Beijing coma – Ma Jian

Beijing coma - Ma Jiang J’ai lu ce livre lorsque je me suis cassé le coude. Il ne m’aura pas fallu moins de deux semaines d’inactivité totale pour lire ce gros pavé de 900 pages, relatant sous forme de chronique les évènements de la place Tian’anmen, et au passage vous donne une idée de ce que peut être la vie quotidienne en Chine.

Le narrateur, Dai Wei, un étudiant, est dans le coma. Il a reçu une balle dans la tête lorsque le Parti a décidé de nettoyer la place occupée depuis un mois par les étudiants. Il est allongé sur un lit, dans l’appartement de sa mère, et est conscient de tout ce qui se passe autour de lui. Alors il raconte… à la fois comment tout cela s’est passé, mais aussi ses souvenirs d’enfance, la vie quotidienne de sa mère, les problèmes auxquels elle est confrontée.

Un peu d’histoire : en 1989, Hu Yaobang meurt. C’est l’ancien président du Parti, déchu de tous ses fonctions en 1987. Il est populaire, car c’était un réformateur, ayant initié la réhabilitation des droitistes : en 1956, Mao avait lancé le mouvement des cents fleurs, qui encourageait les intellectuels à s’exprimer. C’était un piège, et ceux-ci seront envoyés à la campagne ou dans des camps de travail, et donc qualifié de droitistes. Au passage, Hu Yaobang était aussi partisan d’une politique pragmatique au Tibet, demandant le retrait de milliers de cadres chinois…

Il sera remplacé par Zhao Ziyang, en poste au moment des évènements. Opposé à la répression violente qui a lieu, il sera lui aussi écarté du Parti et placé en résidence surveillée.

Les étudiants décident de manifester pour demander plus de démocratie, et moins de corruption. En rendant hommage à Hu Yaobang, ils pensent pouvoir légitimer leur mouvement. Ils occupent alors la place Tian’anmen, presque par hasard. D’autant que très vite des mouvements dissidents se créent : à la moindre divergence d’opinion, un nouveau mouvement apparaît, avec son propre leader, sa propre déclaration politique, son propre service d’ordre. Certains sont partisans d’une action plus radicale, d’autres changent d’avis d’un jour à l’autre. Ils se savent également infiltrés par le Parti… mais ce n’est pas une nouveauté pour eux, le Parti est omniprésent en Chine.

Après les évènements, Yu Jin, qui travaille désormais à Sanghaï pour une entreprise financière, raconte à Dai Wei (sans savoir si celui-ci l’entend) :

«Dai Wei, ils nous ont peut-être séparés, mais nous devons continuer la lutte. Quand ils m’ont arrêté, j’ai refusé de plaider coupable. Je leur ai juste dit ce qui s’était passé. J’ai dit que tu étais le patron, bien sûr. Je savais que tu étais déjà dans le coma, et que ça ne changerait rien pour toi. Tous ceux qui avaient des liens avec l’étranger sont partis. Ceux qui sont restés ont abandonné les études et se sont mis dans le commerce. Si tu veux vivre avec un minimum de dignité à notre époque il faut faire de l’argent. L’université de Beijing a perdu son âme. Personne ne veut plus y entrer. Les étudiants sont obligés de faire une année de service militaire avant de commencer le cursus maintenant, ce qui fait qu’il dure quatre ou cinq ans».
Qu’est-ce qui clochait avec notre génération ? Quand les fusils étaient pointés sur nous, nous continuions à perdre notre temps à nous chamailler. Nous étions courageux mais inexpérimentés, et nous ne comprenions pas grand chose à l’histoire de la Chine.

Et le Parti est tellement omniprésent qu’il est impossible d’y échapper :

– Aujourd’hui, la Place est notre seul foyer, dit Wang Fei. Nous n’avons plus nulle part ou aller. Si nous retournions chez nos parents, ils nous livreraient à la police.
– Oui, Mao a détruit le système familial traditionnel afin que tous soient obligés de dépendre du Parti, expliqua Tian Yi. Nous sommes une génération d’orphelins. Nos parents ne nous ont pas soutenus affectivement. Dès que nous sommes nés, ils nous ont livrés au Parti et l’ont laissé contrôler nos vies.
– Si nous devions échouer maintenant, nos parents prendraient le parti du gouvernement et exigeraient notre châtiment, fit Bai Ling. Le jour de mes dix-huit ans je suis entré au Parti. Mon père m’a dit : « à partir de ce jour, tu appartiens au Parti ». Comment pourrai-je rentrer à la maison désormais ? Les orphelins doivent apprendre à tracer leur propre chemin dans la vie. […] Pu Wenhua et Hai Feng ont livré des informations aux militaires pour assurer leur avenir. Le gouvernement n’aura plus besoin de communiquer avec nous. Ces deux types ont carrément détruit notre mouvement. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un bain de sang. Il n’y a que si des flots de sang coulent sur la place Tian’anmen que les yeux des Chinois finiront par s’ouvrir. » Elle fronça les sourcils et éclata en sanglots.

La vie quotidienne de la mère de Dai Wei n’est pas triste non plus. Les soins apportés à son fils l’amènent dans des hôpitaux où sauver une vie n’est pas toujours la première préoccupation, mais plutôt l’argent et la peur de sanctions, comme ce dialogue entre deux infirmiers :

– Y a-t-il un espoir pour le comateux d’à-côté ? Il a été renversé par une voiture, c’est ça ?
– Ça fait une semaine. S’il meurt maintenant, la cause de la mort sera enregistrée comme insuffisance de soins, au lieu d’accident de la route, et nous perdrons toutes nos primes.
– Personne n’est venu le réclamer. Les autorités arrêteront de payer ses soins demain. Je crois qu’on devrait le balancer devant l’hôpital.
– Mettons-le dans l’incinérateur. On dira qu’il est mort de septicémie.
– Non, tu ne peux pas faire ça. Ça n’est pas bien. C’est peut-être un riche homme d’affaire et il pourrait nous rembourser quand il sortira du coma.

Un bon bouquin, avec quelques longueurs toutefois… Une vision de la Chine contemporaine assez complète, avec son ouverture au capitalisme, mais sous contrôle total du Parti. A lire ce livre, on n’a vraiment aucune envie d’aller en Chine, tant le régime politique est omniprésent, dictant son bon vouloir à une population encore  très attachée aux coutumes millénaires. La démonstration d’une belle dictature, au cas où on l’oublierait…

Je termine l’article par une photo trouvée sur Wikipedia : une bicyclette détruite et les traces de chenille d’un char, monument à la mémoire des victimes de la répression de Tian’anmen situé à… Wroc?aw, en Pologne. Le nombre de victimes n’est toujours pas connu à ce jour (Amnesty International parle d’un millier), et le gouvernement chinois prétend toujours qu’il a du intervenir contre des voyous mettant en péril le socialisme.

à la mémoire des victimes de Tien'anmen

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