Ils vont tuer Robert Kennedy – Marc Dugain

Je ne connaissais pas cet auteur français, mais le titre m’a donné envie de lire ce roman. On parle souvent de l’assassinat de JFK, beaucoup moins de celui de son frère…

L’auteur va mêler la grande histoire à la petite, le roman a la réalité, ce qui présente des avantages et des inconvénients : cela permet d’élaborer la thèse du complot, de valider les fortes probabilités, de relier des pointillés et de tracer une ligne claire sur les événements et leurs auteurs, et ce pour les deux frères. L’ensemble est manifestement très documenté.

L’inconvénient est que l’on ne sait pas où s’arrête la réalité fût-elle probable et où commence la fiction. Car l’histoire est la suivante : un professeur prépare une thèse sur la mort de RFK, étant persuadé que la mort de ses parents est liée à celle-ci.

La mort des parents du narrateur est évidemment l’élément fictionnel, mais est plutôt bien intégrée au récit, permettant d’aérer le côté historique plutôt dense … Par contre l’épilogue final, qui remet tout en question, m’a beaucoup déçu. L’auteur se tire lui-même une balle dans le pied je trouve, décrédibilisant tout le reste.

Coïncidence : la préface du roman que j’ai commencé après celui-ci cite Mario Vargas Llosa (écrivain péruvien, candidat malheureux à l’élection présidentielle de son pays), qui disait :

En mentant, les romans traduisent une curieuse vérité, qui ne peut s’exprimer que sous le masque et le manteau, déguisée en ce qu’elle n’est pas.

C’est bien le cas ici, et c’est passionnant.

Le style est donc serré mais reste agréable pour raconter l’assassinat de JFK, et les implications probables : CIA, J. E. Hoover, la mafia, les anti-castristes, et même George Bush père, sans oublier les militaires, le vice-président Johnson. Bref, il dérangeait manifestement beaucoup de monde, et c’est assez clairement expliqué… Sa personnalité est également décrite : son addiction au sexe nécessitant le recours à des professionnelles, mais aussi la maladie d’Addison dont il souffre.

La personnalité de Bob, moins connue, n’en est que plus intéressante à découvrir : très lié à son frère, et pourtant tellement différent. Beaucoup moins charismatique, presque introverti, père de onze enfants… Il n’en est peut-être pas moins la première cible des tueurs, car c’est lui qui est le plus dangereux à la tête de la justice (procureur général), ne respectant pas le « deal » du père, Joe, avec la mafia, pour faire élire Jack.

La mort de son frère va l’obliger à une profonde remise en question, et il finit par se présenter (et être élu) au poste de sénateur. Puis il postule à l’investiture du Parti démocrate, même s’il est conscient des risques d’avoir la même fin que son frère. Il prend le parti des minorités noires et mexicaines, et promet l’arrêt de la guerre du Vietnam. Il sera abattu le soir même de sa victoire à la primaire de Californie.

Le tableau des États-Unis qui se profile en arrière plan est terrible : gangrené par la mafia, l’industrie militaire qui réclame son conflit quand le stock d’armes monte, les politiques corrompus et/ou incapables, et les pauvres laissés pour compte coupables de n’avoir pas réussi au pays de la réussite…

Voici deux extraits, en commençant par la thèse du narrateur et son rapport à la fiction et la réalité :

Votre manuscrit n’a rien d’une thèse, c’est un point de vue. Tel quel, ils vous le refuseront.
Cet avertissement dispensé par Madsen à la lecture des premières pages de mon travail, quelques jours avant sa disparition, n’a rien changé à ma façon de procéder entre enquête journalistique et construction littéraire. Le mensonge impose d’être démonté, et de nombreuses années sont nécessaires pour y parvenir. C’est là-dessus que s’appuient les falsificateurs, convaincus que le temps joue en leur faveur. Une vérité n’a pas la même force selon sa place dans la chronologie. L’évidence d’un complot fomenté pour tuer JFK aurait explosé à la face du monde le lendemain de sa mort, les conséquences en auraient été différentes. Cinquante ans après, des milliers de chercheurs travaillent de bonne foi à exhumer le moindre indice prouvant qu’Oswald ne pouvait pas être le tueur, et l’aurait-il été, il n’aurait pas pu l’être seul. Pour avouer la réalité de cette conspiration, il faudra que les derniers acteurs, comme George Bush père, aient rejoint l’autre monde, celui où il est plus facile d’entrer que de sortir.

Ceci dit, j’ai vu qu’un film comme « Killing Kennedy », sorti en 2014, expose la thèse du tueur solitaire ! On peut se demander à quels fins ce genre de film est réalisé : les thèses révisionnistes ?

Et voilà ce qu’il dit à propos du mouvement » Hip » des années 70 :

Alors que l’idéologie libérale, car il s’agissait bien d’une idéologie sous nos latitudes, s’affrontait avec l’idéologie communiste au Vietnam, une troisième voie se dessinait, floue, dont les fondements étaient surtout de refuser les deux autres, deux cadres matérialistes qui avaient en commun de concentrer les pouvoirs entre les mains de minorités tyranniques. Certes la société libérale nous permettait de faire notre petite révolution sur nous-mêmes pendant que les cocos brimaient leur jeunesse, mais on peut aussi expliquer cette tolérance par la promesse de nouveaux marchés. La contre-culture a compris très vite que ce mouvement, miné par la drogue et les bonnes intentions, qui vendait de l’amour à crédit, allait se fracasser sur la réalité, celle d’un monde poussé par la force irrésistible de l’appropriation. La dimension spirituelle de notre mouvement était était empruntée à la brocante de l’esprit amérindien, à des philosophies d’Extrême-Orient qui, à l’usage, n’avaient pas de meilleur effet sur les instincts primaires des individus. De cette pause de quelques années dans la course à l’accumulation et à la prédation, il restera, pour ceux qui ont survécu au voyage psychédélique, une impressionnante créativité musicale, cinématographique et, surtout, une libération sans précédent de la condition féminine.
Le mouvement de la contre-culture n’a vraiment pris son envol que lorsque l’assassinat de Robert Kennedy a sonné le glas d’un changement politique en juin 1968. Mais j’ai le souvenir d’une vague montante qui portait en elle les stigmates de son désespoir. Sa traduction politique était déjà morte avant sa propre éclosion, et nous le savions. Nous le portions en nous, et l’enfoncement progressif dans la drogue en a été la confirmation la plus flagrante. L’overdose a fait autant de morts dans nos rangs que le napalm dans les rizières du Vietnam.
Découvrir l’autre sexe pendant ces années-là était une bénédiction. L’avortement, la contraception avaient rendu aux femmes leur corps et, par un effet de générosité, je me souviens avec quelle grâce elles nous en ont fait profiter. Le sexe ne conduisait plus systématiquement à donner la vie et pas encore à donner la mort comme une quinzaine d’années plus tard quand le sida rédempteur ferait son apparition. L’amour libre et le retour aux fondements du christianisme se mélangeaient dans un mouvement en recherche d’harmonie. Nous avons conquis notre liberté mais nous n’avons pas su quoi en faire.


Bon, le « sida rédempteur », je ne trouve pas cela très heureux, et le nombre de morts par le naplam comparés à ceux par le sida, j’ai comme un doute…

Marc Dugain, né en 1957 au Sénégal, est un romancier et réalisateur français. Sur le même sujet, il est l’auteur de « La malédiction d’Edgar » (roman biographique), qu’il a lui-même porté à l’écran quelques années plus tard (documentaire).

Une réflexion sur « Ils vont tuer Robert Kennedy – Marc Dugain »

  1. Depuis, j’ai vu le film Bobby, de Emilio Estevez (2007). J’ai bien aimé, il retrace bien l’époque et cette dernière journée à l’Ambassador Hotel. On a l’impression que c’est l’histoire vu par le petit bout de la lorgnette, mais au final l’atmosphère est là quand Bob Kennedy arrive… En plus, le réalisateur s’est attaché à ne le faire apparaître qu’à travers des images d’archives, mêlées adroitement avec les images du film. J’étais ému à la fin quand il se fait descendre, quel gâchis pour l’Amérique !

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