Le dernier jour d’Yitzhak Rabin – Amos Gitaï

Le dernier jour d'Yitzhak Rabin - Amos Gitaï Ce film retrace l’enquête qui suivit l’assassinat de Yitzhak Rabin par Yigal Amir, un étudiant juif religieux d’extrême droite, en 1995, mettant ainsi fin à l’espoir d’une paix possible entre Israël et la Palestine (les accords d’Oslo).

Mêlant les images d’archives et une reconstitution des interrogatoires réalisés par la commission d’enquête, le film est proche du documentaire. Il ne tire pour autant pas de conclusions sur les potentiels instigateurs de l’attentat, la commission d’enquête se limitant (sur ordre) à savoir s’il y a eu des négligences du service de sécurité. Au spectateur de se faire sa propre idée pour le reste…

Il semble bien que des rabins extrémistes aient prononcé un « Din Rodef » (un équivalent de la Fatwa des musulmans) contre Yitzhak Rabin au nom du « Grand Israël » que les accords d’Oslo remettaient en cause en accordant aux Palestiniens le contrôle de certaines parties du territoire. Dans une scène, on voit que ces extrémistes religieux ne reconnaissent pas vraiment l’autorité du gouvernement de la démocratie israélienne. Ils se placent au-dessus, et seuls les textes sacrés comptent.

La scène avec la psychiatre qui livre aux religieux son analyse « professionnelle » en qualifiant Rabin de schizoïde, et comme tel incapable de percevoir la réalité et donc de prendre les bonnes décisions est assez révélatrice du mélange des genres permettant toutes les justifications.

Le rôle du Likoud (parti politique sioniste israélien de tendance nationaliste), et de son leader Benyamin Netanyahou (actuel premier ministre) n’est pas non plus à négliger, car il appelait à la division avec un discours de haine et de violence. On voit bien à l’heure actuelle la politique qu’il applique, et l’absence de progrès d’un quelconque processus de paix.

S’il y a bien eu des lacunes du service de sécurité, rien ne permet de dire qu’ils aient été volontaires. La zone où Yitzhak Rabin a été abattu n’avait pas été « stérilisée » comme cela aurait du être le cas, et le chauffeur n’avait pas été informé du parcours d’urgence à utiliser pour sortir, perdant ainsi un temps précieux pour emmener Yitzhak Rabin à l’hôpital (8 minutes pour faire 500 mètres à cause des rues bloquées par la police).

J’ai trouvé ce film passionnant, et s’il dure 2h30, je ne les ai pas vraiment vu passer. La clef de toute cette histoire, ce sont les extrémistes religieux, minoritaires mais voulant décider pour tout le peuple. Mais qui sera vraiment surpris ? La question sous-jacente, c’est de savoir si Israël est vraiment une démocratie (la seule de la région).

Amos Gitaï est un cinéaste israélien né en 1950 à Haïfa. Il entame en 1968 des études d’architecture qu’il doit interrompre en 1973 pour aller servir sous les drapeaux lors de la guerre du Kippour, où il sera blessé. Cinéaste prolifique, il devra s’exiler en France entre 1983 et 1993 suite à son film « Journal de campagne » retraçant l’invasion du Liban en 1982.

La folie Almayer – Joseph Conrad

La folie Almayer - Joseph Conrad Retour à Joseph Conrad, avec son premier roman, celui qui le consacra comme écrivain… auprès des connaisseurs et des critiques essentiellement ! Car lors de sa sortie, le livre se vendît peu auprès du public, et encore aujourd’hui, ne fait pas partie de ses œuvres majeures.

Pourtant Conrad a pris le temps de peaufiner son premier récit : commencé en 1889, et à cette époque encore officier de marine, il va trimballer le manuscrit par delà les mers, et risquer de le perdre plusieurs fois. Le roman est finalement publié en 1895, et si Conrad n’en reçoit que très peu d’argent, il sait désormais qu’il deviendra un écrivain, et consacrera les trente années qu’il lui reste à vivre à écrire.

Le thème choisi par Conrad est celui de la déchéance d’un Européen en Indonésie. Quand le roman commence (mais la narration n’est pas chronologique, Conrad fait de fréquents aller-retour dans le passé, un style qu’il emploiera souvent dans ses romans), Kaspar Almayer fait le point sur sa vie en attendant désespérément le retour du capitaine Tom Lingard, assis sur sa véranda auprès d’entrepôts pourrissants au bord d’un fleuve, dans la jungle de Bornéo.

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Ixcanul – Jayro Bustamante

Ixcanul - Jayro Bustamante Encore un très bon film, V.O. en langue Maya (ce qui doit être assez rare), ce qui se révélera être la clef du film lors de l’épilogue que je n’ai pas vu venir et qui m’a laissé coi !…

Maria, une jeune fille de 17 ans, vit avec ses parents au pied d’un volcan au Guatemala. Ils sont pauvres, et vivent de la récolte du café, travaillant pour le compte de propriétaires terriens. Maria est promise au fils du propriétaire, qui vient de perdre sa femme, mais elle rêve d’échapper à son destin en s’enfuyant avec Pepe, un jeune travailleur qui compte partir aux États-Unis, pays de toutes les promesses d’une vie meilleure (« c’est là, derrière le volcan, il y a juste le Mexique à traverser »).

Mais Pepe veut que Maria « soit gentille » avant de lui promettre quoi que ce soit. Un soir, Maria vient le retrouver avec une bouteille d’alcool (ce même alcool blanc que, dans la scène assez drôle d’ouverture, on voit la mère faire boire à un verrat trop peu enclin à faire son office !). Maria va s’offrir à Pepe, et se retrouver enceinte…

La suite, je vous laisse la découvrir… La mère de Maria, une femme forte et courageuse, va la défendre et lutter pour sa fille (l’actrice et le rôle sont magnifiques). Ces familles vivent encore sous  le poids des superstitions, mâtiné de religion chrétienne, et totalement dépendants des propriétaires, car ne parlant pas l’espagnol, la langue officielle (et encore moins l’anglais). C’est donc le fils du propriétaire qui fera office d’interprète auprès des autorités, et bien sûr, il en usera à son profit.

Un film fort, avec des paysages somptueux, et qui traite du problème social de ces populations, sans aucune éducation, qui sont littéralement pieds et poings liés aux propriétaires terriens, sans réel espoir d’une vie meilleure. Que faire quand on est un étranger dans son propre pays ?

Jaryo Bustamante, né en 1977, est un réalisateur, scénariste et producteur guatémaltèque. Il a étudié le cinéma à Paris et à Rome.

Vladimir Vladimirovitch – Bernard Chambaz

Vladimir Vladimirovitch  - Bernard ChambazBouquin offert par mon libraire (« sans aucune garantie, je ne l’ai pas lu… ») avant que je ne déménage ; sur la marge, il est écrit « Exemplaire offert »…

C’est donc l’histoire d’un type qui a la particularité d’avoir un célèbre homonyme, plus connu sous le nom de Vladimir Poutine. Voilà le point de départ du roman, et ce « double » va nous raconter sa vie et celle de l’autre, qu’il consigne dans ses carnets (rouge, gris, noir) : difficile d’échapper à l’omniprésence d’un tel homonyme.

Alors bon, je n’ai pas appris grand chose sur Poutine, la plupart des informations sont connues (son enfance de petite frappe, son ascension au KGB puis dans la hiérarchie du Parti, son opportunisme, sa nostalgie de la grande Russie), même si ces cahiers sont la partie la plus intéressante du livre, malheureusement minoritaire.

J’ai trouvé le portrait est relativement complaisant, pas un mot par exemple sur l’enrichissement supposé qui ferait de Poutine l’un des hommes les plus riches du monde aujourd’hui. Mais comme se plaît à le répéter Hubert Védrine, on aurait pu avoir pire à la tête de la Russie…

La plus grande partie du roman concerne l’autre Vladimir, le simple homonyme donc, et offre peu d’intérêt à mon goût, si ce n’est la description en pointillé de la vie quotidienne d’un Russe contemporain, avec ses petits problèmes (comme tout le monde).

Bernard Chambaz, né en 1949,  est un romancier, historien et poète français. Il reçoit le prix Goncourt du premier roman en 1993 pour L’Arbre des vies. Son père, Jacques Chambaz, fit partie du bureau politique du PCF de 1974 à 1979, ceci explique peut-être ce roman.

Une histoire de fou – Robert Guédiguian

Une histoire de fou - Robert Guédiguian Encore un film qui m’a bien plu, merci à la bonne programmation du TNB de Rennes.

Cette fois c’est un film sur le génocide arménien, ou plutôt comment sa mémoire est traitée et vécue par la génération suivante, pouvant amener à la lutte armée, et celle-ci offrir une rencontre inattendue.

Le film commence en 1921 (filmé en noir et blanc), lors du procès en Allemagne d’un arménien qui a assassiné d’une balle dans la nuque Talaat Pacha, le principal responsable du génocide arménien organisé par la Turquie. Soghomon Thelirian, l’auteur de cet acte, et dont la famille a été entièrement exterminée, sera acquitté par le jury populaire ! Une vérité historique qu’il est bon de rappeler.

Puis on bascule à Marseille en 1975 (et en couleur) : une famille arménienne, les parents tiennent une épicerie orientale, alors que leur fils Aram se radicalise car la lutte pacifique pour l’indépendance de l’Arménie n’a abouti à rien de concret depuis cinquante ans. Il commet un attentat à la bombe contre l’ambassadeur de Turquie à Paris, et blesse grièvement Gilles, un innocent cycliste qui passait par là au mauvais moment ; il va perdre l’usage de ses deux jambes.

Alors qu’Aram part au Liban rejoindre l’armée de libération de l’Arménie à Beyrouth, sa mère rend visite à Gilles sur son lit d’hôpital. Va alors naître une étrange relation, pleine d’humanité, entre Gilles et les parents d’Aram. Gilles qui n’avait jamais entendu parlé du génocide arménien va peu à peu se rapprocher de la famille, des liens vont se tisser, et il finira par se rendre à Beyrouth avec la mère d’Aram pour rencontrer ce dernier, pour une ultime explication avec celui qui a fait basculer sa vie…

Robert Guédiguian, né en 1953 à Marseille, est un cinéaste français d’origine arménienne.

Badawi – Mohed Altrad

Badawi - Mohed AltradJe crois que c’était lors d’un reportage de Stade2 qui présentait le portrait pour le moins atypique de ce chef d’entreprise, également premier actionnaire et président du Montpellier Hérault Rugby. L’homme avait un parcours incroyable (fils de bédouin syrien), un discours très humble et reconnaissant à la France dont il a pris la nationalité.

Il est également écrivain, et j’ai eu envie de lire ce livre pour mieux connaître son histoire, qu’il est censé raconter dans ce roman. Mais finalement, l’homme se livre peu, et beaucoup de choses ne sont pas dites. Je suis resté un peu sur ma faim à ce sujet.

La première partie est celle de son enfance, la plus intéressante : il perd sa mère très jeune, celle-ci ayant été auparavant répudiée par son mari. Il est alors élevé (durement) par sa grand-mère, et pour elle son avenir est tout tracé : il sera berger ! Mais l’enfant éprouve une fascination pour l’école, et fait tout pour pouvoir y aller. Non seulement il y arrive, mais son travail et ses résultats lui permettront de poursuivre ses études à la grande ville de Raqqah.

La deuxième partie est celle du retour au pays, et le récit perd en force : l’homme a poursuivi ses études en France, et est maintenant ingénieur, travaillant pour une compagnie pétrolière. Il se rend très vite compte qu’il n’a plus grand chose de commun avec ce pays, n’ayant pas vraiment de famille à retrouver… Reste néanmoins son amour de jeunesse, Fadia, qui l’attend toujours, fidèle à leur promesse d’amour.

C’est là que l’auteur peine manifestement à se livrer totalement. Au moment où il éprouve à nouveau des sentiments pour elle (ce qui n’avait rien d’évident après ces longues années), il va « fuir » sous le prétexte d’une obligation professionnelle, et finalement lui enverra une lettre pour lui signifier que leur histoire est terminée, même s’il l’aime toujours… J’ai eu le sentiment que tout n’était pas dit ici : son ambition, son égoïsme ne sont certainement pas étrangères à son renoncement.

Mohed Altrad est né en 1948 ou bien en 1951, est un homme d’affaire français d’origine syrienne. Il est aussi auteur de romans et d’ouvrages de management.

Simon Bolivar : le rêve américain – Pierre Vayssière

Simon Bolivar : le rêve américain - Pierre VayssièreQuand j’avais lu Le général dans son labyrinthe de Gabriel Garcia Marquez, je m’étais dit qu’une biographie de Simon Bolivar devait être passionnante. J’ai donc regardé ce qui existait : rien de disponible en format poche, je me suis donc rabattu sur ce livre, écrit par un historien.

Et c’est un peu là le problème, Pierre Vayssière a choisi une approche thématique (l’homme politique, le chef de guerre, le mythe, etc..), là où j’aurai préféré une simple chronologie de sa vie, particulièrement l’histoire de ses conquêtes, qui n’occupe finalement que soixante dix pages de ce gros volume.

Le reste n’est pour autant ni inutile, ni inintéressant, loin de là : on cerne mieux le personnage complexe grâce à lui : ses origines, ses motivations, la part du mythe dans ce personnage au destin incroyable, surnommé « el Libertador », encore aujourd’hui célébré (et récupéré) dans toute l’Amérique latine ; il a même donné son nom à tout un pays, la Bolivie. Mais pour la partie conquête, je suis resté largement sur ma faim…

Alors comment résumer cette histoire ? Il reste avant tout l’homme qui libéra plusieurs pays de trois siècles de colonisation espagnole : Venezuela, Colombie, Équateur, et même le Pérou (pour ce dernier, il lui faudra franchir la cordillère des Andes dans des conditions proprement incroyables). Hélas, son rêve d’unification fera long feu, et les caudillos locaux, les luttes politiques y mettront fin rapidement.

Héritier du siècle des Lumières par son éducation et ses lectures, témoin des « révolutions atlantiques » aux États-Unis et en Europe, son rêve est d’unifier les pays d’Amérique latine, profitant du déclin de l’Empire espagnol mis à mal par Napoléon. Comme ce dernier (dont il est un fervent admirateur), Simon Bolivar est un républicain convaincu, mais partisan d’un pouvoir fort. Il est issu d’une riche famille créole (élite blanche, dont les origines remontent au pays basque), et se dit libéré de tout préjugé racial (il serait blanc métissé d’indien par son grand-père et en partie mulâtre par sa grand-mère). Il est de nature chétive, mais aussi un grand séducteur aimé des femmes.

Il faut dire que la société sud-américaine fonctionne comme un système de castes, fruit de trois siècles de colonisation ; entre les blancs, les créoles, les esclaves noirs et les indiens, il n’est pas simple de s’y retrouver, et de comprendre qui veut quoi… Comme à Cuba, on retrouve la réticence des grands propriétaires à libérer les esclaves, et Bolivar est issue d’une telle famille. Pourtant, Simon Bolivar réforme, mais plus par opportunisme, comme par exemple en libérant les esclaves noirs à condition qu’ils se battent avec lui, un marché qui ne les tente guère.

Pour conclure, le personnage reste tout de même sympathique, au regard de ce qu’il a accompli, même si le bilan est contrasté. Il est également surnommé « Le Don Quichotte de l’Amérique », ce qui résume assez bien le personnage. Il avait soif de gloire, mais pas de pouvoir.

Pierre Vayssière n’a pas de page wikipedia ! Il est un historien spécialiste de l’Amérique latine, professeur émérite de l’Université de Toulouse II, et selon bibliomonde, franchement marqué à droite :

Pierre Vayssière offre une vision conservatrice de l’Amérique latine. Ses ouvrages proposent une image systématiquement défavorable des mouvements de gauche du sous-continent et au contraire ont tendance à minimiser les méfaits des dictatures et de l’interventionnisme nord-américain.

Dans le cadre de cette biographie, cela a peu d’importance : George Washington avait signé un pacte de neutralité avec Madrid… mais Simon Bolivar se méfiait (déjà) de leur expansionnisme.

Tribulations d’un précaire – Iain Levison

Tribulations d'un précaire - Iain LevisonAprès Un petit boulot qui m’avait bien plu, j’enchaîne avec le premier livre publié par cet auteur, un récit autobiographique sur les 42 petits boulots qu’il a exercés à la fin de sa licence de lettres.

On comprend mieux la vision de la société évoquée dans Un petit boulot à la lecture des expériences professionnelles par lesquelles Iain Levison est passé… Ayant dépensé 40 000 dollars (et donc complètement fauché) pour passer une licence de lettres qui se révèle totalement inutile (voir un handicap) pour trouver un travail, il nous raconte tous les petits boulots qu’il a du faire pour survivre, dont certains durs et dangereux en Alaska.

La description de cette société inégalitaire où le travailleur, peu payé, au contrat précaire, doit en plus subir toutes les brimades de petits chefs, les horaires impossibles, obligé de sourire au client en lui souhaitant « une bonne journée », sans parler des arnaqueurs qui profitent de la précarité, etc… ne manque ni de justesse (au moins c’est du vécu !), ni d’humour.

Mais sa conclusion est assez amère : le travailleur est devenu une quantité négligeable, seuls comptent les résultats financiers ; l’attitude des entreprises vis-à-vis de ceux qui accomplissent le travail n’a véritablement jamais vraiment changée, et le fossé qui se creuse rend le dialogue impossible, car dénué de sens.

Voilà quelques extraits, le dernier est la conclusion :

Au  cours des dix dernières années, j’ai eu quarante-deux emplois dans six États différents. J’en ai laissé tomber trente, on m’a viré de neuf, quant aux trois autres, ç’a a été un peu confus. C’est parfois difficile de dire exactement ce qui s’est passé, vous savez seulement qu’il vaut mieux ne pas vous représenter le lendemain.
Sans m’en rendre compte, je  suis devenu un travailleur itinérant, une version moderne  du Tom Joad des Raisins de la colère. À deux différences près. Si vous demandiez  à Tom Joad de quoi il vivait, il vous répondait : « Je suis ouvrier agricole ». Moi, je n’en sais rien. L’autre différence, c’est que Tom Joad n’avait pas fichu quarante mille dollars en l’air pour obtenir une licence de lettres.

Une usine délocalisée au Mexique aujourd’hui, une augmentation des salaires du Congrès demain, un fonctionnaire de l’Administration qui ferme les yeux sur la hausse des tarifs des compagnies de téléphone après-demain, et bientôt tout le monde doit se contenter de survivre. Les promoteurs immobiliers voient une occasion de gonfler les prix et personne ne le leur interdit. Où se cache le type censé dire « Non, ce ne serait pas juste  » ? A-t-il seulement existé ? Les auteurs de la Constitution ont-ils négligé d’inclure un paragraphe sur ce qui arriverait quand la richesse commencerait à passer du peuple aux mains de quelques-uns ?

Il y a de nombreuses façons de voir la chose. Ça ne va pas si mal. Je vis dans le pays le plus riche du monde ; même être fauché ici vaut mieux que d’appartenir à la classe moyenne du Pérou ou de l’Angola. […] Ce n’est pas une question d’argent. Le véritable problème c’est que nous sommes tous considérés comme quantité négligeable. Un humain en vaut un autre. La loyauté et l’effort ne sont pas récompensés. Tout tourne autour des résultats financiers, un terme aussi détestable pour tout travailleur que « licenciement » ou « retraite forcée ». D’accord, nos avons fait des progrès depuis l’édification du barrage Hoover ou depuis que les ouvriers mouraient en construisant les voies ferrées, mais l’attitude des entreprises vis-à-vis de ceux qui accomplissent le travail est restée la même. Et le balancier revient dans l’autre sens. Ceux qui font les promesses sont si loin de tout qu’ils ne voient même plus que leurs promesses ne signifient rien. Des actions de votre entreprise au bout de cinq ans ? Super, merci. Mais nous savons tous les deux que, statistiquement, dans cinq ans je serai parti depuis longtemps.

Iain Levison, né en 1963 à Aberdeen, est un écrivain américain d’origine écossaise vivant à Philadelphie. Après avoir vécu avec sa mère célibataire dans un taudis d’Aberdeen, il part vivre aux États-Unis en 1971.

Un petit boulot – Iain Levison

Un petit boulot - Iain Levison C’est par un article du Canard enchaîné que j’ai entendu parler de cet auteur ; c’était pour un autre livre (« Tribulations d’un précaire ») mais il y avait une référence à celui-ci, son premier roman. Il en était dit le plus grand bien, humour décapant dans un Amérique où sévit le chômage…

Je l’ai lu en moins d’une journée, assez vite accroché par l’histoire et le ton mordant avec lequel elle est contée : dans une petite ville des États-Unis, la crise économique a frappé de plein fouet, et plusieurs usines ont fermées, laissant beaucoup de personnes sur le carreau.

Jake Skowran est l’une d’entre elles, passablement écœuré par ce monde où seul compte le profit. Sa copine l’a quitté, il a du résilier son abonnement au câble et vendre sa télé, couper le chauffage de l’appartement… et pour couronner le tout, il a des dettes de jeu. Jusqu’au jour où un bookmaker mafieux lui propose « un petit boulot »… qui consiste à tuer sa femme qui le trompe ! N’ayant plus rien à perdre, Jake accepte et va devenir tueur à gage, sans aucun remord.

C’est un bon polar, avec une écriture assez directe, et qui se lit très vite ; toute l’histoire est parsemée de réflexions sur la crise économique qui frappe et provoque le désespoir, la misère, la honte des gens… Et c’est plutôt bien vu ! Voilà trois petits extraits pour vous faire une idée : vous verrez que les réflexions de Jake sur la société sont très lucides… comme pour la façon dont il aborde le métier de tueur à gage !

Si le directeur de l’empire Gas’n’Go m’appelait demain matin pour me dire que je suis foutu dehors encore une fois, la qualité de mon travail n’en souffrirait pas. Je n’arrêterais pas de nettoyer et je ne me mettrais pas à voler, comme ils le pensent. C’est pour ça que, en supposant que les licenciements soient jamais nécessaires, nous ne l’apprenons qu’à la dernière minute. Ils considèrent chaque fourmi ouvrière comme un traître potentiel qui crève d’envie de s’emparer de leur bien. Mais moi et les gars avec qui je travaillais n’étions pas là pour eux, ni même pour leur chèque. Nous étions là pour nous, parce que nous pouvions former une équipe et faire un boulot. Et le pire dans les licenciements, ç’a été de découvrir soudain que l’équipe était un mirage, créé par la direction pour obtenir davantage de nous à moindre coût. Ce que nous réalisions n’avait de sens que pour nous.

Peut-être que rien de tout ça n’est vrai. Peut-être que Corinne Gardocki passe ses journées comme bénévole dans un foyer pour sans-abri et que son histoire avec le pilote de ligne est le produit de la paranoïa sénile de Gardocki. Le « pilote de ligne » est peut-être son frère. En fait ça m’est égal. Elle va mourir parce que j’ai été licencié d’une usine rentable en plein milieu de ma carrière. Elle va mourir parce que ma copine m’a quitté, parce que je ne supporte pas la vie de chômeur. Corinne Gardocki est une femme morte parce qu’un petit malin de Wall Street a décidé que notre usine ferait de plus gros bénéfices si elle se trouvait au Mexique. Je t’aurai, Corinne. Un problème moral ? Pas vraiment.

Tommy me fait bosser comme une bête, et quand arrive samedi je suis vraiment fatigué. Fatigué par le travail. Quelle sensation merveilleuse et oubliée. Ceux qui ont un boulot et bossent comme des bêtes n’apprécient pas à sa juste valeur le privilège de ce sentiment de satisfaction, la beauté de leur épuisement, qu’ils peuvent porter comme une médaille. Cet épuisement vous donne de l’énergie, vous savez que vous avez apporté votre contribution, changé quelque chose. J’ai changé quelque chose en remplissant les pots à café, en nettoyant par terre et en enregistrant des paquets de chips et des bières. Je suis redevenu un travailleur.

Iain Levison, né en 1963 à Aberdeen, est un écrivain américain d’origine écossaise vivant à Philadelphie. Après avoir vécu avec sa mère célibataire dans un taudis d’Aberdeen, il part vivre aux États-Unis en 1971. Son premier livre, Tribulations d’un précaire est un récit autobiographique sur les 42 petits boulots qu’il a exercés à la fin de sa licence de lettres. Un petit boulot (2003) est son premier roman.

Le bouton de nacre – Patricio Guzmán

Le bouton de nacre - Patricio Guzmán Si le dernier film que j’ai vu, Fatima, m’avait fait penser à un documentaire, cette fois c’est l’inverse avec ce documentaire en forme de film…

Il y a deux sujets abordés dans ce documentaire, celui des indiens premiers habitants de la Patagonie tout au sud du Chili, et celui des disparus de la dictature de Pinochet que l’on jetait en pleine mer d’un hélicoptère. Le bouton de nacre est le lien entre les deux…

Le bouton de nacre qu’accepta un indien pour être emmené en Angleterre à des fins « civilisatrices » par un capitaine qui eût le bon goût de le renommer Jemmy Button (à son retour, il fut incapable de se réinsérer parmi son peuple)…  puis le bouton de nacre que l’on retrouva sur un morceau de rail servant à lester les corps des victimes de la dictature chilienne et jetés à la mer.

L’eau est le fil conducteur du film, source de vie dans l’univers… Les peuples qui vivaient en Patagonie chilienne (immense archipel d’îles et de fjords) avait un rapport étroit avec l’eau. Il ne reste plus aujourd’hui qu’une vingtaine de descendants de ces ethnies, décimées par l’arrivée des colons (maladies), et puis exterminées lors de véritables battues humaines dans la deuxième moitié du XIXe siècle…

Les images sont magnifiques, et la voix du réalisateur nous conte cette double histoire, nous emmenant dans un véritable voyage à travers l’espace et le temps pour nous parler de l’histoire son pays. Tout cela est parfaitement maîtrisé, et d’une grande beauté !

Lectures, Ubuntu, Smartphone, Cinéma, entre autres…