Aventures heureuses – Jean-Christophe Rufin

Je n’avais jamais rien lu de cet auteur, alors quand j’ai vu cette belle édition chez Quarto, classée sous la rubrique « Voyage » chez le libraire, ça m’a forcément donné envie.

JC Rufin, médecin de formation, a été l’un des pionniers de Médecins sans frontières. Il a également eu une carrière dans les ministères et la diplomatie (ambassadeur de France au Sénégal).

La couverture est belle avec cette ancienne carte du monde, le recueil sous-titré « Romans historiques »… Le titre lui-même me faisait penser à La mort en Arabie de Thorkild Hansen, puisque l’on appelait l’actuel Yemen « L’Arabie heureuse » à l’époque des Lumières. Enfin, sur le quatrième de couverture, un extrait de l’avant-propos de l’auteur précise :

À eux quatre, ces romans constituent une sorte de fresque qui, du XVe au XVIIe siècle, développe un même thème, celui de la rencontre des civilisations. Ils restituent autant d’étapes de la dramatique collision de l’Europe avec d’autres peuples, d’autres mémoires et d’autres pensées. Ils forment une longue chronique des malentendus, des occasions manquées, des incompréhensions qui ont abouti à la situation contemporaine.

Pour moi, c’était sûr, j’allais partir dans un récit historique et apprendre plein de choses. Ce ne sera que (très) partiellement vrai, et une déception, ceci dès le premier roman. L’auteur est un adepte du roman d’aventure romanesque, avec des héros solaires auxquels on sait immédiatement que rien ne fâcheux ne peut arriver. C’est bien écrit, et même soigné, parfois un peu trop, très fluide, on tourne les pages et les péripéties qui se suivent sont aussi vite résolues.

Alors certes, la trame générale de chaque roman correspond à des faits qui se sont réellement passés, et qui méritent d’être contés. L’auteur s’est documenté et le contexte est fidèlement rendu, mais le besoin d’y mettre au centre une histoire d’amour et d’en faire la trame principale de l’histoire en retire beaucoup d’intérêt. C’est un avis personnel, apparemment l’auteur a de nombreux lecteurs enthousiastes, a obtenu le prix Goncourt pour Rouge Brésil, et il a comme on dit trouvé son public (ce qui semble important pour lui).

Attention, tout n’est pas négatif loin de là, j’ai surtout été trompé par cet avant-propos de l’auteur, un peu prétentieux je trouve : la coquille est belle, mais elle m’a parue vide. Il s’agit de littérature grand public, et ce n’est pas un hasard. Voilà ce que dit l’auteur :

Je trouve que le mainstream, le fait d’écrire pour un grand nombre, est quelque chose de respectable. C’est aussi une transgression sans doute peut-être. En France en tout cas, le mainstream est un peu mal vu. Or, je crois qu’on peut être exigeant, on peut essayer d’écrire le mieux possible et d’exprimer les choses le plus profondément possible tout en les rendant accessibles à un grand nombre. Je n’ai pas la coquetterie de me dire que moins je suis lu, meilleur c’est, ou autre. Cela ne veut pas dire non plus qu’être très lu veut dire que c’est très bon. Ce n’est pas aussi simple. C’est, à mon sens, un défi considérable de pouvoir être lu par beaucoup en essayant de conserver cette qualité, enfin, une qualité en tout cas.

Je respecte, mais je trouve que c’est au détriment du fond.

Petite déception aussi donc pour cette édition Quarto, qui m’avait habitué à plus de qualité. Chaque roman est suivi d’une partie « Accueil de la presse et réception de l’œuvre ». On y trouve beaucoup d’éloges, l’un des articles compare même JC Rufin à Joseph Conrad !! Je peux vous assurer qu’on en est très loin, autant par la forme que par le fond. Quant aux préfaces de chaque roman, je les ai trouvé sans grand intérêt, et toujours promptes à dévoiler l’intrigue du roman que l’on s’apprête à lire. Par contre, les autres textes de l’auteur qui suivent les romans sont intéressants, tout comme les entretiens et conférences qui viennent ensuite, ainsi que les repères biographiques qui retracent l’itinéraire tout de même remarquable de J.-C. Rufin.

Voyons tout de même un peu de quoi chaque histoire retourne, notamment le fait historique choisi :

L’Abyssin : L’histoire qui sert de prétexte au roman est celle d’un médecin/apothicaire français vivant au Caire (un certain Poncet), et envoyé par le consul de France en Abyssinie soigner le Roi (le négus), sous le règne de Louis XIV. Hélas, en lisant ce premier roman, on est plus proche d’Angélique Marquise des Anges que d’un roman historique et de la rencontre des civilisations ! 😳 D’où la déception par rapport à mes attentes. Les péripéties et leur dénouement sont cousues de fil blanc, et l’issue ne fait aucun doute.

Le héros est médecin (enfin apothicaire) et soigne, mais de manière surprenante (vu la profession de l’auteur) rien n’est dit sur les maux dont souffrent ses patients. Un onguent, un remède, et voilà l’affaire est dite. Ce n’est qu’en lisant les interviews de l’auteur par la suite que j’ai compris que c’est ainsi que se pratiquait la médecine à cette époque (et jusqu’à la fin du XIXe siècle d’ailleurs !).

Rouge Brésil : meilleure histoire, plus incertaine quant à son développement, on suit donc ces aventures avec intérêt, d’autant que l’essentiel est basé sur une réalité historique surprenante : la France antarctique de Villegagnon, qui s’installa dans la baie de Rio de Janeiro, y construisit un fort, avec l’espoir d’y fonder une colonie. Le projet échouera, les Portugais ne partageant pas ce point de vue ! De plus, la colonie française se déchire entre catholiques et protestants, sujet traité en détail par l’auteur, l’occasion de voir les calvinistes à l’œuvre, et leur extrémisme religieux.

Si dans la réalité le fort de Coligny fut bel et bien détruit par les Portugais, dans le roman il en sera tout autrement, le besoin romanesque d’un « happy end » devant être à la hauteur de Just et Colombe, les deux héros de l’histoire. La réalité dépasse quand même la fiction, puisque des enfants étaient bel et bien embarqués sur les bateaux lors de la colonisation de l’Afrique et de l’Amérique, pour servir de truchements, car supposés apprendre plus facilement la langue des indigènes pour permettre ensuite de communiquer avec eux.

Grand Cœur : on franchit encore un palier avec ce roman, et je me suis dit alors que l’auteur progressait à chaque nouveau récit. C’est l’histoire de Jacques Cœur, argentier du roi Charles VII, qui va ouvrir des relations commerciales avec les pays du Levant. Tout à la fois négociant, banquier, armateur, il va s’élever très haut jusqu’à se brûler les ailes. Là encore l’histoire est vraie dans ses grands traits, et romancée avec l’histoire d’amour (platonique) entre Jacques Cœur et Agnès Sorel la maîtresse du Roi, mais sans prendre trop de place cette fois.

Ce récit, raconté à la première personne prend tout de suite plus d’intérêt, d’une part par l’histoire passionnante de son ascension et l’introspection qu’elle permet. La narration est aussi parfaitement maîtrisée, qui commence quand Jacques Cœur, poursuivi, se cache sur une île grecque et écrit ses mémoires car sentant sa fin proche. Le portrait du roi Charles VII est assez saisissant et le danger à le fréquenter parfaitement rendu… C’est aussi l’époque où le royaume de France s’établit pour de bon, après que Jeanne d’Arc ait « bouté les anglais hors de France » !

Le meilleur roman de cette série à mon avis, et de loin !

Le Tour du monde du roi Zibeline : On repart pour une grande épopée à priori passionnante avec un tour du monde à l’époque de Louis XV… L’histoire d’un aventurier né en europe centrale, fait prisonnier au Kamchatka, et qui deviendra « roi de Madagascar »

Mais l’auteur retombe vite dans son travers semble-t-il préféré : l’histoire d’amour indéfectible qui rend les héros invincibles (enfin pas cette fois…), mais qui rendent les péripéties qui émaillent le récit bien ternes et sans intérêt. Stevanov le traître en est le bon exemple, à chaque fois une nouvelle chance lui est laissé, à chaque fois il trahit, et à chaque fois le héros s’en sort indemne. Lassant. Le voyage d’Alaska à Lorient occupe bien peu de place et pourtant…

Malgré un bon début, je suis largement resté sur ma faim tout au long de l’histoire. Là encore, le cadre est parfait : histoire vraie et incroyable, véracité du contexte historique, tout semble réuni, et pourtant ça coince : on se concentre sur les anecdotes, on fait de belles phrases, on tourne les pages… L’ensemble est largement remanié et romancé, et finalement, on n’y croit pas une seconde !

Jean-Christophe Rufin, né en 1952, est un médecin, écrivain et diplomate français. Il est aussi membre de l’Académie Française.

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