : les exercices de style de ce genre, et les références constantes à la bible, au bien et au mal tels qu’ils pouvaient être considérés à cette époque (fin XVIIIe), ne me passionnent guère. Le roman résiste mal à l’épreuve du temps je trouve… Un petit extrait pour vous faire une idée :
Ce fut par le plus grand des hasards que le navire lui-même, au bout du compte, tomba sur lui et le sauva. Mais à partir de cette heure, le pauvre petit Noir erra sur le pont comme un égaré, ayant perdu l’esprit — ou du moins (car qui saurait décider de ces choses) c’était ce qu’ils disaient de lui. L’océan railleur n’avait pas voulu de son corps physique et l’avait rendu ; mais il avait englouti son âme immatérielle. Il l’avait engloutie, mais sans l’emporter toute entière. Non. Il l’avait entraînée en de merveilleuses profondeurs où, vivante, elle voyait glisser de temps à autre dans son regard passif d’étranges ombres et des figures du monde primordial encore dans le chaos. La Sagesse, cette sirène avaricieuse, lui révélait la masse accumulée de ses trésors; et parmi les éternités joyeuses et sans cœur et perpétuellement jeunes, Pip voyait le Dieu omniprésent avec les multitudes infinies d’insectes corallins qui poussaient jusqu’au faîte, jusqu’au dehors du firmament des eaux, leurs orbes colossaux. Le pied de Dieu posé sur les leviers du grand métier universel, il le voyait ; et il le disait ; et pour cela ses compagnons de bord le nommaient fou. L’humaine insanité est ainsi la santé, le sens et le sentiment du ciel ; et c’est en s’éloignant de toute raison humaine que l’homme parvient, à la fin, à ce contact, à cette pensée céleste qui reste, pour la raison, absurdité et folie ; bonheur et malheur, alors, lui sont indifférents exactement comme est impassible le Dieu.
Ce n’est pas illisible, ni sans intérêt, mais l’accumulation de pages de ce style a achevé de me lasser. Quant à l’histoire du capitaine Achab et de sa haine obsessionnelle pour Moby Dick, elle pourrait aussi bien tenir en 200 pages. Les baleiniers partaient à cette époque pour deux ou trois ans de mer, à chasser le cachalot sans répit pour en extraire la graisse et surtout le spermaceti, le tout étant stocké dans les cales du navire, et c’est finalement l’essentiel du roman, la rencontre tant attendue avec Moby Dick et l’affrontement final n’occupant finalement qu’une cinquantaine de pages à la fin de l’ouvrage. On en apprend donc beaucoup sur cette activité et les cétacés en général, le dénommé Ismahel prétendant aborder tous les sujets qui y sont liés de façon très (trop ?) approfondie et exhaustive. Je ne sais d’ailleurs pas jusqu’à quel point il faut le croire aujourd’hui, les connaissances de l’époque ayant sans doute pris un peu de plomb dans l’aile. Tout cela relève de la chasse systématique qui ne peut conduire à terme qu’à l’extinction de l’espèce ; mais à l’époque, pas plus que dans le roman, jamais cet aspect n’est évoqué. On comprend que Moby Dick ait choisi d’attaquer frontalement tout baleinier s’approchant d’elle ! Melville s’est probablement inspiré d’une histoire vraie, le naufrage de l’Essex attaqué par un cachalot blanc géant appelé Mocha Dick.
Concernant la traduction, la page wikipedia du roman indique six versions en français, et donne en exemple la première phrase du roman. Les célèbres premiers mots « Call me Ishmael » sont ainsi traduits en « Je m’appelle Ishmaël. Mettons. » par Jean Giono quand Armel Guerne aboutit à « Appelons-moi Ismahel« , qui est un peu plus élégant tout de même.
Herman Melville (1819-1891) est un romancier, essayiste et poète américain. Il s’engage comme simple marin à 20 ans sur un navire marchand, puis sur le baleinier Acushnet, et déserte pour s’installer aux îles Marquises. Taïpi, son premier livre, et sa suite, Omoo, sont des récits d’aventures inspirés de sa rencontre avec les peuples des îles, et rencontrent le succès. Moby Dick (publié en 1851) sera par contre un échec commercial, et ne sera redécouvert et porté aux nues que dans les années 1920.