Hell’s Angels – Hunter S. Thompson

J’avais déjà lu ce bouquin de Hunter S. Thompson il y a une dizaine d’années (en fait, j’ai même dû découvrir HST par celui-ci), mais ne le voyant plus dans ma bibliothèque, et ayant lu à peu près toute l’œuvre de HST maintenant (au moins ce que l’on trouve en français), je l’ai racheté et relu dans la foulée.

J’avais de très bons souvenirs de ce récit, pur journalisme Gonzo, où l’écrivain s’incruste dans la bande des Hell’s Angels pour écrire un papier sur eux « de l’intérieur », avec leur accord bien sûr… et avec les risques que cela comporte, puisque cela se finira par un passage à tabac, les bikers le soupçonnant de vouloir se faire du fric sur leur dos.

J’avoue qu’à la relecture, cela ne m’a pas paru aussi bon, sans doute parce que c’est son premier livre. Pendant tout le long, HST est beaucoup sur un style usant beaucoup de suppositions (la situation aurait pu dégénérer, et alors il se serait passé ceci ou cela…), forçant régulièrement le trait, ce qui est vite lassant. D’autres passages sont assez répétitifs, sur le thème « qui sont vraiment les Hell’s Angels » : en fait des types pas très futés, des « perdants », fanas de mécanique, et qui font peur aux braves gens, mais pas si méchants que ça.

Il y a aussi de bons passages sur la société américaine de cette époque, les rapports entre la police et la population qui est en en train de changer, avec par exemple les émeutes du ghetto de Watts, ou encore sur le LSD (voir plus bas).

Mais bon, l’analyse de HST est tout de même percutante (comme souvent) : ce sont les médias californiens qui ont d’abord monté en épingle un fait divers minable (une rumeur de viol de deux jeunes filles, qui n’a jamais eu lieu) et qui ont initié la légende des Hell’s Angels afin de vendre du papier et d’éveiller la peur des concitoyens. La presse nationale s’en empare alors, augmentant le nombre de Hell’s Angels, leurs nuisances (des hordes barbares déboulant pour mettre telle ville à feu et à sang), exagérant le danger pour la brave société américaine, etc…

La renommée de cette petite bande de motards sans envergure, plutôt sur le déclin qu’autre chose, devient alors nationale ; ils sont sans rien avoir demandé devenu le symbole de la révolte contre cette société formatée, les idoles des étudiants de Berkeley (dont ils casseront la gueule plus tard lors de manifs, car ce sont quand même des types plutôt racistes et violents à la base).

On y apprend aussi que c’est grâce à HST que les Angels ont rencontré Ken Kesey (l’auteur du chez-d’œuvre Et quelques fois j’ai comme une grande idée, car il n’a pas écrit que Vol au-dessus d’un nid de coucous !). La fête à La Honda dont il parle est d’ailleurs racontée dans le génial Acid Test de Tom Wolfe, autre adepte du journalisme Gonzo (qu’il appelait le nouveau journalisme) : Wolfe s’était attelé à suivre Ken Kesey et ses Merry Pranksters, qui s’éclataient au LSD (pas encore interdit à l’époque) dans un périple à travers l’Amérique.

Bref, voilà ce que raconte Hunter S. Thompson sur Ken Kesey :

Finalement, je n’ai réussi à les brancher que sur une seule personne, Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucous, installé à l’époque dans les bois de La Honda, au sud de Frisco. En 1965 et 1966, Kesey fut arrêté deux fois pour détention de marijuana, et finalement dut quitter le pays pour ne pas se faire coffrer. Même si les forces de l’ordre ne voyaient pas d’un bon œil le rapprochement qu’il opérait avec les Angels, Kesey n’en fît néanmoins qu’à sa tête.
J’avais retrouvé Kesey un après-midi d’août dans les studios d’une station télé de Frisco ; après avoir sifflé quelques bières avec lui, je lui ai annoncé que je devais passer déposer un disque brésilien pour Frenchy, à la Boîte de Vitesses. Il m’accompagna et, sitôt arrivé, fit grosse impression sur les Angels, encore au boulot. Après plusieurs heures passées à picoler, bâfrer et partager le joint symbolique, Kesey invita toute la section de Frisco à la fête qu’il donnait le samedi suivant à La Honda, où il partageait trois hectares de terrain un peu en retrait de l’autoroute avec sa bande, les Merry Pranksters, et où régnait vingt-quatre heures sur vingt-quatre une ambiance délirante.
Par un heureux hasard, neuf des Merry Pranksters, accusés de détention de marijuana, furent acquittés le vendredi, et les journaux du samedi ne manquèrent pas de signaler la triste nouvelle au moment même où Kesey postait à l’entrée de sa propriété une pancarte de cinq mètres de long et deux mètres de haut, proclamant en lettres rouges et bleues : « Bienvenue aux Hell’s Angels chez les Merry Pranksters ». Quoique partant d’un bon sentiment, la nouvelle consterna plutôt le voisinage. Et quand je suis arrivé chez Kesey, en début d’après-midi, il y avait cinq voitures de patrouille garées sur l’autoroute surveillant, impuissantes, la dizaine d’Angels déjà arrivés, et hors d’atteinte, dans la propriété, tout en attendant de pied ferme la vingtaine encore en route.

HST explique ensuite que les Angels prirent goût au LSD à cette occasion, et ne manifestaient aucun signe de violence, tout au contraire ! Ils étaient beaucoup moins dangereux et agressifs qu’avec l’alcool…

Un bon bouquin donc, pour démystifier qui sont vraiment les Hell’s Angels, et comment leur légende est née dans les années 60, époque charnière aux États-Unis.

Autres articles sur le blog à propos de Hunter S. Thompson :

Hunter S. Thompson (1937-2005) était un journaliste et un écrivain américain de tempérament rebelle, fêtard et provocateur. Il inventa le principe du journalisme gonzo, méthode d’investigation basé sur l’immersion dans un milieu, n’hésitant pas à prendre drogues et alcools quand il le faut, écrivant le récit à la première personne sans chercher une pseudo objectivité. Il se donnera la mort le 20 février 2005, à son domicile d’Aspen (Colorado).

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