
C’est avec « La petite librairie » que j’ai entendu parler de ce livre, en écoutant d’une oreille distraite ce qu’en disait François Busnel. Je ne savais donc pas trop à quoi m’attendre en le commençant, à part que l’auteur était d’origine indienne.
Nous sommes dans les années 60, et c’est l’histoire d’une errance, celle d’un indien qui erre dans le monde contemporain, en se remémorant son enfance avec son frère aujourd’hui disparu. Tout comme son père, retrouvé mort dans un fossé en voulant rentrer chez lui, ivre, lors d’une nuit d’hiver comme en réserve le Montana.
Le narrateur, dont on ne connaîtra pas le nom, est censé vivre chez sa mère et sa grand-mère, cette dernière ayant été la troisième épouse de Standing Bear, un grand chef Blackfeet. Il va partir à la recherche d’une fille qu’il a ramené un jour et que l’on prend pour sa femme… De bar en bar, échangeant des dialogues parfois surréalistes avec des personnages qu’il croise au hasard de sa quête, une atmosphère est tracée, un monde apparaît et c’est toute la force de ce roman. Dès la première page, le ton est donné, il n’y a plus qu’à se laisser emporter :
Rentrer à la maison, ce n’était plus très facile. Ça n’avait jamais été une partie de plaisir, mais c’était devenu un véritable calvaire. Ma gorge me faisait mal, mon genou abîmé me faisait mal et ma tête me faisait mal dans la fournaise.[…] Rentrer chez ma mère et une vieille qui était ma grand-mère. Et la fille qu’on prenait pour ma femme. Mais elle ne comptait pas vraiment. D’ailleurs, aucune d’elles ne comptait ; elles n’étaient plus rien pour moi. Sans raison spéciale. Je n’éprouvais ni haine, ni amour, ni remords, ni mauvaise conscience, rien qu’une distance qui s’accroissait au fil des ans. C’était peut-être le paysage, la prairie grillée sous le soleil éclatant, le vert pâle de la vallée de la Milk River, les eaux laiteuses de la rivière, l’armoise et les peupliers, les plaines desséchées et craquelées qui se transforment en marécages dès qu’arrive la pluie. Ce paysage avait créé une distance aussi vaste qu’il était désert, et les gens se toléraient et se traitaient de même avec distance. Mais celle que je ressentais ne venait pas du paysage ni des gens ; elle venait de moi. J’étais aussi loin de moi qu’un faucon de la lune. Et c’était pour ça que je n’éprouvais aucun sentiment particulier à l’égard de ma mère et de ma grand-mère. Ou de la fille qui vivait avec moi.
James Welch (1940-2003), est un romancier et poète américain, né dans la réserve indienne des Pieds-Noirs, dans le Montana. L’hiver dans le sang est son premier roman, qui connaîtra le succès et ouvrira la voie à plein d’autres auteurs amérindiens.