Société individualiste ?

charivari.jpg A la dernière émission de Charivari (snif) le 29 juin dernier, quelques extraits d’émissions précédentes ont été diffusés. Parmi ceux-ci un interview de Bernard Stiegler (philosophe) m’a passionné: il y explique comment a été mis en place après guerre, pour régler des problèmes de surproduction, une politique de manipulation des pulsions et de l’inconscient (collectif) pour faire des citoyens des consommateurs. Sujet passionnant, n’est-ce pas ?

J’ai « podcasté » l’émission, écoutée et réécoutée… J’ai aussi extrait l’interview en question. voilà la bande son si vous voulez l’écouter:

[audio:https://pled.fr/wp-content/uploads/2006/09/charivari.mp3]

Pour ceux qui préfèrent lire, voici un résumé de ce qu’il explique.

Charivari, excellente émission de France-Inter, à l’avenir incertain, passait de 18 à 19h et était présentée par Frédéric Bonnaud. On y parlait soit d’un livre, d’une exposition, d’un film, et toujours sur un ton qui ne prenait pas l’auditeur pour un imbécile.

Ce jour-là, j’étais parti courir (avec mon balladeur FM dans les oreilles) au bois de Boulogne, juste après le boulot. Il faisait beau, et je fus vite captivé par ce que j’entendais.
Bernard Stiegler explique comment notre société est pour lui destructrice du narcissisme. On parle pourtant de notre société comme d’une société individualiste, non ?

Tout commence au 19e siècle: c’est la révolution industrielle, on produit des objets, toujours nouveaux: c’est la modernité ! Puis survient la crise de 29, et un peu plus tard la seconde guere mondiale. L’amérique engage alors un effort de guerre qui l’amènera, une fois la guerre finie, dans une situation de surproduction. Il faut alors faire consommer les gens… Un conditionnement psychologique est mis sciemment en place, basé sur des travaux scientifiques (travaux de Bernays, voir Propaganda).
Vance Packard, un journaliste américain, décrit tout ceci dans un livre: « La persuasion clandestine ». Il décrit l’usage de manipulation des pulsions et de l’inconscient pour faire consommer des objets… et aussi rendre obsolètes les choses existantes. Il décrit aussi l’usage qu’en feront les politiciens…
La grande question industrielle devient: « Comment capter la libido des individus et des groupes… et petit à petit leur faire perdre leur singularité. Or on n’aime que la singularité…

Entre 70 et aujourd’hui, la télévision et la radio se développent et deviennent privatisées; elle sont financées par la publicité. La télévision devient un instrument qui sert à vendre. Songez à la télévision aux USA: il suffit de la regarder une heure pour se rendre compte…
Les programmes ne servent pas à vendre: c’est le piège pour attirer les mouches ! Les mouches, ce sont les consciences qui viennent se scotcher sur la télévision: les médias vendent des temps de conscience pour pouvoir faire adopter des comportements de consommation d’hyper-masse.
Vous remarquerez que l’on est très proche de la fameuse phrase de Le Lay (TF1), à propos du temps de conscience disponible pour la publicité.
Et l’on est loin de l’image d’une société individualiste ! plutôt une société de consommation de masse, où les gens sont des moutons… (De Gaulle avait dit « des veaux » ?).

C’est ce Stiegler appelle la débandade, car c’est une chute du désir: la grande industrie tire sur la consommation de l’énergie libidinale des individus. Elle capte leur temps de conscience.
Certains de ces spectateurs, les plus faibles, qui regardent tous les jours le même programme, sont amenés à ne plus avoir de passé individuel (c’est une tendance bien sûr, et cela laisse un espoir !). Ces gens-là sont « dénarcissisés », ils n’ont plus de singularité… et commencent à se haïr, ou plus exactement à ne pas s’estimer.

Et donc à ne plus estimer les autres… on revient à Freud: pour estimer les autres, il faut s’estimer soi-même… le narcissisme primordial !

Etre un individualiste ne veut pas dire égoïsme. Bien compris, c’est une forme de générosité sociale: « je suis quelqu’un de bien dans ses bottes, j’existe, je suis content de vivre, je m’affirme dans ma singularité vers les autres, et cela me rend hospitailer ».

Un message d’espoir, en quelque sorte !

2 réflexions sur « Société individualiste ? »

  1. Bonjour,
    Je m’appelle Sabrina, j’habite en Suisse et je suis en 1ère année à la Haute Ecole Spécialisée en filière Travail Social dans le but de devenir éducatrice sociale.
    J’aimerai écrire mon mémoire sur la société en surconsommation, la société individualiste qui est en danger vu qu’elle est en train de perdre ses valeurs morales…
    Ou pourrais je trouver de la documentation sur ce sujet ? Est ce que Bernard Stiegler a paru un livre ?

    Merci de votre réponse.
    P.S: Votre site est très bien amménagé.

  2. Bonjour Sabrina,

    Je ne sais pas si suis vraiment qualifié pour te répondre… tes profs seront certainement plus à même de te guider.

    Concernant Bernard Stiegler, je n’ai rien lu de lui, mais si tu regardes la page wikipedia, tu verras sa bibliographie, et par exemple ce livre : « La Télécratie contre la démocratie » qui doit être intéressant pour ton sujet. Et sans doute d’autres. Tu peux lire cet article trouvé sur le web au sujet de ce livre.

    Tu peux aussi regarder mon article sur Propaganda, et notamment la préface de Norman Baillargeon qui explique très bien comment la société est devenue une société de consommation : ce n’est pas par hasard… De plus, tu peux la lire en ligne ici.

    Après… tu parles de la perte des valeurs morales, mais d’où venait cette morale ? n’était-ce pas aussi une forme de conditionnement ? mais basé sur autre chose que l’argent… Il est clair qu’aujourd’hui, la morale est économique. On ne « fabrique » plus des citoyens, mais des consommateurs. La démocratie est en grand danger, c’est le moins que l’on puisse dire.

    Marx, comme Che Guevara, parlaient de « l’homme nouveau », qui une fois libéré soit du travail, soit de la dictature, et grâce à l’éducation, construirait enfin une société où l’homme serait au centre. On attend toujours !

    Voilà, je pense qu’un bon point de départ est Bernays, puisque tout a commencé à ce moment là. Marx pour le travail et le capitalisme… je pourrai ajouter André Gorz pour le capitalisme financier, ultime aboutissement. Et Nietzche pour la morale ! 😉

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