Chien Blanc – Romain Gary

C’est sur le forum r/france de Reddit que Romain Gary était mentionné (le vendredi, il y a un sujet « Culture » épinglé), et puis une autre fois sur France Culture, où l’on parlait de ce roman précisément. Je me suis dit que c’était un auteur à redécouvrir. J’avais énormément aimé « Les racines du ciel », que ma sœur m’avait offert il y a bien longtemps. Je n’ai pas été déçu par celui-là.

Romain Gary raconte cette histoire de manière autobiographique, en son nom propre. Il vit alors en Californie, avec sa femme Jean Seberg. Il recueille un jour d’orage un berger allemand qui a l’air adorable. Mais il s’avère que c’est un « chien blanc », c’est-à-dire qu’il a subi un dressage à la mode sudiste : très doux avec les blancs, et qui se transforme en bête sauvage à la simple vue d’un noir.

Gary décide de le soigner quand tout le monde lui dit que c’est impossible, qu’il est trop tard. Il le dépose dans un zoo tenu par une de ses connaissance, et Keys, un employé noir, accepte de s’en occuper.

C’est bien sûr l’occasion de parler du racisme aux État-Unis. Romain Gary nous livre une vision très personnelle, mais passionnante, à travers l’histoire, la psychologie humaine, la « société de provocation », etc… Pas de place pour l’apitoiement ici, personne n’est « tout blanc » dans l’affaire, si je peux me permettre ce jeu de mots… 😉

Très bon roman, au style particulier, mais qui possède une belle originalité vu le sujet traité. Et l’on est loin des poncifs habituels, Romain Gary mettant au contraire un point d’honneur à les démonter.

Martin Luther King vient d’être assassiné, il y a des émeutes un peu partout (et les émeutes de Watts encore présentes dans les esprits…). Son ami « Red », qu’il a connu à Paris recrute aujourd’hui de jeunes noirs pour les envoyer au Vietnam ! Car son idée est ainsi de les former, qu’ils deviennent les meilleurs combattants, afin qu’à leur retour au pays, ils puissent rejoindre une armée noire pour se battre contre les blancs.

Car les théories de Elijah Muhammad sont d’actualité (auxquelles Mohamed Ali adhérera, aussi fantasques soient-elles), avec l’idée d’un État indépendant noir, dans le sud des États-Unis… De l’autre côté, les vedettes hollywoodiennes participent à des levées de fonds pour aider leurs frères noirs, et Jean Seberg y est très active.

Tout le monde en prend pour son grade, et cela rend le bouquin passionnant. Romain Gary dissèque tout cela de son regard acéré et avec son recul d’écrivain d’origine juive russe, qui a tout vécu ou presque.

Les noirs, qui adoptent l’islam comme religion en oubliant comment les musulmans ont conquis l’Afrique animiste (au fil du sabre)… Qui veulent bien reconnaître une mère blanche dans leur ascendance s’ils sont un peu clairs de peau, mais jamais un père blanc, ce qui laisserait supposer le viol d’une aïeule… Inacceptable, et pourtant tellement plus probable…

Les intellectuels blancs américains eux culpabilisent systématiquement, et pardonnent aux émeutiers les vols et pillages au nom d’une « compensation »… Il y en a même un qui, défenseur de la cause noire, propose à Romain Gary de s’occuper de « chien blanc »… alors qu’en fait il craint de se faire attaquer dans sa belle villa durant les émeutes !

Pendant ce temps là, chien blanc est rééduqué par Keys, qui a réussi à briser l’agressivité du chien à force de ruse et patience. Au début, il rentre dans sa cage en tenue de protection, et « s’explique » avec le chien déchaîné… Puis le nourrit, même si le chien refuse au début… À terme, ils deviennent amis. Keys va jusqu’à amener son enfant dans la cage, et « l’atavisme » du chien envers les enfants fonctionne…

Il y a aussi la rencontre avec Bobby Kennedy, que Jean organise pour lui parler de la cause noire, qu’on appelle pudiquement « le problème », et arranger une rencontre avec deux leaders de la cause noire. Celle-ci aura lieu, et Bobby bien que libéral est le seul vers qui le peuple noir peut se tourner, même s’il ne croit pas à ses promesses.

Survient mai 68 en France, et Romain Gary décide d’y aller, en partie pour échapper au « problème » dont il ne supporte plus tous les artifices de part et d’autres. Mais il revient vite à Beverly car Jean a reçu des menaces : des activistes noirs voient d’un mauvais œil sa présence et ses dons… Les groupes sont de toutes façons infiltrés par le FBI et se déchirent entre eux. Difficile d’y voir clair dans ce jeu de dupes où tout le monde ment et manipule l’autre pour l’argent ou le pouvoir.

La fin est plutôt sombre… Chien blanc deviendra Chien noir… Et selon Romain Gary les noirs loupent la seule vraie chance de leur peuple : celle d’être différents des blancs.

Romain Gary (1914-1980) est un aviateur, militaire, résistant, diplomate, romancier, scénariste et réalisateur français, de langues française et anglaise. Il est le seul romancier à avoir reçu deux fois le prix Goncourt, la deuxième fois sous le pseudonyme d’Émile Ajar.

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