L’astragale – Albertine Sarrazin

À Concarneau, la librairie où je vais a pour nom Albertine. En lisant L’anomalie, le prix Goncourt 2020, il était fait mention d’une librairie du même nom à New-York.

Je posais alors la question de l’origine de ce nom au libraire, qui me répondit que c’était effectivement une référence à la librairie de New-York, mais aussi à Albertine Sarrazin, auteur de l’Astragale.

Du coup, je lui achetais ce roman, dont il me prévînt du contenu parfois argotique, et qu’il s’agissait du récit autobiographique d’une cavale. Ce à quoi je répondais que les vrais récits ont toujours quelque chose de plus que les fictions, si belles soient-elles.

Albertine s’évade à 19 ans d’une prison-école en sautant d’un mur de dix mètres, se brisant l’astragale. Elle se traîne jusqu’à la route, et est ramassée par Julien Sarrazin, voyou comme elle, qui deviendra l’amour de sa vie.

C’est effectivement un récit écrit à fleur de peau, où l’on sent l’urgence de la vie, avec des raccourcis parfois saisissants, comme ici lorsqu’elle parle de son sauveur, et des hôtes qui vont l’héberger quelque temps :

Je sens chez mes hôtes, à son endroit, une cupidité servile, voilée par le ton camarade et complice, qu’équilibrent aux deux bouts le respect pour le type qui sait voler, et la condescendance pour le type qu’on dépanne.

J’ai trouvé le récit prenant, même s’il faiblit sur la fin, au fil des absences répétées de Julien. Le style est vraiment original et puissant, Albertine nous offre le récit de sa vie pendant cette période, sans fard ni faux-semblants, un monde éloigné du notre, avec d’autres valeurs et d’autres règles. L’idée d’une autre vie ne les effleure d’ailleurs même pas, c’est comme ça.

Albertine Sarrazin (1937-1967), née à Alger, est une femme de lettres qui a décrit sa vie de délinquante et de prostituée, ainsi que son expérience des prisons pour femmes. L’Astragale a été porté deux fois à l’écran, une première fois en 1968 par Guy Casaril (avec Marlène Jobert), puis en 2015 par Brigitte Sy.

À lire sa page Wikipedia, on peut vraiment parler de destin tragique : fille de l’assistance publique, adoptée (le père est médecin miliaire), violée à dix ans par un oncle, elle reçoit une éducation rigoureuse, et obtient de nombreux prix d’excellence. Indisciplinée, son père l’oblige à voir un psychiatre, puis la place en maison de correction. Ce sera le début d’un chemin vers la délinquance, les vols, la prostitution. Quand elle demande de l’aide à ses parents, ils obtiendront la révocation de leur adoption, chose rarissime. Son amour avec Julien sera entrecroisé de séjours en prison (pour l’un ou l’autre). Et quand enfin ils se trouvent un endroit pour vivre en paix, enfin heureux et « rangés », elle meurt sur une table d’opération à la suite d’une anesthésie mal préparée. Julien gagnera son procès en appel contre l’équipe chirurgicale.

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