Terres de crépuscule – J. M. Coetzee

C’est en lisant un article du Monde, pendant le confinement, que j’avais noté ce livre dans ma liste. Il s’agit de deux nouvelles, intitulées « Le projet Vietnam » pour la première, et « Le récit de Jacobus Coetzee » pour la seconde.

« Le projet Vietnam » regroupe plusieurs analystes censés réfléchir à comment gagner cette guerre (côté américain). C’est le récit à la première personne de l’un de ceux-ci, Eugène Dawn, qui a manifestement perdu la boule et est en plein délire paranoïaque, persuadé que son supérieur, un certain Coetzee (!) veut se débarrasser de lui. Toujours est-il que ce qu’il propose dans son rapport est réellement glaçant : très documenté, prenant en compte la culture et la mythologie vietnamienne pour développer ses idées extrêmes, il propose purement et simplement l’extermination de l’ennemi Vietcong. Son délire le mènera fort heureusement à l’asile, place qu’il appréciera finalement puisque les médecins lui demandent de s’expliquer, ce qu’il considère comme une marque de considération… Le fait que ce récit soit écrit à la première personne donne un relief particulier à ce texte, nous plaçant au cœur des divagations de Dawn.

Le second texte, intitulé « Le récit de Jacobus Coetzee » est également écrit à la première personne, c’est le récit de l’expédition d’un colon hollandais en Afrique du Sud, qui se rend dans des territoires encore vierges pour chasser l’éléphant, accompagné par quelques serviteurs indigènes. Il va croiser une tribu dont il ne sait pas si elle est vraiment amicale, et y tomber malade, ce qui va très vite compliquer les choses : pendant sa fièvre, ses biens sont dispersés, son personnel retourne à la vie tribale ; il perd tout, sans pour autant subir aucune violence… Il réussira à s’en échapper, accompagné de son seul vieux serviteur, et à revenir à sa ferme. Il retournera alors avec une troupe sur le territoire de la tribu pour se venger. Là encore, ce que raconte ce Jacobus est assez glaçant, exprimant le racisme ordinaire des colons de cette époque (l’histoire se passe en 1685). L’histoire semble véridique, établie et racontée par un ancêtre de l’auteur…

Voilà donc deux récits donnant à voir la façon de penser de deux hommes qui sont chacun à leur manière bien loin des qualités que l’on attend d’un être humain, tout cela raconté sans affect, afin de laisser le lecteur face à face avec cette terrible réalité. C’est aussi ce qui leur donne toute leur force. Car c’est très bien écrit, l’auteur maîtrise son art d’écrivain, ne choisit pas des sujets faciles et ne fait rien pour arrondir les angles !

J.M. Coetzee, né en 1940 en Afrique du Sud, est un romancier et professeur de littérature australien. Prix Nobel de littérature en 2003, voilà ce que dit sa page Wikipedia, ce qui confirme l’impression ressentie à la lecture de ces deux nouvelles :

Marquée par le thème de l’ambiguïté, la violence et la servitude, son œuvre juxtapose réalité politique et allégorie afin d’explorer les phobies et les névroses de l’individu, à la fois victime et complice d’un système corrompu qui anéantit son langage.

C’est avec son roman Disgrâce qui traite directement de la société sud-africaine post-apartheid, qu’il écrit son œuvre de maturité (dont le succès fait beaucoup pour l’attribution du prix Nobel). Il a été porté à l’écran par Steve Jacobs en 2010.

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