Ce livre est plus une étude qu’un roman : si la vie d’un Yakuza nous est contée, le style est journalistique, fait de phrases courtes, et n’a rien de très littéraire. Par contre, l’auteur s’attache à nous expliquer cette vie de yakuza dans le contexte japonais, si différent culturellement du notre, et cela le rend passionnant.
Voilà le genèse de ce livre : l’auteur a mis en rogne un grand chef Yakuza en s’apprêtant à publier « Tokyo Vice » (son premier roman), et doit donc se protéger : il en fait la demande à Saigo, un ancien Yakuza, qui accepte à condition que Jake Adelstein publie ensuite sa propre histoire, afin que son fils, qu’il a peur de ne pas voir grandir, puisse comprendre ce qu’a été sa vie.
Très vite, on mesure l’écart incroyable entre nos deux cultures. L’histoire de ce Yakuza nous en apprend beaucoup sur les rapports sociaux au Japon, et son histoire. On est souvent surpris voir dérouté ; quel monde différent, aux règles très strictes, aux codes étonnants.
Il faut remonter à l’après seconde guerre mondiale : le pays est dévasté, la police inexistante, le Japon est devenu une vaste zone de non-droit. Les émigrés chinois, coréens qui étaient réduits en esclavage pendant la guerre, occupent le terrain de la mafia et prennent leur revanche… Les gangs japonnais ravivent alors les vieilles structures yakuzas ; celles-ci choisissent alors d’intégrer les coréens d’origine japonaise plutôt que de les combattre : la stratégie sera payante. Parfois, c’est même la police qui les soutient !
À l’origine, le business modèle des yakuzas est la protection des commerçants en échange d’argent. Globalement, on ne touche pas aux civils, on reste le plus discret possible. La hiérarchie est très forte, et chaque responsable doit reverser une partie de ses gains au niveau supérieur (système pyramidal).
Souvent très à droite, nationalistes (ce qui s’explique historiquement), ils peuvent avoir comme façade une officine politique ; la police les tolère et s’arrange avec eux, puisqu’ils participent au maintien de l’ordre. Saigo va apprendre à respecter les règles en prison (très dures au Japon), et formatrices pour les yakuzas. Car il y a toute une série de règles à respecter, mais celles-ci le sont de moins en moins avec l’époque moderne, et le système va s’écrouler peu à peu : usage des armes à feu, drogue, seul l’argent compte, avec comme résultat un durcissement des lois petit à petit par les politiques, et une police moins arrangeante… C’est tout un monde qui disparaît pendant la « carrière » de Seigo.
Ce dernier va commencer comme petit voyou, grimpera dans la hiérarchie, malgré une accoutumance à la méthamphétamine (trouvaille d’un biochimiste japonnais). Heureusement, un cadre bienveillant le prendra comme chauffeur personnel et s’assurera qu’il décroche, ce qu’il fera non sans mal. Il saura arrêter à temps quand il sentira que le monde des yakuzas évoluait vers le pire : en arrêtant de payer ses cotisations, il se fait expulser de l’organisation.
L’auteur en profite d’ailleurs pour mentionner les trois pires inventions du Japon : la méth donc, le sirop de maïs à haute teneur en fructose (deux fléaux aux États-Unis ! l’auteur étant américain…). Et enfin… le karaoké ! 😀
Seigo se fera faire un tatouage sur le corps, en utilisant une méthode traditionnelle extrêmement douloureuse, histoire de prouver son courage et sa résistance à la douleur. Il voulait une carpe, des fleurs de cerisiers et un dragon, voilà pour finir ce qu’explique l’auteur sur les deux premiers :
La carpe est l’un des symboles préférés des yakuzas. C’est un poisson masculin. Il nage à contre-courant et peut même remonter des torrents. Lorsqu’on l’attrape, il reste à plat sur la planche à découper, attendant courageusement la mort. C’est le poisson le plus stoïque qui soit. En japonais, carpe se dit « koi », qui est aussi le synonyme d' »amour », ce qui est de bon augure.
Les fleurs de cerisiers sont un symbole de transcendance et, d’une certaine manière, de détachement face à la mort. Ces fleurs ne s’ouvrent que très peu de temps avant de flétrir et de tomber, soufflées par le vent. Elles représentent donc l’idéal du yakuza qui veut vivre à plein régime avant de mourir jeune.
Jake Adelstein, né en 1969, est un journaliste d’investigation américain, qui a consacré l’essentiel de sa carrière à couvrir le trafic d’êtres humains et le crime organisé au Japon. Son premier livre, Tokyo Vice, a poussé Tadamasa Goto à devoir quitter la direction de son organisation criminelle !