Attention à la marche ! – Mariel Primois Bizot

J’ai offert ce livre à un ami qui s’était investi dans le mouvement En Marche pendant la campagne présidentielle, et qui en est depuis revenu, vite ramené à la réalité par les jeux de pouvoirs inhérents à ce monde. Je lui ai ensuite emprunté le bouquin… 😉

Sous la forme d’un journal, c’est donc Mariel Primois Bizot, la femme de Jean-François Bizot (fondateur de Radio Nova et de la revue Actuel) qui nous raconte son aventure avec le mouvement En Marche, où elle s’inscrit très rapidement, espérant elle aussi y trouver une nouvelle manière de faire de la politique.

Bénévole, elle va donc vivre l’aventure de l’intérieur du QG, triant le courrier, répondant au standard téléphonique, etc… C’est tout cela qu’elle va nous raconter, à sa manière ; dès le début, une petite référence à Hunter S. Thompson (dont je suis fan) donne le style : ce sera du journalisme « gonzo », au cœur de l’action comme il se doit.

Dans son « journal », elle s’adresse souvent à JFB, imaginant ce qu’il aurait dit ou fait, se rappelant les années Actuel, mai 68… Il en ressort vite une certaine nostalgie, à comparer ces deux époques qui n’ont finalement pas grand chose à voir l’une avec l’autre.

Dans la deuxième moitié du bouquin, mon intérêt a sérieusement baissé, l’auteur cherchant trop (à mon goût) à théoriser le mouvement en faisant moult références à des penseurs ou des écrivains (Hannah Arendt, Deleuze, Vaneigem, Marx, Galeano, Wright, Devecchio, etc…) et évoquant leur concepts (utopies réalistes ou réelles, concept de post-vérité, être générique, etc…). C’est parfois abscons, et sinon a peu d’intérêt je trouve, si ce n’est celui de vouloir montrer sa culture, en bon intellectuelle parisienne !

On en apprend tout de même un peu sur le fonctionnement interne, très opaque finalement, le mouvement En Marche semblant n’être là que pour les apparences. Il y a aussi quelques références qui m’ont bien plu, comme celles au journalisme « gonzo » et aux Diggers de San Francisco.

Mais revenons à En Marche, vu de l’intérieur : très vite, elle se rend compte que tout vient d’en haut ; si on demande bien l’avis de la base, c’est manifestement plus pour les apparences qu’autre chose. Tout semble très verrouillé, et demander à lire le rapport que fait le responsable de la section après un débat n’est pas bien vu. Même chose lorsqu’on leur demande leur avis pour le débat du second tour avec Marine Le Pen : Marie s’interroge sur l’intérêt d’un tel débat, vu que Macron est entouré des meilleurs experts pour le préparer. À quoi cela sert-il alors ?

D’ailleurs, en parlant d’experts, où sont les fameux 500 experts qui ont soi-disant participé l’élaboration du programme à partir de la consultation des français ? Elle interroge  Marie-Laurence, une convaincue des premiers jours :

Je repose ma question :
– Toi qui sait tout, pourquoi n’avons-nous pas du tout communiqué sur les cinq cents experts ? Pourquoi ne pas avoir donné certains de leurs noms pour asseoir la crédibilité du programme ?
– Parce que en fait, il ne s’agissait que de quelques personnes qui sont venues jeter un coup d’œil sur les informations récoltées, c’était bien avant les comités, tout ça. Il fallait bien avancer.
– Mais alors, les comités n’ont pas servi à la construction du programme ?
– Penses-tu ! C’était bien trop compliqué, les choses étaient déjà décidées.
– D’accord, mais aujourd’hui, qui analyse leurs comptes rendus lorsqu’ils remontent ici ? Il n’y a pas beaucoup de monde pour ça.
– L’idée est de garder le contact, de faire bouger les gens, de les mobiliser, c’est tout. Tu le sais bien, toi qui a travaillé au phoning…

Le mot qui vient pour résumer tout ça, c’est opacité ! Qui est vraiment Macron ? comment le programme a été mis en place ? d’où vient-il ? aucune réponse n’est apportée, et les militants d’En Marche n’en savent guère plus. Pour la plupart, ils sont satisfait de participer à ce mouvement qui bouscule l’ancien monde politique, et pour quelques uns, l’opportunité d’une carrière offre un avenir radieux. Nous n’en apprendrons pas beaucoup plus, et c’est un peu la déception de ce livre : j’espérais en apprendre plus, avec un tel « insider »… Où est passée la journaliste gonzo ?

Le lendemain de l’élection, l’auteur se demande même si Macron ne serait pas « gonzo » en incarnant de la sorte la fonction présidentielle :

C’est lui, le président gonzo, qui se retrouve à la tête du pays et des armées en ayant choisi de le vivre pleinement, comme Hunter S. Thompson vivait pleinement ses enquêtes ! Il est plus vrai que nature, comme on dit. En bon gonzo, il met en scène cette présidence sans la faire basculer dans l’interprétation. Il n’est pas dans le fake, c’est juste le contraire. […] Je dirai même que Macron a passé le mur du son du super-gonzo — the edge —, puisqu’il se tient aussi bien en amont qu’en aval, derrière que devant, et même au-dessus des situations. Je m’explique : il prévoit, calcule, pronostique, actualise, met en scène, puis défonce la baraque en prenant l’option de vivre à fond le trip hyper fort de se retrouver, à moins de quarante ans, à la tête de la cinquième puissance mondiale — avec assurance et détermination. Bref, il incarne tout ça dans la plus réelle des réalités.

J’ai tout de même retenu deux ou trois références qui m’ont plu. D’abord, qu’est-ce que c’est d’être de gauche ou de droite selon Deleuze :

Ne pas être de gauche c’est quoi ? Ne pas être de gauche, c’est un peu comme une adresse postale, partir de soi, la rue, la ville, le pays, les autres pays de plus en plus loin. On commence par soi et, dans la mesure où on est privilégié dans un pays riche, on se dit : Comment faire pour que la situation dure ? On sent bien qu’il y a des dangers, que ça ne va pas durer tout ça, que c’est trop dément… Comment faire pour que ça dure? On se dit, oh là là, les Chinois… d’accord ils sont loin, mais comment je fais pour que l’Europe dure encore, etc. Être de gauche, c’est l’inverse, c’est percevoir […] d’abord le pourtour, le monde, le continent, l’Europe, la France, etc., la ville, la rue, moi. C’est un phénomène de perception, on perçoit d’abord l’horizon. Ce n’est pas par générosité […], tu vois d’abord l’horizon et tu sais que ça ne peut pas durer, c’est pas possible, que ces milliards de gens qui crèvent de faim… Non… Ça peut durer encore cent ans, non mais… Faut pas charrier, cette injustice absolue, c’est pas dans la morale, c’est dans la perception même. Donc, si on commence par le bout, c’est ça être de gauche […], c’est d’une certaine manière appeler de ses vœux, considérer que ce sont là les problèmes à régler […], être de gauche, c’est savoir que les problèmes du tiers-monde sont plus proches de nous que les problèmes de notre quartier. C’est vraiment une question de perception.

À propos du journalisme gonzo, elle le présente ainsi :

Évidemment, si tu n’as ni lu Hunter S. Thompson, ni vu l’adaptation cinématographique de son roman le plus fameux, Las Vegas Parano, réalisée par Brian DePalma, ça risque d’être compliqué, mais je vais essayer quand même. Thompson est le journaliste excentrique américain des années 1960-1970, qui popularisa le principe du « journalisme gonzo ». À cheval entre le journalisme et la littérature, le gonzo signifie que l’auteur a plongé corps et âme sans son sujet, l’incarnant pleinement pour pouvoir le relater. En France, Joseph Kessel et Albert Londres ont été des précurseurs, et plus tard Actuel en a beaucoup usé. Eux ont plutôt appelé ça, comme Tom Wolfe, « nouveau journalisme ». Pour être plus précise, à Actuel, ils préféraient parler de « gratter un J’ai fait« . Par exemple : J’ai passé trois mois dans la peau d’un noir, ou J’ai été maître d’hôtel chez les rupins ou J’ai fait du strip-tease à Kanzas City.
Pour être un bon journaliste gonzo, il faut être attiré avec audace par des expériences émotionnellement fortes, les vivre soi-même avant de les écrire et de les raconter à la première personne. Cela veut dire aussi, ne pas prétendre couvrir l’ensemble du sujet, mais oser une approche subjective pleinement assumée, et en même temps — c’est là que c’est fort —, se situer non pas dans la fiction, mais au contraire, dans l’hyper-réalité.

Bon, la référence à « Las Vegas Parano » pour HST, ce n’est pas vraiment pertinent, il a écrit beaucoup plus « gonzo » que ça ! Son suivi de la campagne de Nixon en 1972 aurait été beaucoup plus pertinent. Paru initialement sous le nom « La grande chasse au requin« , on le  trouve aux éditions Tristram en deux volumes : Dernier tango à Las Vegas et Parano dans le bunker.

Et pour finir, cette explication des origines des Diggers (elle parle à JFB) :

Cent fois et dans des dizaines d’articles, à Actuel et ailleurs, tu as remis l’ouvrage sur le métier, rabâchant ce qu’avaient été les origines du mouvement hippie et des premiers freaks. Ce n’était pas le boulevard de clichés du peace and love — faites l’amour tout nus dans les parcs, bonjour les pétards et salut l’écroulette —, mais une vraie révolte contre l’oppression, le racisme et la guerre. Comme celle des Diggers de San Francisco, inconnus des jeunes générations d’aujourd’hui (qui les confondraient avec les Bronzés), alors que la carte de visite des Diggers était l’anonymat et la redistribution gratuite de un pour cent de la marchandise, bien avant la taxe Tobin. Et ils l’ont fait !
Qui connaît aujourd’hui le début de cette histoire ? Ça remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand avait éclaté le corset puritain de l’Amérique des pionniers. Une fois démobilisés, les GI’s avaient touché des pensions et des bourses et en avaient profité pour voyager. Pour regarder ailleurs. Certains étaient tombés amoureux de taxi-girls asiatiques, d’autres sont devenu existentialistes au Quartier latin et d’autres encore ont rencontré les nobles sauvages des îles du Pacifique ou la pensée zen du Japon. À leur retour, certains de ces anciens combattants devenus poètes ont été les premiers beatnicks, nourris de Sartre, Artaud, Breton et Camus, ou de Suzuki, Lao Tseu et Sri Aurobindo.
Mais Billie Holiday meurt junkie et Alen Ginsberg le crie dans Howl, le plus grand poème du siècle. Il faut se secouer et s’entraider !
Les Diggers se forment en caring gangs, des bandes amoureuses, forgées par les affinités, les trips vécus en commun, la curiosité, la faim de tout, la volonté de changer quitte à tout perdre, sauf le moral. Ils ont leur jargon beat-jazz et se comprennent à demi-mot. Fin 1966, ils savent ce qu’ils veulent et commencent par un happening sur la mort de l’argent et le début du free. Ils ouvriront ensuite des free clinics, des free markets et des écoles parallèles. Le gratuit et la liberté.

Si vous voulez en savoir plus sur les Diggers, je vous recommande fortement la lecture de l’extraordinaire Ringolevio, d’Hemmet Grogan, le leader anonyme des Diggers, à la vie incroyable. Et bien sûr Acid Test, de Tom Wolfe, plus fun, qui raconte leur folle aventure à travers les États-Unis.

Mariel Primois, née en 1962, est une directrice artistique française. Elle a participé au graphisme de nombreux magazines (Globe, VSD, puis Nova Magazine), et participera à de nombreuses publications liées à Actuel.

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