Les falsificateurs – Antoine Bello

Les falsificateurs - Antoine Bello Un bandeau vert entourait le livre que me montrait le libraire : «précède LES ECLAIREURS, prix france culture-télérama 2009». Ce dernier n’est pas encore disponible en format poche, mais « Les falsificateurs » oui. Et puisqu’il vaut mieux commencer une histoire par son début, j’ai donc pris celui-ci.

Un jeune diplomé en géographie se fait engagé par un cabinet d’études environnementales. Jusque là tout va bien. Très vite, son supérieur lui propose de travailler pour une organisation secrète, d’envergure mondiale, et dont les missions consistent principalement à établir de faux rapports, j’ai nommé le CFR : Consortium de Falsification de la Réalité. Altération de documents existants, production de faux, tout cela afin de modifier le cours de l’histoire sans jamais apparaître au devant de la scène médiatique.

Jeune homme honnête, Sliv Dartunghunver va vite comprendre qu’il est essentiel de connaître les buts de cette mystérieuse organisation. Hélas, c’est précisément la seule chose qu’il est inutile de demander, seuls les plus hauts dirigeants les connaissent. Le comité directeur du CFR réfléchit au sens de l’histoire. Il en découle un Plan par le biais de directives. A eux d’intégrer ces directives dans leurs productions.

Et Sliv va faire ce qu’on lui demande, sans en comprendre les buts finaux, se bornant tout de même à quelques états d’âme. Lorsqu’il se croira impliqué dans un meurtre (en fait le CFR le teste), il démissionnera mais reviendra six mois plus tard. Car ce travail le fascine, il est doué, et il grimpe vite dans la hiérarchie… son but est d’arriver au sommêt pour enfin comprendre. Triste comportement d’un type qui en fait accepte d’obéir à une autorité sans comprendre ses actes et de mettre ses idéaux dans sa poche parce qu’il en retire des bénéfices.

Le problème du roman, c’est qu’on a du mal à accrocher à cette histoire de gigantesque manipulation prétendant « modeler » l’Histoire humaine. Passe encore les scénarios de falsification imaginés, peu crédibles, où l’auteur s’en donne à coeur joie, de la chienne Laïka à Christophe Colomb, en passant par les bushmen du Kahalari. J’aurai préféré moins de scénarios et plus d’élaboration. Mais le discours du directeur du Plan, homme pourtant sage et avisé, présente un « sens de l’histoire » très libéral… Extraits :

Nous sommes extraordinairement confiants sur l’avenir de l’humanité. Tous les indicateurs sont que nous utilisons – et que nous avons pour certains reconstitués sur plusieurs siècles – sont au vert : mortalité infantile, espérance de vie, alphabétisation, nombre de victimes des guerres de religion ou des épidémies évoluent tous dans le bon sens. L’économie de la planète connaît une expansion sans précédent, nourrie par le développement du commerce internationnal et l’innonvation technologique. Cela ne signifie évidemment pas que chacun profite également de la mondialisation. Le Japon, certaines nations européennes qui ont à la fois perdu le goût du travail et celui de faire des enfants ont du souci à se faire. Les français qui n’ont que le mot de redistribution à la bouche n’arrivent pas à se résoudre à partager leur richesse avec des Indiens ou des Chinois. Et pourtant, pour un emploi qui disparait à l’Ouest, ce sont dix familles qui sortent de la pauvreté en Inde.

Et Sliv avale tout ça d’un trait :

Le progès de l’humanité passe par l’assimilitation et jamais par le rejet. […] Si la Chine tardait à se libéraliser, c’était sans doute qu’on ne pouvait pas diriger – au moins en cette fin de XXe siècle – un pays de plus d’un milliard d’habitants comme on dirigerait le Danemark ou Singapour. Si les néo-conservateurs américains gagnaient en influence, c’est sans doute parce qu’ils n’avaient pas tout à fait d’affirmer que les Etats-Unis assuraient désormais seuls la sécurité de la planète, mission dont semblait s’être graduellement déssaisie l’Europe dont la protection sociale absorbait une part grandissante de la richesse. […] Sans doute exprimait-il mieux que je n’aurais su le faire cette sensation que j’éprouvais confusément d’assister à l’apparition d’une civilisation mondiale, civilisation à qui il restait à trouver son mode de gouvernance, mais qui semblait plus unie que jamais autour de quelques principes clés comme la liberté, la science et l’abondance matérielle.

Tout va bien donc, vive la mondialisation et la société de consommation !

Cette vision ultra-libérale de la société parfaite me laisse plus que septique : sortir de la pauvreté… pour entrer dans la misère ? Pas un mot sur l’accroissement des inégalités qu’un tel système implique. L’auteur me semble largement dépassé par son sujet.

Antoine Bello est un écrivain français né en 1970 à Boston et qui vit à New York. Je découvre à l’instant sur wikipedia qu’en 2007, il s’est engagé en faveur du candidat Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle. Je comprend mieux maintenant cette vision libérale du monde…

Finalement, je n’ai pas envie de connaître les buts du CFR. Les éclaireurs peuvent attendre.

2 réflexions sur « Les falsificateurs – Antoine Bello »

  1. Je trouve que vous avez un excellent jugement, ayant de mon côté lu « Les Falsificateurs » prêtés par mon fils de 30 ans qui, selon moi, est tombé dans le panneau, contrairement à vous. J’ai pris certes un grand plaisir de lecture mais ce n’est pas une révélation littéraire ! J’ai poussé le scrupule jusqu’à acheter « Les Eclaireurs » qui comme il fallait s’y attendre s’essouflent. Je vous joins un bout d’une bonne critique sur le site fluctuat : »…Les Falsificateurs est un roman qu’on ne peut pas refuser et qu’on dévore parce qu’on y est obligé (parce qu’on a été programmé pour) et parce qu’il est très bon. Mais c’est aussi un roman gros sabots qui suit avec les moyens de la « littérature générale », ce qu’on a lu déjà depuis dix, vingt ou trente ans (et en mieux) chez Burroughs, Silverberg, ou Philip K. Dick, angoisse paranoïaque en moins (Stiv est mondialo-positif, une sorte de Casimir du néomonde). Aimer Les Falsificateurs (qui s’arrête après 500 pages en ne nous ayant dévoilé qu’une belle mécanique littéraire, pas une bribe d’information ou un seul indice quant à sa finalité) nous paraît aussi périlleux et idiot que de nous être enthousiasmés il y a quelques années pour le premier épisode de Matrix…. » On ne saurait mieux dire. Dans un autre genre mais « m’as-tu-vu ?-je fascine ! », il y a aussi Carlos Ruiz Zafón, l’Espagnol de « L’Ombre du vent » à lire en poche, sa suite « Le Jeu de l’ange » étant encore redoutable pour le porte-monnaie. HÉLÈNE

    .

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *