Effondrement – Jared Diamond

Après De l’inégalité des sociétés du même auteur que j’avais beaucoup apprécié, j’ai voulu lire un autre essai de cet auteur passionnant.

Si le premier parlait de l’origine des sociétés (et pourquoi certaines avaient pris le dessus), celui-ci parle de la fin desdites sociétés (et des raisons de leur effondrement). Un sujet d’actualité en cette période de COP26, même si le livre date de 2005.

Jared Diamond va donc ausculter certaines sociétés disparues, comme celle de l’île de Pâques, ou les Mayas d’Amérique centrale, ou encore les colonies vikings du Groenland, puis s’intéresser ensuite à des sociétés qui ont su redresser la barre à temps (Nouvelle-Guinée, Japon), et enfin à des sociétés contemporaines en difficulté (le Montana, Haïti, Rwanda, Australie, Chine) ; tout cela à travers cinq facteurs qu’il a identifié. Puis dans une seconde partie, il tirera de tout cela des leçons pratiques, en s’efforçant de finir sur une note optimiste, mais qui est moins convaincante allez savoir pourquoi ! 🙄

L’auteur nous fait profiter de ses multiples compétences (histoire, géographie, biologie, géonomie) pour nous parler de ces civilisations, et c’est passionnant tout en restant facile à lire. S’il y a sans doute moins de pertinence dans la seconde partie, ce livre a tout de même le mérite de réveiller notre conscience écologique, c’est en tout cas l’effet qu’il a eu sur moi, et je ne regarderai plus une zone déforestée du même œil dorénavant !

Les cinq facteurs identifiés par Jared Diamond et potentiellement à l’œuvre dans l’effondrement d’une société sont : des dommages environnementaux, un changement climatique, des voisins hostiles, des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux, et enfin les réponses apportées par les sociétés à ces problèmes.

Il prend toutefois bien garde à ne pas parler de déterminisme environnemental. Il ne connaît d’ailleurs aucun cas où seuls les dommages écologiques seraient responsables d’un effondrement. Mais parmi les cinq facteurs cités précédemment, seul le dernier est toujours significatif quelque soit l’effondrement étudié. À méditer !

Je disais que la déforestation m’avait marquée, car c’est le scénario typique : l’homme déforeste car il a besoin du bois (pour les pirogues, pour se chauffer, pour les constructions, etc…), les pluies se font alors plus rares et plus dévastatrices, ravinant le sol, qui va alors se saliniser, le rendant impropre à la culture … À partir de là, les choses se compliquent très vite : impossibilité de nourrir la population, période sécheresse aux conséquences dramatiques. Sans oublier la vision à court terme des chefs, assez récurrente dans l’Histoire, qui empêche la prise de conscience et de mesures.

Jared Diamond cite deux cas où la déforestation a pu être stoppée à temps : dans les deux cas, ce sont des dictateurs qui ont pris des mesures autoritaires permettant d’empêcher l’effondrement de leur société ! Il s’agit du Japon de l’ère Tokugawa (dynastie de shoguns) et de Saint-Domingue sous la dictature de Trujillo : ils imposèrent tous deux des règles strictes pour lutter contre la déforestation, et réussirent à instaurer une gestion des ressources durables.

Pour le Japon, c’est plus discutable, car c’est essentiellement en allant chercher leur bois ailleurs, mais enfin l’île a été sauvée. Pour Saint-Domingue, la comparaison avec Haïti est assez parlante en elle-même. Et finalement les motivations dans ces deux cas sont sans doute liées à la durée au pouvoir d’une dynastie ou la gestion « en père de famille » de Trujillo.


Le cas de l’Australie est très intéressant, dans le sens où ils cumulent pas mal d’erreurs. Ils puisent dans les ressources renouvelables (vivantes) comme dans celles qui ne se renouvellent pas : les mines seront par exemple exploitées à fond tant qu’il y a du minerai, puis ils iront creuser ailleurs, soit ! Le problème est d’appliquer la même méthode aux ressources vivantes. Quand on déforeste, il est important de ne pas couper les arbres plus vite qu’ils ne repoussent, pour rendre cette ressource durable. Idem pour les ressource maritimes. Apparemment, les australiens ont du mal à comprendre cela. Ils ont également des problèmes sérieux de salinisation des sols, et ont généré de redoutables déséquilibres en introduisant des espèces animales (lapins, renards) ou végétales (mimosa). Tout cela rend le tableau dressé par Jared Diamond assez inquiétant pour ce continent-île..


Autre exemple surprenant est la politique du Montana au début du XXème siècle d’adopter une politique de suppression des incendies pour protéger leurs grands arbres, mesure à priori louable. Mais les conséquences ne furent pas celles attendues :

Les pins ponderosa adultes ont une écorce épaisse de cinq centimètres et sont relativement résistants au feu qui, à leur place, brûle le sous-étage de futaies de sapins de Douglas sensibles au feu qui ont poussé depuis le dernier incendie. Mais, après seulement une décennie de pousse jusqu’au prochain feu, ces futaies sont encore trop peu élevées pour que le feu puisse en partir pour se propager vers les cimes. Le feu reste donc confiné au sol et dans le sous-étage. C’est pourquoi de nombreuses forêts naturelles de pins ponderosa ont des allures de parc, avec peu de matières combustibles, de grands arbres bien espacés et un sous-étage relativement net.

Les forestiers préférèrent abattre ces grands et vieux pins ponderosa, de bonne qualité et résistants au feu ; dans le même temps, la politique anti-incendies permit pendant des dizaines d’années au sous-étage de se peupler de jeunes sapins de Douglas qui allaient eux aussi prendre de la valeur en grandissant. La densité des arbres passa de soixante-quinze à cinq cents arbres par hectare, les matières combustibles furent multipliées par six et le Congrès refusa à plusieurs reprises de débloquer les fonds nécessaires au débroussaillage. Un autre facteur lié à l’activité humaine, le pâturage des moutons dans les forêts nationales, a peut-être également joué un rôle majeur en réduisant les broussailles du sous-étage qui auraient alimenté de nombreux feux de faible intensité.

Lorsqu’un feu se déclare finalement dans une forêt tapissée de petites pousses, que celui-ci soit dû à la foudre ou à la négligence humaine ou – et c’est malheureusement souvent le cas – à un acte délibéré, les jeunes arbres déjà élevés peuvent se transformer en une échelle le long de laquelle le feu peut se propager jusque dans les cimes. Il se crée parfois un incendie infernal inextinguible et dont les flammes peuvent monter jusqu’à plus de cent mètres, qui peut se propager de cime en cime par bonds énormes, atteindre des température de mille degrés Celsius, anéantir la banque de graines du sol et dans certains cas entraîner des coulées de boue et une érosion massive.

La comparaison entre Haïti et Saint-Domingue est aussi passionnante. Sur la même île, séparée en deux, une société s’en sort et pas l’autre, qui court à la catastrophe. L’Histoire nous apprend que pour Haïti :

Bien que l’élite, mulâtre, parlât français – la majorité de la population ne comprenant que le créole – et se sentît proche de la France, la crainte de l’esclavage la conduisit à adopter une constitution interdisant aux étrangers de posséder de la terre ni de contrôler par l’investissement des moyens de production.

Et donc, le commerce se développa sur Saint-Domingue, accueillant sur son sol des étrangers, participant au commerce mondial, quand Haïti était tenu à l’écart. Et ce n’est pas une question de dictature, puisque les deux pays ont eu leur compte chacun à ce sujet (voir plus bas).


Dans la seconde partie, il traite des raisons rationnelles et irrationnelles qui font que les gens agissent d’une façon ou d’une autre. C’est à mon avis parfois un peu biaisé, on assène des chiffres qui ne veulent pas forcément dire grand chose, sinon à justifier le raisonnement que l’on souhaite tenir. Il en ressort tout une série de raisons verbeuses peu convaincantes à mes yeux. Personnellement, je pense que toute cette partie pourrait se résumer à la vision à court terme et au profit qui s’en dégage de la part de nos dirigeants & industriels.

De manière assez surprenante, Jared Diamond ne tarit pas d’éloges pour la société Chevron (compagnie pétrolière), la décrivant comme très respectueuse de l’environnement dans la gestion de ses chantiers. Il ne parle d’ailleurs que très peu du CO2, des énergies nécessaires à notre société, du réchauffement climatique. Rappelons que ce livre a été écrit en 2005 et que ce n’est pas le sujet (ce n’est qu’un aspect de l’un des cinq critères !). Voilà toutefois ce qu’il dit à ce sujet :

Pendant de nombreuses années, les scientifiques ont polémiqué sur la réalité, la cause et l’étendue du réchauffement global : les températures dans le monde atteignent-elles vraiment des niveaux historiques aujourd’hui ? Si tel est le cas, dans quelle mesure les humains en sont-ils les premiers responsables ? La plupart des scientifiques autorisés s’accordent désormais à penser que récemment, malgré les variations annuelles de la température qui nécessitent des analyses complexes pour en extraire les tendances, l’atmosphère a réellement connu une hausse inhabituellement élevée de la température et que les activités humaines en sont la principale cause. Les incertitudes qui demeurent concernent l’ampleur future de l’effet qu’on peut en attendre : par exemple, les températures globales moyennes augmenteront-elles seulement de 1,5° ou bien de 5° au cours du prochain siècle ? Ces chiffres ne semblent pas signifier grand-chose, mais il ne faut pas oublier que les températures globales moyennes n’étaient inférieures que de 5° à l’apogée du dernier âge glaciaire.

Il est aussi moins convaincant lorsqu’il parle des sociétés, des gouvernements, des consommateurs pour obliger une production « propre et viable », gérant les ressources et laissant les sites propres. Après un inventaire, où les exploitants des ressources de minerai prennent cher (destruction des sols, des nappes, etc…), il parle des labels « verts », tout en expliquant aussi la complexité de suivre (par exemple) le circuit du bois certifié (par manque de traçabilité), sans parler des sociétés qui créent leur propre label en s’auto-certifiant, rendant ainsi le choix du consommateur ingérable. Du coup son discours sur la responsabilité des consommateurs (sur laquelle il insiste beaucoup) se révèle peu pertinent.

Tant que le sacro-saint commerce sera protégé (voir l’OMC ou l’Europe et le fameux traité de Lisbonne), tout le reste me paraît du blabla (coucou Greta ! 😉 ). Et ce n’est pas le consommateur qui va régler le problème. Voir la COP26 et l’accord sur l’arrêt de la déforestation signé par le Brésil, alors qu’avec Bolsonaro, le Brésil n’a jamais autant abattu d’arbres ! Et même quand les coupes sont réglementées, on voit des sociétés d’abattages se comporter en voyoux, ne tenant aucun compte des réglementations, signant des accords avec des locaux (un peu d’argent, un voyage… et l’arnaque est faite), abattant les arbres et disparaissant, ni vu ni connu.

Pour conclure cet article, il raconte tout de même une anecdote fort intéressante à propos de gens vivant en aval d’un barrage :

Quand on sonde l’opinion qui vit en aval du barrage sur sa crainte d’une éventuelle rupture, cette peur est moindre en aval, elle augmente au fur et à mesure qu’on s’approche, atteint son paroxysme à quelques kilomètres du barrage, puis décroît brutalement et tend vers zéro parmi les habitants les plus proches du barrage ! Autrement dit, ces derniers, qui sont les plus certains d’être inondés en cas de rupture, disent d’une certaine manière ne pas être concernés. Ce déni d’origine psychologique est leur seule façon de vivre dans une normalité quotidienne. Le déni d’origine psychologique est un phénomène bien attesté dans la psychologie individuelle, mais il semble s’appliquer aussi à la psychologie des groupes.

C’est assez révélateur du comportement humain vis-à-vis d’une catastrophe, et guère réjouissant si l’on attend une réaction et des mesures (le fameux cinquième facteur).

Jared Diamond, né en 1937, est un biologiste évolutionniste, physiologiste et géonomiste américain. Professeur de géographie à l’UCLA, il est connu pour ses ouvrages de vulgarisation scientifique : De l’inégalité parmi les sociétés (prix Pulitzer 1998) et Effondrement.

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