DebtOcracy

debtocracy DebtOcracy est un film documentaire réalisé par deux journalistes grecs Katerina Kitidi et Aris Hatzistefanou. À noter que le projet a été intégralement financé grâce à des donations, et que le film est placé sous licence Creative Common.

On peut le visualiser à partir du site officiel, sur DailyMotion, et aussi sur ce site où les sous-titres français sont plus lisibles. On peut aussi le télécharger sur le réseau torrent : ici (MP3 et DIVX dans un AVI) où ici (H.264 et AAC dans un MKV). Il dure un peu plus d’une heure.

De quoi s’agit-il ? de la dette grecque comme s’en doute, mais sous un angle apportant une vision différente du problème. À tout le moins, enfin une autre vision que celle présentée dans les médias (les grecs sont des fainéants, ne paient pas leurs impôts, etc…).

Et l’on y apprend plein de choses très intéressantes, comme notamment la notion de dette odieuse. Le FMI, la Banque Mondiale, l’Union Européenne et les grands groupes financiers ou industriels en sortent par contre pas mal amochés.

Le reportage commence par un rappel des années de croissances d’après guerre. C’était l’âge d’or du capitalisme : croissance régulière, salaires en hausse, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Hélas, le capitalisme ne pouvant fonctionner sans crises (comme l’avait déjà deviné Karl Marx), vers le milieu des années 70 la croissance ralentit et la première crise survient. Elle sera suivie de nombreuses autres… On est toujours dedans, vous l’avez sans doute remarqué.

L’Argentine

De 1990 à 1998, on parle du miracle argentin, caractérisé par un libéralisme radical. Le pays a verrouillé son taux de change avec celui de dollar, perdant ainsi le moyen d’exercer une politique monétaire. Le FMI est très actif et transforme l’Argentine en laboratoire du néo-libéralisme. Les privatisations et les réformes sociales s’enchaînent. Si le niveau de vie augmente durant cette période, le chômage est lui à 18% : ce sont les laissés pour compte du miracle argentin. Les grosses compagnies font elles d’énormes profits.

En 2001, patatras, c’est l’effondrement économique ! C’est le chaos, les émeutes se succèdent, et le président doit quitter le pays en s’enfuyant à bord d’un hélicoptère. Un symbole ? on y reviendra… Le pays se déclare en cessation de paiement, gèle les avoirs bancaires et dévalue la monnaie de 28%.

Le FMI

Dommage que le FMI n’en ait pas tiré des leçons, et persiste à appliquer peu ou prou les mêmes méthodes dont on voit bien qu’elles ont peu de chances d’aboutir. L’idée est toujours la même : il faut rembourser la dette avant tout, en la faisant payer par la population et en appauvrissant le pays. Pourquoi ? parce qu’il faut rembourser les banques et les grandes entreprises ! Et peu importe si le pays continue de s’endetter pour cela. On voit bien les priorités.

Les 108 milliards reçus par la Grèce du FMI et de l’UE ont d’ailleurs été presque intégralement versés aux banques, ce qui laisse peu pour le développement du pays.

On apprend aussi que si l’Allemagne a donné son accord à ce prêt, ce n’est pas sans condition : interdiction à la Grèce d’annuler les importations de matériel allemand, et notamment d’armement… Là encore, on voit le jeu de dupes. C’est particulièrement glaçant je trouve.

Enfin, tous les pays qui sont entrés en procédure de « soutien » par le FMI ont vu l’espérance de vie de la population diminuer de 5 à 10 ans. C’est ce à quoi peut s’attendre la Grèce.

La dette odieuse

En 1927, Alexander Sack (ministre du tsar de Russie qui a émigré en Occident après la révolution d’Octobre, et professeur de droit à Paris) théorise la notion de la dette odieuse. Il définit trois conditions :

  1. Le régime du pays qui a contracté les prêts à l’insu et sans l’assentiment des citoyens du pays.
  2. Les prêts ont été gaspillés dans des activités qui ne bénéficient pas aux citoyens.
  3. Le prêteur était au courant de la situation et jouait l’indifférent.

L’idée semble progressiste ou même révolutionnaire, mais avait déjà été utilisée dans le passé. D’abord par le Mexique en 1883 qui dénonce la dette contractée par l’Empereur Maximilien (merci Napoléon III !) lorsqu’il est renversé par l’armée populaire :

Nous ne pouvons pas reconnaître, et par conséquent ne pourront être converties, les dettes émises par le gouvernement qui prétendait avoir existé au Mexique entre le 17 décembre 1857 et le 24 décembre 1860 et du 1er juin 1863 au 21 juin 1867.

Puis par les USA qui en 1898 annexent Cuba et récupèrent en même temps la dette du régime colonial Espagnol ; ils obtiennent gain de cause par le traité de Paris, et la dette est entièrement annulée. Enfin par le Costa-Rica en 1923, quand la dictature est renversée.

Là où l’on rigole, c’est que les USA ont réintroduit cette notion de dette odieuse très récemment lors de l’invasion de l’Irak. Mais il ne fallait surtout pas utiliser ce terme, car son application aurait pu créer une jurisprudence, et ouvrir la porte à d’autres États (Grèce, Irlande, Portugal…). L’affaire s’est donc réglée en catimini au sein du club de Paris, qui a annulé 80% de la dette de Saddam Hussein.

L’Équateur

Le reportage nous emmène ensuite en Équateur : le pays pourrait être riche (grâce à son pétrole) mais les dictatures se suivent et creusent la dette, aidées en cela par  les USA, volontiers prêteur de sommes énormes, souvent pour des travaux structurels faisant travailler des entreprises américaines et ne bénéficiant localement qu’aux riches. La dette étant payée par le peuple bien entendu, un bel exemple du fonctionnement du capitalisme.

En 1982, le FMI arrive en Équateur avec un comité de sages. Le pays est poussé à emprunter de plus en plus pour rembourser ses anciennes obligations. La moitié du budget national est consacré au remboursement, laissant peu de ressources pour la santé, l’éducation, etc… Le peuple se révolte.

L. Guttierez prend les rênes du pays et promet une politique sociale, se présentant presque comme un socialiste. Mais dès sa prise de fonction, il signe un nouvel accord avec le FMI et impose de nouvelles mesures d’austérité.

Le peuple se révolte à nouveau, et Guttierez doit s’échapper en hélicoptère, tout comme l’avait fait le président de l’Argentine ! Le vice-président Palacio prend alors le pouvoir, commence avec de bonnes intentions, mais va se soumettre rapidement à Washington.

Rafael Correa, ministre de l’économie, veut imposer que 80% des revenus pétroliers soient investis dans le développement du pays, et seulement 20% pour le remboursement de la dette. La Banque Mondiale refuse et menace, Rafael Correa démissionne.

Quelques mois plus tard, il est élu président par le peuple qui se tourne vers le seul politicien à avoir résisté aux pressions internationales. Il a étudié l’économie en occident, et sait comment affronter la Banque Mondiale et le FMI.

Sa première décision est de limoger les représentants de la Banque Mondiale. Il organise ensuite une commission d’audit intégral de la dette publique de l’Équateur. Les experts nommés sont des économistes réputés, mais pas ceux du FMI ou de la BM.

Plus d’un an sera nécessaire, mais la commission constate qu’une grande partie de la dette n’est pas légitime. Tous les travaux sont rendus publiques, permettant au peuple de se faire sa propre idée.

Le gouvernement déclare la cessation de paiement pour 70% de la dette obligataire de l’Équateur. Les créanciers commencent alors à vendre leurs bons jusqu’à 20% de leur valeur… et le gouvernement à les racheter en secret ! Avec 0,8 milliard de dollars, il rachètent ainsi 3 milliards de dettes.Si l’on prend en compte les intérêts qu’il aurait fallu payer sur ces sommes, il s’agit en fait de 7 milliards de dollars qui furent économisés.

Cette diminution importante a grandement permis l’amélioration des conditions de vie : emploi, santé, éducation.

La Grèce

Nous y voilà : pourquoi la Grèce ne ferait-elle pas faire un audit de sa dette ? Celle-ci est-elle totalement légitime ?

Quand par exemple Siemens verse des pots de vins à des responsables ou à des ministres, pour obtenir des contrats, comme cela se passe depuis une dizaine d’années, cette dette est clairement illégale. Pourtant la justice grecque n’a rien fait.

En 2001, avec les fameux swaps, la Grèce a largement hypothéqué son avenir pour mieux masquer la réalité. Goldman Sachs a gagné des millions avec cet accord. Lors d’une ommision d’enquête aux US, un sénateur américain dit :

Je me sens particulièrement concerné par le rôle des institutions financières, en particulier GS : Quand la Grèce s’est mise à l’héroïne des prêts d’argent, GS était le dealer.

En fait, GS d’une main aide le gouvernement grec, et de l’autre l’attaque. Mieux que ça, un ex-employé de GS a été nommé chef de l’organisme de la dette publique grecque.

Comme on l’a vu plus haut, quand l’Allemagne conditionne le prêt de l’UE à la poursuite des achats d’armement, et que l’on recommande aux grecs de faire des économies sur les retraites et le niveau de vie… les champs d’intérêts des grandes sociétés d’armement et des industries qui exportent sont préservés avant tout. Et c’est la même chose avec la France, rassurez vous.

L’organisation des JO est du même type, et a largement creusé la dette du pays. Dépenses somptueuses et tout à fait exagérées. On n’ose imaginer le montant des pots de vins

Conclusion

Depuis mars, un groupe de personnes de tous les horizons politiques sociaux a pris l’initiative de la création d’une Commission d’audit en Grèce. Académiciens, artistes, syndicalistes originaires de nombreux pays se sont pressés pour soutenir cette initiative.

Elle devra démontrer, sur la base de la jurisprudence grecque et internationale, quelle part est odieuse ou illégale. Et en conséquence ne pas la rembourser. Il est immoral de payer une dette immorale.

Et peut-être verra-t-on le premier ministre grec lui aussi prendre l’hélicoptère !

2 réflexions sur « DebtOcracy »

  1. Argentine: justement, il n’y avait pas de « liberalisme radical », puisque le taux de change etait « verrouille »! Donc le prix le plus important de tous, celui de la monnaie, etait fixe administrativement, et non pas par le marche. (N.B.: cette politique de change fixe etait un choix argentin, tolere et non pas impose par le FMI).

    « Tous les pays qui sont entrés en procédure de « soutien » par le FMI ont vu l’espérance de vie de la population diminuer de 5 à 10 ans. » Voyons, voyons! Tant qu’a inventer des chiffres, autant en inventer qui soient vaguement plausibles!

    Grece: justement, c’est une democratie. Imparfaite, avec une forte corruption, peu de transparence. Eh oui, les Grecs ne sont pas les Suedois. Mais ce sont bien les Grecs qui ont elu et reelu Papandreou (le pere du Premier Ministre actuel), epoux de Mimi (hotesse de l’air de 40 ans plus jeune que lui), qui depensait l’argent public a tire-larigo (ils trouvaient ca marrant, de toute facon c’etait l’Europe qui payait), elu sur des promesses (tenues) de creation massive de sinecures publiques. Dire que les Grecs ne savaient pas ce qui se passait, c’est vraiment les prendre pour des imbeciles. C’est comme si on disait que les Italiens ont elu et reelu et reelu Berlusconi sans savoir qu’il est lubrique et corrompu. Il y’a un moment ou on doit quand meme faire face a ses responsabilites. Dans une democratie, on assume ses choix, c’est comme ca. Sinon, il faut avoir le courage de ses opinions et proposer clairement l’abolition de la democratie en Grece, et proposer une alternative.

    Ceci dit, aujourd’hui, pour la Grece, la solution est claire:
    -defaut de paiement
    -sortie de l’Euro
    -si necessaire, recapitalisation des banques impactees par le defaut de paiement.

  2. Moi ce qui me plait là-dedans, c’est cette notion de « dette odieuse » et la façon dont elle a été utilisée par les US lors de l’invasion de l’Irak. Comme quoi, quand on veut, on peut très bien « effacer » une partie de la dette sans que personne ne vienne crier au loup.

    Et l’audit faite par l’Equateur pour identifier quelles parties de la dette sont effectivement redevable par la nation est aussi très pertinent.
    Quel usage est fait de ces emprunts ? quand c’est une dictature (et la Grèce en était une il n’y a pas si longtemps), quand le « banquier » prête mais en échange de contrats d’armements maintenus alors que le pays a notoirement besoin de couper dans ses dépenses…

    On peut aussi y voir une arnaque des banques : je te prête des sommes énormes pour des projets qui rapportent aux grands groupes internationaux, sans parler de la corruption, et un beau jour, je serre le nœud coulant… Et le banquier gagnerait toujours ? le jeu est manifestement truqué, et ressemble plus à une arnaque globale (capitalistique).

    Enfin, il faut arrêter de dire « c’est une démocratie, donc le peuple est responsable ». La démocratie moderne, représentée par une classe de dirigeants très aisée, associée aux grandes familles représentant l’industrie du pays etc… n’a malheureusement plus grand-chose à voir avec un gouvernement « par le peuple pour le peuple ».
    Nous sommes en fait dans une oligarchie qui se cache derrière ce joli nom pour mieux tromper son « monde ».

    Et les médias jouent le jeu, puisqu’ils dépendent de cette oligarchie pour vivre. D’ailleurs je suis en train de lire « la fabrique du consentement » de Noam Chomsky où ce modèle est largement décortiqué.

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