Le Joueur – Dostoïevski

Le Joueur - Dostoïevski J’ai eu envie de lire ce livre en me disant qu’il devait décrire le phénomène d’addiction d’un joueur. Un grand écrivain, russe de surcroît, devait s’attaquer à ce sujet en profondeur me disais-je… d’autant qu’il est probablement en partie autobiographique !

Bon, j’en fus pour mes frais sur ce point, mais ce petit roman est très agréable à lire. On se prend vite de sympathie pour le jeune Alexis Ivanovitch, jeune précepteur au service d’un général et de sa famille, amoureux transi de Polina Alexandrovna, belle-fille du général. Tout ce petit monde se trouve à Roulettenbourg (!), ville d’eau pour la haute société et disposant fort logiquement d’un casino.

Pourtant l’argent manque dans la famille… Ah si la grand-mère là-bas en Russie pouvait décéder, l’héritage arrangerait tout… Alexis va donc jouer parce que Polina le lui demande, puis se prendre lui-même au jeu. La grand-mère, personnage fantasque, débarque alors et se prend au jeu également, dilapidant l’argent restant de la famille.

J’ai beaucoup aimé la scène où Alexis doit s’expliquer devant le général d’une petite provocation qu’il s’est permis vis-à-vis d’une baronne prussienne, provocation faite à la demande de Polina bien sûr,  par jeu… Le général le prend de très haut, mais Alexis ne se laisse pas démonter et prend le général à son propre jeu, retournant la situation d’une manière succulente.  Extrait :

– Comprenez-vous, monsieur, à quoi vous m’avez exposé — oui, moi, mon cher monsieur ? C’est moi qui ai été obligé de présenter mes excuses au baron et de lui donner ma parole qu’aujourd’hui même, là, sur le-champ, vous n’appartiendriez plus à la maison…
– Pardon, pardon, général, c’est lui qui vous a demandé explicitement que je n’appartienne plus à votre maison, comme vous daignez vous exprimer ?
– Non ; c’est moi qui me suis senti obligé de lui donner cette réparation et il va de soi que le baron est resté content. Nous nous quittons, monsieur. […]
– Général, ça ne peut pas se terminer comme ça. Je regrette beaucoup que le baron vous ait fait des ennuis, mais — pardonnez-moi : c’est de votre faute. Comment avez-vous pu prendre sur vous de répondre de moi devant le baron ? Que signifie l’expression que j’appartiens à votre maison ? Je suis simplement précepteur dans votre maison, c’est tout. Je ne suis pas votre fils, je ne suis pas sous votre tutelle, vous n’avez pas le droit de répondre de mes actes. Je suis une personne juridiquement capable. J’ai vingt-cinq ans, je suis diplômé de l’université, je suis noble, je n’ai rien à voir avec vous. Il n’y a que le respect infini que j’éprouve pour vos mérites qui m’empêche de vous demander des explications plus approfondies pour avoir pris sur vous le droit de répondre de moi.
Le général fut tellement stupéfait qu’il en reste les bras ballants […]
– Mais pour le baron, je n’ai pas l’intention de laisser passer comme ça, poursuivis-je avec le plus grand sang-froid, […] et, général, comme vous avez accepté d’écouter tout à l’heure les plaintes du baron et de prendre son parti, vous plaçant vous-même, pour ainsi dire, en position de participant actif dans cette affaire, j’ai l’honneur de vous informer que, pas plus tard que demain matin, je demanderai au baron, en mon nom propre, une explication formelle sur le fait qu’ayant eu affaire avec moi, il se soit adressé à une tierce personne, comme si j’avais été moi-même indigne de répondre de mes actes.
Il arriva ce que je prévoyais. Le général, entendant cette nouvelle sottise, fît définitivement pris de panique.

Et cela continue ainsi… À la fin, ce sera le général qui suppliera Alexis de ne rien faire, lui promettant de le reprendre à son service. 😉

À ce moment du roman, je me dis que l’on va bien s’amuser avec un tel personnage. Mais il maîtrise beaucoup moins bien ses relations avec Polina, qui le manipule comme un jouet. Puis son amour pour elle se transformera en addiction pour le jeu, jusqu’à tout perdre, y compris la raison.

Anna Grigorievna Dostoïevski, dans son excellente postface, explique :

Au reste, le héros perd tout, ce qui confirme que Dostoïevsky était plus lucide, en 1866, sur ses personnages que sur lui-même (comme ses personnages, d’ailleurs, sont ordinairement plus lucides sur les autres que sur leur propre destin : ainsi le Joueur, persuadé que la grand-mère, parce qu’elle est joueuse, ne peut que perdre !). On n’est prisonnier que de soi. Toujours est-il que Dostoïevski nous fait comprendre ce que Freud, plus tard, explicitera. L’illusion est un grand désir qui se prend pour une vérité — une espérance qui se prend pour une preuve.
La découverte n’est pas neuve, mais chacun doit la refaire pour son compte. Spinoza notait déjà que « nous sommes disposés de nature à croire facilement ce que nous espérons, difficilement ce dont nous avons peur, et à en faire respectivement trop ou trop peu de cas ».

À méditer… Être lucide n’est peut-être pas aussi évident que ça ! « chacun doit la refaire pour son compte », et à chaque instant…

Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski est un l’un des plus grand écrivains russe (1821-1881). Il passera quatre années dans un bagne de Sibérie. Épileptique, joueur couvert de dette, il parcourera l’europe. En 1867, il se marie et commencera à publier ses œuvres les plus abouties. Il rentre en Russie en 1871. Wikipedia dit :

Les romans de Dostoïevski sont parfois qualifiés de « métaphysiques », tant la question angoissée du libre arbitre et de l’existence de Dieu est au cœur de sa réflexion, tout comme la figure du Christ. Cependant ses œuvres ne sont pas des « romans à thèse », mais des romans où s’opposent de façon dialectique des points de vue différents avec des personnages qui se construisent eux-mêmes, au travers de leurs actes et de leurs interactions sociales.

Un auteur à lire donc !

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