Les soldats de Salamine – Javier Cercas

Les soldats de Salamine - Javier Cercas Toujours conseillé par le libraire de Morlaix, voilà un excellent livre, qui a le mérite de parler de la guerre d’Espagne d’une manière tellement originale que les Républicains comme les Franquistes ont sans doute pu y trouver leur compte, et ce n’est pas la moindre des qualités de ce roman.

C’est aussi par le style utilisé par l’auteur, qui dialogue avec le lecteur et lui raconte comment il en en est venu à écrire ce roman, que la première accroche a lieu. L’écriture est limpide, le recul nécessaire et l’humour sont là (quand il parle de lui), et le sujet pourtant difficile parfaitement traité. Enfin, c’est l’occasion de mieux comprendre ce qui s’est passé et comment Franco est arrivé au pouvoir.

L’un des fondateurs de la Phalange, idéologue à la fois poète et écrivain, Rafael Sánchez Mazas, échappe de peu au peloton d’exécution alors que les troupes républicaines sont déjà en déroute, du côté de Barcelone, et s’apprêtent à passer la frontière. L’auteur, ayant entendu cette histoire, va alors se mettre à la recherche de ce soldat républicain qui a pourtant manifestement reconnu le phalangiste…

Voilà comment débute le roman :

C’est à l’été 1994, voilà maintenant plus de six ans, que j’entendis pour la première fois parler de l’exécution de Rafael Sánchez Mazas. Trois choses venaient alors tout juste de m’arriver : la première fut la mort de mon père, la deuxième, le départ de ma femme, la troisième, l’abandon de ma carrière d’écrivain. Mensonge. La vérité, c’est que, de ces trois choses, les deux premières sont on ne peut plus exactes ; contrairement à la troisième. En réalité, ma carrière d’écrivain n’avait jamais véritablement démarré, si bien qu’il m’aurait été difficile de l’abandonner. Il serait plus juste de dire qu’à peine entamée je l’avais abandonnée. En 1989, j’avais publié mon premier roman. Tout comme le recueil de nouvelles paru deux ans auparavant, le livre fut accueilli dans une indifférence notoire, mais ma vanité et le compte rendu élogieux d’un ami de l’époque s’allièrent pour me convaincre que je pouvais devenir romancier et que, pour ce faire, il valait mieux quitter mon travail à la rédaction du journal afin de me consacrer pleinement à l’écriture. Le résultat de ce changement de vie fut cinq ans d’angoisse économique, physique et métaphysique, trois romans inachevés et une épouvantable dépression qui me cloua pendant deux mois dans un fauteuil, devant la télévision. Fatiguée de payer les factures, y compris celle des funérailles de mon père, et de me voir pleurer devant le poste éteint, ma femme me quitta alors que je commençai à peine à reprendre le dessus et, ainsi, je n’eus d’autre remède que d’oublier pour toujours mes ambitions littéraires et de demander ma réintégration au journal. Je venais d’avoir quarante ans mais par bonheur — soit parce que je ne suis pas un bon écrivain, sans être un mauvais journaliste pour autant, soit, plus probablement, parce qu’à la rédaction personne n’était disposé à faire mon travail pour un salaire aussi modique que le mien — on accepta ma demande.

Mais si l’auteur a beaucoup d’humour quand il nous parle de sa vie, il est tout autant sérieux quand il parle de l’Histoire : dans les années 30, l’Europe est en pleine effervescence et l’époque est troublée… Sánchez Mazas prononce des discours, et écrit dans FE, l’hebdomadaire officiel du groupuscule pas encore franchement fasciste mais nettement nationaliste, très catholique et anti-libéral :

Il diffusa des idées et un mode de vie qui, avec le temps et sans que nul pût s’en douter — Sánchez Mazas lui-même moins que quiconque —, seraient adoptés comme idéologie révolutionnaire de choc face aux urgences de la guerre, puis réduits au rang d’ornement idéologique par le grassouillet militaire de pacotille, efféminé, incompétent, roué et conservateur qui les usurpa pour les transformer en apparat de plus en plus putride et vidé de sens, puis les livrer à une poignée de rustres pour qu’ils puissent pendant quarante années de pesanteur justifier son régime de merde.

Et Franco, une fois au pouvoir, fera ce qu’il faut pour le garder le plus longtemps possible :

Depuis le 19 avril 1937 avait été promulgué le décret d’Unification, véritable anti-coup d’Etat (comme l’appela Ridruejo des années plus tard) par lequel toutes les forces politiques qui s’étaient ralliées au soulèvement se voyaient intégrées à un seul et même parti sous le commandement de Généralissime, la vieille garde de la Phalange pouvait commencer à soupçonner que la révolution fasciste dont elle avait rêvé n’allait jamais advenir. De fait, lecoktail expéditif qui lui tenait lieu de doctrine allait finalement se diluer en une soupe pudibonde, prévisible et conservatrice — car s’y mêlaient, en un amalgame brillant, démagogique et improbable, la préservation de certaines valeurs traditionnelles et l’urgence de changements profonds dans la structure économique et sociale du pays, la terreur des classes moyennes face à la révolution prolétarienne et un irrationalisme vitaliste d’origine nietzschéenne qui, contre le « vivere cauto » bourgeois, défendait le « vivere pericoloso » romantique.

Puis l’auteur se lancera à la recherche de ces républicains qui passèrent la frontière française pour se retrouver dans un camp entouré de barbelés sur la plage d’Argelès. Vite engagés dans la légion étrangère, ils repartent pour une autre guerre… De l’Afrique du Nord au Tchad (à pied, aller-retour), puis à Londres et le débarquement en Normandie… avec la colonne Leclerc, ils seront parmi les premiers à entrer dans Paris. Pour enfin finir la guerre en Allemagne et en Autriche.

Et peu importe s’il retrouve ce fameux soldat… Ceux qu’il va croiser lui permettront de finir superbement son roman.

Javier Cercas est né en 1966. Diplômé de philologie, professeur de littérature espagnole, et marqué très tôt par Jorge Luis Borges, c’est ce livre qui le révèlera au grand public. Une adaptation au cinéma a été faite : « Soldados de salamina » par David Trueba.

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