Autobiographie ou mes expériences de vérité – Gandhi

Autobiographie ou mes expériences de vérité - Gandhi Tout le monde connaît Gandhi, le pionnier de la non-violence qui mena à l’indépendance de l’Inde. Dans cette autobiographie, il va nous raconter comment il s’est construit : son enfance, son mariage très jeune, ses études en Angleterre, l’Afrique du Sud où il exerce la profession d’avocat (qu’il qualifie de foncièrement viciée ! suivez mon regard…) et où il initiera ses premières luttes, puis son retour en Inde et le début de son implication politique.

Il arrêtera malheureusement sa narration en 1925 (né en 1869), soit avant la fameuse « marche du sel » et le véritable début de la lutte pour l’indépendance de l’Inde. Mais ses deux principes fondamentaux sont déjà largement établis à cette date, à savoir le satyâgraha et l’ahimsâ. Ce qui peut se résumer par vérité, résistance civile et non-violence.

Gandhi procède beaucoup par des voeux, auxquels il se tient farouchement. Ces principes viennent des textes sacrés de l’hindouisme : il étudie les textes, leur signification profonde, en discute avec des amis, forge sa conviction profonde… et prononce un vœu, auquel il se tiendra tout le reste de sa vie.

A bien des égards, c’est un ascète. Toujours il fera en sorte que ses actes soient en accord avec ses pensées. Il travaillera sans relâche à ce que ces dernières soient le moins possible diverties par les tentations de toutes sortes. Enfin, il cultivera l’humilité la plus totale. On peut résumer ça en une discipline spirituelle sans concession (purification, renoncement, etc…). Extrait de la Baghavad Gîtâ :

Si l’homme arrête son attention sur les objets des sens, de l’attrait naît en lui pour eux.
De l’attrait sort le désir ; du désir se forme la colère.
De la colère naît l’égarement ; de l’égarement, la confusion de pensée ;
De la confusion de pensée, la ruine de la raison ; de la ruine de la raison, il meurt.

Voici quelques extraits pour voir tout cela d’un peu plus près…

La Vérité

Sur la quatrième de couverture on peut lire :

Décrire la vérité, telle qu’elle m’est apparue, et de la façon exacte dont je l’ai atteinte, voilà quel a été mon effort incessant.

Dès les premières pages, Gandhi nous en dit plus sur ce qu’il appelle vérité :

A mes yeux, la vérité est principe souverain, qui en enrobe nombre d’autres. La vérité dont il s’agit ici, n’est pas seulement la véracité du verbe, mais véracité de la pensée aussi bien ; ni seulement vérité relative comme nous la concevons, mais Vérité Absolue, Principe Éternel, qui est Dieu. Il existe d’innombrables définitions de Dieu, parce que Ses manifestations sont innombrables. Elles me terrassent d’étonnement, de respect et de peur, et pour un moment me laissent tout muet. Mais j’adore Dieu comme Vérité seulement. Je ne L’ai pas encore trouvé, mais je Le cherche sans relâche. Je suis prêt à sacrifier ce que j’ai de plus cher à la poursuite de cette quête. Dût ce sacrifice réclamer ma vie même, j’espère être prêt à le consentir.

Un peu auparavant, il dit :

Ce que je voudrais mener à bien – ce que j’ai tenté laborieusement , langui de mener à bien, ces trente années — c’est d’atteindre à l’accomplissement de soi, de voir Dieu face à face, de parvenir au Moksha (délivrance). Je ne vis, je ne me meus, je n’ai d’être que dans la poursuite de cette fin. Tout ce que j’accomplis par le moyen de la parole ou de l’écrit, comme toutes mes aventures dans le domaine de la politique, tend vers cette même fin. Mais comme je n’ai pas cessé de croire, tout au long de ma route, que ce que peut faire un homme, tous le peuvent, mes expériences n’ont pas été menées dans le secret du cabinet mais aux yeux de tous, et je ne pense pas que ce fait trahisse ou diminue leur valeur spirituelle.

Nous voilà prévenus : Gandhi est religieux, très religieux même !!

Le mode de vie

Tout cela l’amène à des valeurs et des comportements très marqués. Il est bien entendu végétarien (voir plus loin), et se contentera d’ailleurs bien souvent d’un régime de fruits (frais et secs), ce qui est selon lui suffisant.

Côté médecine, c’est à peu près pareil : adepte de l’hydrothérapie (après avoir lu un livre de Louis Kuhne) et autres médecines naturelles, il prône plutôt le jeûne et pratique l’auto-médication, s’improvisant même médecin pour sa famille. Même gravement malade, quand un bouillon à base de poulet lui est prescrit, il refusera au risque d’y laisser sa peau ; et pas seulement pour lui, mais pour sa femme et ses enfants.

Marié très jeune, un temps porté sur le plaisir, il manque la mort de son père préférant s’éclipser pour rejoindre sa jeune femme. Il en éprouvera une grande honte : son esprit avait cédé aux griffes du désir charnel, alors qu’il aurait du être auprès de son père à lui prodiguer les derniers soins. Il lui faudra longtemps pour se libérer des chaînes du désir, et pratiquer l’abstinence totale, par le vœu de Brahmacharya. Il ne s’agit pas seulement d’abstinence sexuelle, mais de l’absence de toute pensée impure.

L’ahimsâ

C’est un mot sanskrit qui signifie non-nuisance et non-violence ; c’est pour Gandhi le fondement de la quête de vérité. Ceux qui le pratique sont végétariens puisqu’il ne faut pas faire souffrir les créatures. Et les conditions de traites des vaches étant ce qu’elles sont, Gandhi ne boira pas de lait non plus. Un jour, très malade, son médecin arrive à la persuader que son vœu ne s’applique pas au lait de chèvre. Il se laissera convaincre, mais regrettera cette faiblesse par la suite (sans parvenir à s’en libérer) : car si son vœu n’est pas réellement brisé, il l’est dans le principe.

Si ces choix peuvent nous paraître ultimes… certains principes sont toutefois très intéressants, comme la bienveillance :

Il faut non seulement souhaiter le bien de l’adversaire, mais voir ses propres fautes à travers un verre convexe et faire exactement l’inverse avec celle des autres pour arriver à une juste estimation des premières comme des secondes.

Autre conseil remarquable : ne jamais s’attaquer aux hommes, mais à leurs actes.

L’homme et ses actes sont deux choses distinctes. Alors qu’une bonne action doit amener l’approbation, et une mauvaise, la réprobation, le fauteur de l’acte, qu’il soit bon ou mauvais, mérite toujours respect ou pitié, selon le cas. « Hais le péché, non le pêcheur » — c’est là un précepte que l’on applique rarement, s’il est aisé à comprendre : et c’est pourquoi le venin de la haine se répand si vite dans le monde. […] S’opposer à un système, l’attaquer, c’est bien ; mais s’opposer à son auteur, et l’attaquer, cela revient à s’opposer à soi-même, à devenir son propre assaillant.

Le Satyâgraha

Gandhi n’a aucune volonté d’indépendance de l’Inde au départ. Il considère l’Angleterre comme un grand frère, aidant l’Inde à s’émanciper dans le cadre de l’Empire Britannique, ce dernier existant pour le bien du monde (il avoue être crédule). Il montera même un corps d’infirmiers lors de la guerre des Boers, et récidivera d’ailleurs lors de la première guerre mondiale, alors qu’il se trouve à Londres.

C’est en Afrique du Sud, où il organise des mouvements pour défendre les droits des travailleurs indiens, qu’il invente le mot de Satyâgraha : le terme employé auparavant était « résistance passive », mais Gandhi se rend compte que les européens lui donnent un sens trop étroit : c’est l’arme des faibles, pouvant facilement dégénérer en violence. Il cherche alors un autre terme, et c’est son fils qui le trouvera finalement : Satyâgraha vient de sat = vérité et de âgraha = fermeté.

De retour en Inde, il procédera de même pour lutter contre l’oppression que l’Empire Britannique impose aux paysans indiens (impôts injustes, lois discriminatrices, puis massacres). Il prononce des discours au Parti du Congrès et en deviendra le président en 1921. Il relancera le vêtement traditionnel de l’Inde (le dhoti), fait avec du coton filé avec un charkha (rouet) alors que tous les textiles venaient de l’Empire, et que le savoir-faire allait se perdre.

Et donc…

Voilà un livre très agréable à lire, fait de chapitres très courts, une page ou deux, et bien sûr empreints de vérité ! Gandhi, avec sa quête de pureté, n’est pas du genre à l’embellir… et son humilité étant totale… on peut par ce récit comprendre son cheminement, même si avec notre culture occidentale nous sommes très loin de tels principes !

On peut aussi constater les résultats qu’il obtient en se tenant à ces simples principes, et imaginer le charisme qu’il devait dégager. Mais que dire de tout ce renoncement ? ce refus des plaisirs terrestres ? ne pouvait-il pas chercher la Vérité sans l’assimiler à Dieu ? S’il avait été occidental, il serait probablement adepte de Platon et chrétien très pratiquant… Il conclue le livre ainsi :

La conquête des passions subtiles me paraît une entreprise infiniment plus dure que la conquête physique du monde par la force des armes. Depuis mon retour aux Indes, pas un instant je n’ai cessé de vérifier la persistance, au tréfonds de moi-même, des passions dormantes et latentes. La conscience que j’en ai, m’a pénétré d’un sentiment d’humiliation, mais non de défaite. L’expérience, les expériences, m’ont soutenu et donné de grandes joies. Mais je sais qu’il me faudra passer encore pas un chemin ardu qui s’étend devant moi. Il me faudra me réduire à néant. Tant que l’homme ne se place pas, de son plein gré, au dernier rang de ses frères humains, il n’est pas de salut pour lui. L’Ahimsâ, c’est l’extrême confin de l’humilité.
En disant adieu au lecteur, de moins pour le présent, je lui demande de se joindre à moi pour prier le Dieu de Vérité : Puisse-t-Il m’accorder, en faveur suprême, l’Ahimsâ en pensée, en paroles et en actes.

On ne peut que lui souhaiter d’avoir atteint son but…

Une réflexion sur « Autobiographie ou mes expériences de vérité – Gandhi »

  1. C’est vrai que pour les sensibilités courantes actuelles, l’attitude de Gandhi face aux objets des sens peut paraître un peu échevelée. C’est que la mode actuelle est de n’être que recherche et délectation de ce genre de satisfactions, qui rassurent, et consolent de la dureté des temps (peut-être elle-même fruit et cause de cette attitude – mais par là on s’embarque pour bien loin…)
    Mais ce monde marche sur la tête. (dans plusieurs des sens du terme…)
    J’ai pas mal donné dans la recherche de satisfactions sensuelles. L’attitude de Gandhi ne me semble ni étrange, ni excessive.
    Occidental, aurait-il été un chrétien très pratiquant ? Il faudrait s’entendre sur les termes pour aller plus loin dans cette question. Il y a des chrétiens très pratiquants qui ne dérangent personne : Ils se réunissent régulièrement pour des pratiques spirituelles dans des endroits dédiés, vêtus de façon à montrer leur respect, d’eux mêmes et des autres. Ensuite ils rentrent chez eux et se comportent comme tout le monde.
    Ce sont des pratiquants sages, et je ne me moque pas. Ces pratiquant-là ne dérangent personne, sauf peut-être les économistes qui préféreraient les voir chercher l’intériorité par des voies qui font marcher le commerce.
    Mais à partir du moment ou une pratique religieuse sort des sanctuaires ou du secret des âmes et viendrait influencer notre façon de manger, de boire, de nous distraire, d’éduquer les enfants, de travailler, de nous reposer, de nous soigner Etc., alors à ce moment là nous entrons, au regard du monde actuel dans des comportements étranges et excessifs.
    Il y a eu des gens qui pour s’être engagés dans ces voies, ont inquiété des travailleurs sociaux – ces travailleurs sociaux dont l’infinie sagesse éclate aux yeux de chacun. Et parfois les gendarmes se sont dérangés. Et il est arrivé que des enfants doivent changer de maison.
    Et parfois à juste titre, bien entendu. Mais pas toujours.
    Dans ce monde qui marche sur la tête, essayer de remarcher sur ses pieds implique recherche et tâtonnements, et peut exposer à la réprobation inquiète.
    Ce à quoi le pratiquant discret n’est pas exposé.
    Quel chrétien très pratiquant aurait été – serait – le Mahatma Gandhi ?
    Il faudrait s’entendre sur les termes.

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