Archives de catégorie : Littérature

Les fleurs bleues – Raymond Queneau

Les fleurs bleues - Raymond Queneau J’avais bien aimé Zazie dans le métro du même auteur, et je m’attendais à passer un bon moment avec celui-ci. Ce ne fût pas le cas. Après une cinquantaine de pages, j’ai vite refermé le livre, lassé des jeux de mots plus ou moins drôles (souvent fastidieux) et par la vacuité de l’histoire.

Bref je n’ai pas accroché du tout aux aventures de Cidrolin sur sa péniche qui, lorsqu’il s’endort cède la place au duc d’Auge, et réciproquement. C’est le célèbre apologue chinois : « Tchouang-Tseu rêve qu’il est un papillon, mais n’est-ce point le papillon qui rêve qu’il Tchouang-Tseu ? » avec lequel Raymond Queneau commence sa préface, comme pour prévenir le lecteur de la profondeur de son roman.

Loupé en ce qui me concerne, je le laisse aux amoureux du néo-français (les houatures, le campigne) ou des situations absurdes et anachroniques.

Tour du monde d’un sceptique – Aldous Huxley

Tour du monde d'un sceptique - Aldous Huxley En 1925, Aldous Huxley, âgé d’une trentaine d’années, entreprend un tour monde, et nous livre ses impressions à travers ce récit de voyage. A cette époque, il est journaliste et critique d’art ; il ne commencera réellement sa carrière d’écrivain qu’un peu plus tard (« Le meilleur des mondes » paraît en 1931), même s’il est passionné de littérature depuis longtemps.

En fait de tour du monde, les trois-quarts du livre sont consacrés aux Indes, à la Birmanie et la Malaisie. Puis s’enchaînent rapidement Shanghaï, un peu de Japon et les États-Unis, alors en plein essor.

Aldous Huxley est un intellectuel cultivé, un humaniste, un fin observateur que tout intéresse. Il va donc nous livrer ses réflexions, certaines sur l’art, la plupart sur le monde, les hommes, la société, parfois avec humour, et c’est un plaisir de le lire : certes c’est bien écrit, mais surtout ce sont des réflexions personnelles qu’il nous fait partager. Ce qui ne peut que nous encourager à penser par nous-mêmes ; c’est même une belle démonstration de l’état d’esprit que cela nécessite. Il écrit :

Voyager, c’est découvrir que tout le monde a tort.

Le Taj Mahal Quand il n’aime pas, fût-ce l’une des sept merveilles du monde, il le dit, comme par exemple pour le Taj Mahal : en dehors du fait qu’il soit peu sensible à la somptuosité et au pittoresque (ce qu’est essentiellement le Taj Mahal selon lui), ce sont les minarets qui le rebutent le plus : les lois religieuses exigeaient des minarets, les lois de la proportions les rendent ridiculement grêles avec leurs lourds balcons. Et c’est vrai qu’en les regardant avec cet œil critique, nombre de phares bretons sont effectivement tout aussi jolis…

Quelques extraits pour vous faire une idée :

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La cité des jarres – Arnaldur Indridason

La cité des jarres - Arnaldur Indridason Et encore un roman policier, islandais cette fois. La première enquête de l’inspecteur Erlendur traduite en français, et grâce à laquelle l’écrivain Arnaldur reçu plusieurs prix.

L’intrigue est bien ficelée, et commence par un meurtre comme il se doit. Erlendur, la cinquantaine, en a vu d’autres. Divorcé depuis longtemps, il vit seul et s’inquiète pour sa fille, qui passe parfois le voir, mais vit en marge de la société. Et puis il y a cette douleur dans la poitrine qu’il ressent, et comme il fume clope sur clope, il s’interroge sans pour autant consulter.

Mais tout va s’arranger : Erlendur va remarquablement élucider l’enquête (orientée génétique), sa fille reprendra le droit chemin (il apprendra même qu’il va être grand-père), et la douleur dans la poitrine trouvera son origine dans le très mauvais matelas où il passe quelques unes de ses nuits (sinon, il dort dans le fauteuil tout habillé).

Espérons que lui aussi retrouve le droit chemin, arrête de manger de la « junk-food », réduise sa consommation de cigarettes, et prenne un peu plus soin de lui et de sa fille ! Bref, qu’il bosse moins… de toutes façons, le type était mort depuis la première page et ne valait pas tripette.

Arnaldur Indridason, est né en 1961 à Reykjavik (Islande). Diplomé en histoire, il a été journaliste et critique de cinéma, avant se mettre à écrire des romans policiers.

Un héros de notre temps – Lermontov

Un héros de notre temps - Lermontov Apparemment, ce roman n’est disponible qu’en édition bilingue (cette édition comme celle de Folio), alors il faudra prendre l’habitude au tournant de chaque page, de rester sur celle de droite. On s’y fait vite, et on a le sentiment d’avancer à grands pas !

Lermontov, surnommé « le poète du Caucase » nous livre ici son seul roman. Il faut dire qu’il mourra jeune (26 ans), au cours d’un duel, tout comme Pouchkine dont il était un fervent admirateur. C’est d’ailleurs suite à la mort de ce dernier qu’il publie un poème (« La mort du poète ») adressé au tsar Nicolas 1er : celui-ci le trouvera trop impertinent, et Lermontov sera envoyé dans le Caucase comme officier des dragons…

« Un héros de notre temps » est magnifiquement écrit, dans un style très fluide, et j’ai éprouvé un réel plaisir à le lire. Le personnage central, Petchorine, est un homme cynique, indifférent aux autres, méprisant le bonheur comme la mort. Malgré tout, il n’est pas antipathique pour autant, car d’une lucidité terrible envers lui-même comme envers les autres.

Voici ce que dit Lermontov dans la préface :

Le héros de notre temps, chers messieurs, est en effet un portrait, mais pas celui d’un seul homme : c’est un portrait composé des vices de toute notre génération, dans leur plein épanouissement. Vous me direz encore une fois que l’homme de peut être aussi mauvais, mais je vous demanderai, si vous avez cru à la vraisemblance de tous les scélérats tragiques et romantiques, pourquoi vous ne croyez pas à la réalité de Petchorine. Si vous avez admiré des inventions bien plus terribles et plus monstrueuses, pourquoi ce caractère, même en tant que fiction, ne trouve-t-il pas grâce à vos yeux ? Ne serait-ce as qu’il y a en lui plus de vérité que vous ne le souhaiteriez ?…
Vous direz que la morale n’y gagne rien… Pardonnez-moi. On a assez nourri les gens de douceurs ; ils en ont eu l’estomac gâté : il faut des remèdes amers, des vérités mordantes. Mais n’allez pas croire cependant, après cela, que l’auteur de ce livre ait jamais eu le rêve orgueilleux de se faire le correcteur des vices humains. Dieu le garde d’une pareille naïveté ! Il s’est simplement amusé à peindre l’homme contemporain, tel qu’il le comprend et, pour son malheur et pour le vôtre, tel qu’il l’a trop souvent rencontré. Que la maladie soit désignée, c’est bien assez ; quant au moyen de la soigner, Dieu seul le connaît !

Que dire de plus ? lisez ce livre, et regardez nos contemporains : la situation ne s’est pas améliorée me semble-t-il…

Mikhaïl Lermontov (1814-1841), a eu une vie courte et mouvementée, alternant actes de bravoure et blagues de potache. Il meurt au cours d’un duel, dans des conditions très similaires à celle du duel auquel participe Petchorine dans ce roman (mais Petchorine gagne le duel). Sa mort aurait été commentée en ces termes par le Tsar: « Une mort de chien pour un chien. »

Sylvia – Howard Fast

Sylvia - Howard Fast Un autre roman policier, conseillé par José, un collègue. Et le conseil était bon : très bonne histoire, sans fusillade ni cadavre, dans l’Amérique des années 1950, avec une vision sociale assez désabusée bien loin du rêve américain, et un magnifique portrait de femme.

Alan Macklin (mais tout le monde l’appelle Mac) est un détective privé plutôt fauché, titulaire d’une licence d’Histoire ancienne, féru de littérature, et plutôt amer sur la vie en général. Un milliardaire lui propose d’enquêter sur la femme avec qui il projette de se marier, histoire de vérifier son passé. Mais attention, défense absolue de la rencontrer pour lui poser des questions : elle très intelligente et découvrirait très vite le pot aux roses.

Mac va donc enquêter sur cette Sylvia : il réussira à remonter le fil de sa vie, et découvrir qu’elle n’est pas la riche héritière qu’elle prétend être. Sylvia a du au contraire lutter pour s’en sortir, issue de la plus ultime pauvreté, père alcoolique, etc… Boulimique de connaissance, elle lit tout ce qui lui tombe entre les mains, apprend les langues au fil de ses rencontres… Sa volonté de s’en sortir n’a d’égal que son souci de dissimuler son passé. Très vite, Mac va en tomber éperdument amoureux, sans même la connaître, tant sa vie à elle le renvoie à la sienne.

Howard Fast (1914-2003), écrivain américain, publia ce livre en 1960 en utilisant pour la première fois le pseudonyme de E.-V. Cunningham : c’était l’habitude à l’époque, pour dissocier les écrits dits sérieux de ce genre de roman. Rien à voir donc avec le fait qu’il ait été au Parti Communiste Américain et sur la liste noire du cinéma du maccarthysme. Sylvia a fait l’objet d’un film de Gordon Douglas en 1965.

Dans la gorge du dragon – Eliot Pattison

Dans la gorge du dragon - Eliot Pattison Pendant les vacances, j’ai lu quelques polars, et le premier fût celui-ci, conseillé par Jean-Jacques. L’histoire se passe au Tibet, dans un camp de travail chinois, où les moines emprisonnés cassent des cailloux pour faire des routes.

Mais c’est un chinois qui mène l’enquête : Shan Tao Yun, pourtant lui aussi emprisonné, ayant eu le malheur lors d’une enquête à Pékin de mettre en cause en membre du Parti. Mais comme il est très fort, le patron du camp fait appel à lui.

Avec raison, car pour comprendre ce qui se passe avec les moines tibétains, ça ne va pas être facile : les mobiles de leurs actions ne répondent pas plus aux critères chinois qu’européens. Parfois même, on se demande s’ils n’usent pas magie… Mais Shan est fin psychologue, et passionné par la culture bouddhiste de ses compagnons de détention.

C’est très bien écrit, et l’intrigue bien conçue. Mais le plus intéressant, c’est le milieu et l’environnement : la manière dont les moines, vivant dans un monde spirituel, réagissent à l’oppression de l’occupant, ce qui est important pour eux et ce qui ne l’est pas, leur culture, leurs rites… tout cela rend le livre passionnant.

Début de l’histoire :

On appelait cela « s’en prendre quatre ». Le grand moine maigre paraissait suspendu au bord de la haute falaise et seul le vent brutal de l’Himalaya semblait le rattacher encore à la terre. Shan Tao Yun plissa les yeux pour mieux voir. Son cœur se serra. Son ami Trinle s’apprêtait à sauter. Trinle qui, pas plus tard que ce matin, avait murmuré une bénédiction à l’adresse des pieds de Shan afin qu’ils n’écrasent pas d’insectes en marchant. […]
Mais Trinle, toujours en suspens au bord de la falaise, regarda encore sous lui, de ses yeux calmes et attentifs. Des hommes qui s’en étaient pris quatre, Shan en avait vu, mais, chaque fois, l’anticipation s’était lue sur leur visage. C’est toujours ainsi que les choses se passaient, de cette même manière, abrupte et inattendue, comme s’ils se trouvaient poussés soudain par une voix que nul autre qu’eux ne pouvait entendre. Le suicide était un grand péché, et sa conséquence certaine, une réincarnation sous une forme de vie inférieure. Mais choisir de revivre à quatre pattes pouvait être une solution tentante face à la seule autre possibilité : une vie sur ses deux jambes dans une brigade de travaux forcés chinoise.

Eliot Pattison (né en 1951) est juriste de formation, économiste, et grand voyageur. Spécialiste de la Chine et passionné par le sort du Tibet, « Dans la gorge du dragon » ou « The Skull Mantra » pour le titre original (prix Edgar Award 2000) est le premier d’une série avec l’inspecteur Shan. On peut donc le retrouver dans d’autres histoires.

L’Éducation sentimentale – Flaubert

L'Éducation sentimentale - Flaubert C’est peut-être le chef-d’œuvre de Flaubert, mais si j’ai eu envie de lire ce livre, c’est plutôt après avoir entendu que l’auteur avait choisit de dresser un tableau de l’époque et des évènements historiques qui s’y rattachent. Or l’histoire se passe entre 1840 et 1851, époque agitée où la monarchie, la république et l’empire se disputent le pouvoir.

Nous allons donc suivre les aventures de Frédéric Moreau, jeune provincial petit-bourgeois venant faire ses études à Paris, et tombant éperdument amoureux de Marie Arnoux, femme d’un riche (et retors) commerçant. S’il est parfois sympathique par son idéalisme, le jeune Frédéric lasse vite par ses errements affectifs et son inactivité chronique : sa seule réelle occupation sera finalement de dilapider son héritage, de manière plus ou moins stupide.

Les personnages qui l’entourent sont assez caricaturaux, représentant chacun un trait de l’époque : bourgeois, ancienne noblesse, courtisanes, artiste, républicain… le seul sympa, finalement, c’est Dussardier, un simple commis qui d’ailleurs ne finira pas l’histoire. Pour la plupart, leur seul intérêt est l’argent, et pour ceux qui ont des opinions politiques, ce ne sont que prétextes à discussions dans les salons.

Concernant le côté historique, c’est effectivement plein de référence à la grande Histoire, à tel point que cette édition fourmille de notes de bas de page, certes très intéressantes pour un historien, mais qui me sont apparues un peu perturbatrices pour suivre le récit lui-même. Flaubert s’est attaché de manière presque maladive à la suivre dans sa chronologie, j’aurai préféré qu’il la décrive avec un peu de recul. La révolution de 1848, qui n’est d’ailleurs pour Frédéric qu’un « spectacle », fait effectivement plus partie du décor qu’autre chose.

Ce roman annonce parait-il le roman contemporain : peut-être pour un spécialiste de la littérature ? Bref, n’étant ni historien ni professeur de littérature, et même si c’est très bien écrit, ce roman de 600 pages m’a finalement plutôt ennuyé.

Le seul intérêt est la description du milieu petit-bourgeois de cette époque et de la bêtise humaine, mais ça on connait déjà ! Mais peut-être est-ce là où Flaubert excelle après tout ? Comme on peut le lire dans la préface :

L’Art ne doit servir de chaire à aucune doctrine sous peine de se déchoir ! On fausse toujours la réalité quand on veut l’amener à une conclusion (…) Et puis, est-ce avec des fictions qu’on veut parvenir à découvrir la vérité ? L’histoire, l’histoire, et l’histoire naturelle ! (…) Observons, tout est là. Et après des siècles d’études il sera peut-être donné à quelqu’un de faire la synthèse. La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l’humanité. Chaque religion, chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l’infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant ! Je vois au contraire que les plus grands génies et les plus grandes œuvres n’ont jamais conclu. Homère, Shakespeare, Goethe, tous les fils aînés de Dieu (comme dit Michelet) se sont bien gardés de faire autre chose que représenter (lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 23 octobre 1863).

Je ne suis pas certain d’être d’accord avec ça : on peut donner son opinion sans pour autant porter un jugement. Et les « fils aînés de Dieu » choisissaient des personnages un peu plus intéressants que Frédéric Moreau ! Serait-ce lié au côté autobiographique de l’œuvre ? 😉

Gustave Flaubert est né à Rouen en 1821 et meurt en 1880. Admirateur de Balzac, il s’inscrit dans la lignée du roman réaliste. Il a vécu une vie assez mondaine, et n’a pas vraiment connu le succès de son vivant, même s’il était très estimé par ses pairs (Zola, Daudet, Maupassant).

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier – Stig Dagerman

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier - Stig Dagerman Voilà un tout petit livre, une dizaine de pages, et donc d’une épaisseur propre à le rendre invisible dans une bibliothèque. Si le texte est bref, il est également profondément triste (ou devrais-je dire profond et triste ?).

C’est d’ailleurs le dernier texte que Stig Dagerman écrivit, avant de sombrer dans le silence et de se donner la mort deux ans plus tard, en 1954, à l’âge de 31 ans.

Il commença sa carrière comme journaliste pour des journaux syndicaux où il s’occupait de la section culturelle (son père est un militant anarcho-syndicaliste). Il est considéré comme l’un des écrivains suédois les plus importants des années 1940. Son œuvre traite des grandes préoccupations universelles et de la douloureuse réalité de l’existence, sans pour autant manquer d’humour.

Voici le premier paragraphe de ce texte, que vous pouvez d’ailleurs lire en totalité ici, vous n’êtes pas obligé d’acheter le livre :

Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier.

Et un autre extrait sur la notion du temps, plus optimiste :

Ma vie n’est courte que si je la place sur le billot du temps. […] Mais tout ce qui m’arrive d’important et tout ce qui donne à ma vie son merveilleux contenu : la rencontre avec un être aimé, une caresse sur la peau, une aide au moment critique, le spectacle du clair de lune, une promenade en mer à la voile, la joie que l’on donne à un enfant, le frisson devant la beauté, tout cela se déroule totalement en dehors du temps. Car peu importe que je rencontre la beauté l’espace d’une seconde ou l’espace de cent ans. Non seulement la félicité se situe en marge du temps mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie.

A noter que les « Têtes raides », dans leur album Banco, en font une lecture. On la trouve en video sur Dailymotion.

Par-delà bien et mal – Friedrich Nietzsche

Par-delà bien et mal - Friedrich Nietzsche Après avoir écouté Michel Onfray l’année dernière nous conter l’histoire et la philosophie de Nietzsche, je me suis lancé dans la lecture de l’un de ses ouvrages, « Par-delà bien et mal ». Pour une première lecture d’un philosophe, ce petit bouquin de 200 pages en Folio essai me paraissait abordable.

Le livre est composé de textes courts, autant de réflexions ou d’opinions exprimés sur les différents sujets abordés (philosophie, religion, morale, etc…). Si Nietzsche est assez lisible (je veux dire qu’il n’emploie pas un vocabulaire ésotérique), j’ai du en relire plus d’un pour mieux saisir ce qu’il voulait dire. La première lecture servait à voir à peu près de quoi il retournait, et où il voulait en venir (ce qui n’est pas toujours évident) ; et la deuxième, plus fluide, de saisir le texte dans son ensemble. C’était finalement assez agréable, quand le sujet ou l’idée me plaisait…

Il va bousculer bon nombre d’idées reçues, avec un certain plaisir et parfois avec un humour assez ravageur… beaucoup de choses vont être sérieusement remises en question ! Grand penseur (« esprit libre » comme il se définit), à une époque ou la psychologie et la psychanalyse apparaissent, il ouvre certes des perspectives nouvelles.

Il ne s’embarrasse ni ne doute de rien, et ses jugements vont parfois trop loin à mon goût (manque d’humanisme). Le « bas peuple » (la plèbe) est violemment dénigré et méprisé (élitisme ?). Quand il aborde « Peuples et patries », puis « Qu’est-ce qui est aristocratique ? ». Là… il faut sans doute mieux connaître la philosophie de Nietzsche pour bien comprendre ce qu’il veut dire  quand il parle du surhomme ou de la volonté de puissance (malgré les explications de Michel Onfray), mais ce n’est pas vraiment surprenant que ses idées aient été récupérées par les nazis et le fascisme italien.

Comme vous pourrez le voir dans les extraits ci-dessous, il y a donc du bon et du moins bon, voir du mauvais et je reste assez partagé sur le personnage :

Il fut malade très tôt (syphilis ?), souffrant dans son corps toute sa vie ou presque, et cela explique peut-être ses réflexions sur les bienfaits de la souffrance, ou bien sa fascination pour les grands hommes et son mépris pour la démocratie qui « ramollit » les hommes. Il porte des jugements très sévères sur ces sujets qui ne me semblent pas empreints d’une réelle objectivité, mais plutôt d’une fascination.

Quant à ses jugements sur la femme, là aussi ça dérape ! mais finalement comme tant d’autres qui l’ont précédé, j’ai bien l’impression qu’il faille attendre l’émancipation de celle-ci pour trouver des philosophes portant un jugement plus équitable… comme quoi l’environnement influe sur la pensée, ce qui Nietzsche dit d’ailleurs à propos des philosophes : hélas, il n’échappe pas lui-même à la régle !

Tout l’intérêt du bouquin est nous faire réfléchir sur des choses que l’on considère comme acquises. On peut être ou ne pas être d’accord, l’essentiel est d’y réfléchir. De plus, comme les textes sont courts, on peut se ballader avec le bouquin en poche, en lire un, y réfléchir tranquillement, puis en lire un autre, etc…

Quelques extraits pour se faire une idée…

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Notre part des ténèbres – Gérard Mordillat

Notre part des ténèbres - Gérard Mordillat Dernier roman de Gérard Mordillat, paru en 2008, et le premier que je lis de cet auteur. Une histoire très contemporaine, puisqu’il s’agit d’une fermeture d’usine, avec tous les ingrédients auxquels nous sommes malheureusement habitués : spéculateurs, banquiers et politiques sans scrupules œuvrant main dans la main pour leur plus grand profit, qu’il soit financier ou mené par l’ambition personnelle.

Les salariés sont laissés sur le carreau après de belles promesses, mais cette fois-ci ils ne vont pas se laisser faire. Ils occupent d’abord l’usine, mais celle-ci est incendiée une nuit par des inconnus… ils vont alors monter une opération de grande envergure pour régler leurs comptes :

Le fond de placement FII a obtenu d’excellents résultats financiers, et a invité à bord d’un paquebot pour la nuit du réveillon, ses meilleurs clients et amis, jusqu’au ministre de l’intérieur lui-même (sa femme est l’héritière de la banque Margaux… elle-même impliquée dans la transaction). Bref, dans tout ce petit monde se trouvent tous les acteurs ayant participé de près ou de loin à la fermeture de l’usine, sans oublier Depardieu et Clavier, sous contrat pour montrer leurs binettes, et dont on se demande bien ce qu’ils viennent faire dans l’histoire : les noms des autres personnages sont fictifs, quel besoin d’y incorporer ces deux-là ? J’aurai préféré le nom du ministre !!

Bref, les salariés vont réussir à prendre le contrôle du « Nausicaa », et au lieu du feu d’artifice prévu à quelques centaines de mètres du port du Havre, vont l’emmener dans le mer du Nord, histoire de rencontrer une vraie tempête et… mystère… quelles sont leurs intentions ? personne ne le sait, le lecteur non plus, pas plus que les salariés eux-mêmes (une fois le livre terminé, on se pose encore la question). Au gouvernement, on met en place une cellule de crise, armée, GIGN, tout le tremblement…

Si l’idée de départ est séduisante (la révolte), on a beaucoup mal à croire à cette histoire, tant les ficelles pour monter le scénario sont grosses, comme l’utilisation de missiles sol-air par les salariés pour tirer sur les hélicos du GIGN… idem pour les personnages, gentils salariés contre patrons ou politiques dépravés, et pas plus de profondeur dans le description du problème social : l’auteur se contente d’essaimer de temps en temps des dépêches d’agence de presse annonçant ici une catastrophe, là des tortures, des bénéfices records pour telle compagnie ou un scandale ailleurs. Trop caricatural pour être réellement intéressant.

Gérard Mordillat est né en 1949 à Paris. Fils d’ouvrier, soutien de longue date du PCF et maintenant du Front de gauche, passionné de littérature et de cinéma. Il a tenu la rubrique littéraire de Libération qu’il quitte après son premier roman, « Vive la sociale! », qui deviendra un film quelques années plus tard. On dirait bien qu’il a écrit ce dernier bouquin en pensant que ça ferait un film, ça expliquerait la présence de Clavier et Depardieu ? en tout cas, l’idée n’était pas de décrire sérieusement une situation sociale inquiétante.

Quant à l’éditeur qui ajoute sur la couverture « le roman de l’insurrection qui vient », on rigole franchement !